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Des escargots sont capables de survivre dans le système digestif d'un oiseau et ont sans doute survolé le Mexique grâce à ce moyen de locomotion. © stonebird, Flickr, cc by nc sa 2.0
Les escargots peuvent voler ! Ça n'est pas tout à fait exact, mais à l'instar des hommes, ils sont capables de se rendre d'un point à un autre grâce à un moyen de locomotion aérien. Ici, le véhicule est un oiseau. Il se nourrit des escargots et les transportent dans son estomacestomac puis les libère avec ses déjections. Mais les escargots survivent à ce périple intestinal et c'est ainsi que les oiseaux les aident bien involontairement à se disperser.
L'étude est décrite dans la revue Proceedings of the Royal Society Biology et concerne des escargots du genre Cerithideopsis : C. californica et C. pliculosa. La première espèce vit dans l'estran de l'océan Pacifique, le long de la côte ouest de l'Amérique centrale. La seconde vit de l'autre côté du continent (voir schéma ci-dessous).
Deux populations séparées par une montagne
L'ancêtre commun à ces deux espèces vivait il y a plus de 3 millions d'années, lorsque les océans Atlantique et Pacifique communiquaient encore entre l'Amérique du Nord et l'Amérique du Sud. Puis, du fait de la tectonique des plaques, les continents se sont rapprochés jusqu'à n'en former qu'un, séparant les escargots en deux populations qui, avec le temps, se sont éloignées d'un point de vue génétiquegénétique, créant deux nouvelles espèces distinctes. C'est ce qu'on appelle une spéciation allopatrique.
Selon les chercheurs, il y aurait eu au moins deux échanges des gènes entre les deux espèces C. californica et C. pliculosa, malgré l'obstacle de l'isthme de Panama. Un héron aurait transporté les escargots. © Bruno Scala/Futura-Sciences
Si la formation de barrières géographiques comme celle de l'isthme de Panama est un cas classique, les évolutionnistes attachent également beaucoup d'importance à la capacité qu'ont les animaux à franchir ces obstacles. Comme disait l'évolutionniste Georges Gaylord Simpson, « un événement de dispersion, bien qu'improbable (...), peut devenir probable au fil du temps ».
Les scientifiques ont donc cherché à savoir si les escargots avaient réussi à passer l'infranchissable obstacle du Panama pour ensuite se reproduire. Pour cela, il leur fallait analyser la variation génétique des populations de part et d'autre de l'Amérique - en séquençant l'ADN mitochondrialADN mitochondrial des plusieurs individus - afin de déterminer si oui ou non, il y avait eu un échange de gènesgènes, via la reproduction.
Fèces de zosterops du Japon. On voit bien la présence d'escargots. © Wada et al. 2011 - Journal of Biogeography
Et la réponse est oui. Certains escargots ont bien fait le murmur et ce à deux reprises. Une première fois d'ouest en est il y a environ 750.000 ans et une seconde fois en sens inverse il y a 72.000 ans selon les chercheurs, bien que ces estimations soient sujettes à débat. Comme il est avéré que ces escargots peuvent sortir indemnes d'un séjour dans le système digestif de certains oiseaux, les auteurs supposent que c'est bien en utilisant ce moyen de transport - probablement un héron - que les mollusquesmollusques ont traversé l'isthme de Panama.
Des escargots volants au Japon
Cas exceptionnel ? Même pas. Il semblerait que ces escargots ne soient pas les premiers à faire du stop dans le système digestif des oiseaux. Il y a environ deux mois, une étude japonaise a rapporté un cas similaire dans la revue Journal of Biogeography. Les scientifiques ont remarqué que 15 % des escargots de l'espèce Tornatellides boeningi pouvaient survivre à un passage dans le système digestif de deux espèces d'oiseau (le zosterops du Japon - Zosterops japonicus - et le bulbul à oreillonsoreillons bruns - Microscelis amaurotis). Ils ont par ailleurs noté que les plus petits escargots avaient plus de chance de survivre.
En analysant l'ADN des différentes populations d'une île du Japon (Hahajima), ils n'ont pas pu mettre en évidence de différence génétique significative entre les différentes populations, ce qui signifie que malgré la distance, il n'y a pas d'isolement génétique. Les différentes populations se reproduisent donc en dépit de la distance qui les sépare. L'hypothèse qui s'impose est donc que les différents individus sont transportés par les oiseaux.
Même si ces cas de dispersion passive par les oiseaux sont relativement rares, ils pourraient avoir un fort impact sur les théories concernant les mécanismes de spéciationspéciation puisqu'ils prouvent que les flux de gènes peuvent passer outre des obstacles apparemment insurmontables.