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Les chevaux des Iakoutes, un peuple d'éleveurs du nord-est sibérien (actuellement la république de Sakha, ou Iakoutie, ou Yakoutie), étaient jusqu'ici une énigme pour les scientifiques. L'origine de cette race extrêmement robuste, capable de survivre par des températures avoisinant les -70 °C, n'avait pas encore pu être déterminée. En Sibérie orientale, la tradition veut que ce cheval provienne d'une population locale de chevaux sauvages domestiquée par les premiers éleveurs iakoutes arrivés dans la région il y a plusieurs centaines d'années.
Les travaux que vient de publier dans le journal Pnas une équipe internationale dirigée par Ludovic Orlando, à la fois chercheur au Centre for GeoGenetics du Muséum d'histoire naturelle du Danemark et au laboratoire Anthropobiologie Moléculaire et Imagerie de Synthèse (AMIS, université Paul Sabatier, université de Strasbourg, CNRS) de Toulouse viennent battre en brèche cette théorie.
L'étude de chevaux ayant vécu aux XVIIIe et XIXe siècles et d'animaux actuels a retracé les cousinages entre eux, témoignant d'une modification rapide de plusieurs caractères liés à l'adaptation au froid; © Patrice Gérard, CNRS-MAFSO (Mission archéologique française en Sibérie orientale)
Une évolution en quelques siècles seulement
Les scientifiques ont comparé le génomegénome total de sept chevaux iakoutes actuels ainsi que celui de deux spécimens du XVIIIe et XIXe siècles aux génomes de 27 chevaux domestiques vivant dans différentes régions du globe, dont trois spécimens sauvages de chevaux de Przewalski, vivant en Mongolie. Une partie du génome d'un cheval préhistorique vieux de 5.200 ans, découvert récemment dans le nord de la Sibérie, a également été intégrée à cette analyse phylogénétiquephylogénétique.
« Nous avons ainsi pu démontrer sans ambiguïté que le cheval iakoute est bien plus proche de toutes les races de chevaux modernes qu'il ne l'est de la population de chevaux préhistoriques prise en compte dans notre étude », précise le paléogénéticien du Centre for GeoGenetics de Copenhague. L'étude phylogénétique révèle par ailleurs que son plus proche parent est le cheval mongol dont une petite population aurait accompagné les éleveurs iakoutes du Baïkal, partis coloniser la Sibérie orientale il y a près de 800 ans et installés dans la région entre le XIIIe et le XVe siècles de notre ère. La race iakoute a donc acquis en quelques centaines d'années seulement ses étonnantes capacités de résistancerésistance au redoutable climat sibérien.
Un pelage dense et un corps trapu : le cheval iakoute est un costaud. Ses adaptations au froid se retrouvent aussi dans son équipement hormonal et dans son aptitude à frissonner. Ces fonctions biologiques se sont aussi développées chez les Hommes et chez les mammouths laineux. © Morgane Gibert, CNRS-MAFSO (Mission archéologique française en Sibérie orientale)
La sélection a reprogrammé l'expression des gènes
Les chercheurs ont ensuite voulu savoir comment une telle évolution avait pu se produire en un laps de temps aussi court. En entreprenant une étude méticuleuse du génome des neuf spécimens de chevaux iakoutes, ils sont parvenus à identifier avec précision les régions impliquées. De façon surprenante, celles-ci ne sont pas en majorité localisées dans les parties codantes du génome mais au niveau des régions responsables de la régulation des gènes. Une telle observation suggère que l'adaptation des chevaux iakoutes à leur environnement résulte d'une reprogrammation massive de l'expression de leurs gènesgènes. En se focalisant sur les parties du génome soumises à la sélection, l'équipe est ensuite parvenue à identifier les fonctions biologiques clés impliquées dans l'adaptation rapide du cheval iakoute.
Celles-ci concernent les changements morphologiques, le frisson, les réponses hormonales de la régulation thermique, la production de substances antigel par l'organisme, le développement des poils, etc. « Certains de ces gènes qui régulent les fonctions biologiques sont déjà connus pour permettre une adaptation au froid chez des peuples autochtones de Sibérie mais aussi chez le mammouth laineux », souligne Éric Crubézy, enseignant-chercheur en anthropobiologie au laboratoire AMIS et coauteur de l'étude.
Exposées à un même environnement extrême, des espèces aussi différentes que le cheval iakoute, l'Homme et un pachyderme préhistorique tel que le mammouth ont donc fini par développer de manière indépendante des adaptations similaires témoignant ainsi d'un exemple réussi de convergence évolutive.