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Deux chimpanzés en train de partager une bonne plaisanterie : c'est le rire social, étudié par Marina Davila-Ross, biologiste du comportement. © Université de Portsmouth
Depuis longtemps, l'altruisme chez les animaux occupe les éthologues et en particulier chez nos proches cousins, les chimpanzés. Ils en sont incapables, disent les uns, qui s'appuient sur plusieurs expériences au résultat négatif, ou uniquement en cas de liens filiaux directs, ou encore quand la générosité est une manière d'éviter le harcèlement. Faux, disent les autres, qui s'appuient sur des observations dans la nature. Ainsi, dans les années 1960, Jane GoodallJane Goodall, qu'on ne présente plus, avait suivi longuement des populations en Tanzanie et repéré un comportement altruiste après une épidémieépidémie de poliomyélitepoliomyélite, certains valides soignant des congénères blessés après une chute. Mais n'étaient-ils pas parents ? s'interrogeait la primatologue. En Côte d'Ivoire, dans le parc national de Taï, l'équipe de Christophe Boesch, de l'Institut Max PlanckMax Planck, observe les mêmes populations depuis vingt-sept ans. En 2010, ils rapportaient un fait étonnant : l'adoption de petits orphelins par des adultes, femelles et mâles.
Cette fois, c'est au laboratoire qu'a été recherché un éventuel comportement altruiste par Victoria Horner, Frans de Waal et leurs collègues du Yerkes National Primate Research Center, à l'université d'Emory (États-Unis), dont les travaux viennent d'être publiés dans les Pnas. L'expérience a porté sur sept femelles adultes qui avaient le choix entre manger égoïstement devant un congénère et manger tout en s'arrangeant pour que lui aussi ait de la nourriture, ce que les chercheurs nomment le choix prosocial.
L'expérience mettait en jeu deux chimpanzés, « l'acteur » et le « partenaire », selon le vocabulaire employé par les auteurs de l'étude. L'acteur est placé devant deux réservoirs de jetonsjetons, de couleurscouleurs différentes, tandis que le partenaire se trouve derrière une paroi transparente. Deux réservoirs de jetons se trouvent devant l'acteur. Quel que soit son choix, il obtiendra de la nourriture, en l'occurrence une banane enveloppée dans du papier. Pourquoi cet emballage ? Pour que l'ouverture du paquetpaquet fasse du bruit et éveille l'attention du partenaire, qui ne pourra donc pas manquer de repérer le festin. Mais il y a une différence entre les jetons colorés : après le choix de l'une des couleurs, seul l'acteur aura sa banane tandis qu'avec l'autre le partenaire aura aussi sa part.
Tribu de primates humains s'intéressant aux primates non-humains au Yerkes National Primate Research Center. Trois auteurs de l'étude figurent sur cette photo : Vicky Horner (numéro 2 en partant de la gauche), Frans de Waal (en polo gris) et Devyn Carter (en polo rouge). © Living Links Centers
Si tu demandes trop, tu n’auras rien
L'article rapporte que les chimpanzés apprennent rapidement le principe et choisissent tous préférentiellement les jetons qui permettront à l'autre de manger aussi. Dans la mesure où ce choix n'apporte aucun gain immédiat, ce comportement peut être vu comme purement altruiste.
Les chercheurs ont observé un autre comportement, tout à fait inattendu, en réponse à l'attitude du partenaire. Si celui-ci se manifeste bruyamment au moment du choix, pour inciter l'acteur à choisir le jeton du partage, l'effet sera plutôt négatif. L'acteur aura justement moins tendance à faire ce choix. Tandis que si l'autre se montre calme et simplement observateur, alors l'acteur sera plus enclin au choix prosocial.
Selon les auteurs, ces résultats amènent à se poser des questions sur les précédentes expériences sur les comportements prosociaux qui avaient conduit à des résultats négatifs. En clair : n'auraient-elles pas été mal conçues ? Bien sûr, il faut se souvenir que les chimpanzés sont des animaux très sociaux, vivant dans des groupes soudés et hiérarchisés, où les interactions entre individus sont nombreuses et variées. On ne rencontre jamais de chimpanzés isolés, comme c'est le cas chez les lionslions ou les éléphants. Chez les chimpanzés (et les Hommes sont sans doute dans la même situation), agir pour les autres, c'est agir pour le groupe et donc, finalement, pour sa propre survie. Mais tout cela reste encore à prouver.