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La reconnaissance sociale sur le long terme procure un avantage conséquent aux espèces qui y ont recours. En se souvenant si tel ou tel individu est plutôt un allié, ou au contraire un adversaire, un animal peut gérer au mieux son comportement pour assurer sa survie. Par exemple, il est malvenu de fournir de précieuses ressources à un concurrent (comme de la nourriture), mais au contraire apprécié de s'unir avec des partenaires pour assurer des opérations complexes en groupe (comme la chasse). Mais que sait-on sur la reconnaissance sociale sur le long terme chez les animaux ?
En réalité, pas grand-chose, si ce n'est que l'expression « mémoire d'éléphant » laisse croire que ces mammifères peuvent conserver des souvenirs, y compris au sujet des autres pachydermes rencontrés, durant de longues périodes. Mais cette théorie repose sur des observations anecdotiques, si l'on en croit Jason Bruck de l'université de Chicago (États-Unis). Ce chercheur vient de publier un article dans les Proceedings of the Royal Society B, où il aborde justement la question de la duréedurée de la reconnaissance sociale chez les grands dauphins (Tursiops truncatusTursiops truncatus).
Au terme d'une série de tests menés sur 43 mammifères marins âgés de 4 mois à 47 ans, sa conclusion est sans appel : ces animaux se souviennent de partenaires rencontrés dans le passé durant plusieurs décennies. Ils possèdent donc la plus longue mémoire sociale connue, après l'Homme, toujours selon l'auteur.
Le grand dauphin, qui vit dans tous les océans tempérés et tropicaux, est capable d'imiter les sifflements d'autres cétacés. © Jual, Flickr, cc by nc sa 2.0
Deux grands dauphins se reconnaissent après 20 ans de séparation
Les dauphins étudiés vivent dans six centres qui s'échangent régulièrement des cétacés depuis des années : les zoos de Brookfield, d'Indianapolis, et du Minnesota, le Dolphin Quest des Bermudes, le Texas State Aquarium et Walt Disney World, à Orlando. Ce choix est judicieux, car ces structures ont conservé de précieuses informations sur les interactions sociales qu'ont eues leurs pensionnaires entre eux. Nous savons donc précisément quels dauphins ont cohabité, quand et pendant combien de temps.
Pour ses expériences, le chercheur a enregistré les sifflements personnels (l'équivalent de leurs noms) de chacun des 43 odontocètes. Il les a ensuite diffusés dans des bassins circulaires contenant d'anciens partenaires, au milieu de sifflements d'inconnus. Les dauphins ont alors réagi en entendant les sons familiers, en venant au contact du haut-parleur ou en imitant le sifflement personnel entendu. Le temps de séparationséparation n'a pas eu d'effet significatif sur la réponse observée, tout comme le lien de parenté ou le sexe des individus dont les sons ont été émis.
C'est ainsi que Bailey, qui vit aux Bermudes, a reconnu le sifflement d'Allie, qui séjourne près de Chicago. Or, ils ne s'étaient plus côtoyés depuis 20 ans et 6 mois. Ils avaient alors respectivement 4 et 2 ans lorsqu'ils ont vécu au Dolphin Connection situé dans l'archipel des Keys, en Floride (États-Unis). Ainsi, les grands dauphins se souviennent au moins durant deux décennies de leurs anciens partenaires. Quant à la limite supérieure de leur mémoire dans le temps, elle n'est toujours pas connue. En vérité, nous ne savons pas s'il en existe une. Pour le chercheur, les dauphins montreraient donc des capacités de reconnaissance « très comparables à la mémoire sociale de l'Homme ».