Chez les araignées, les femelles se délectent parfois des mâles qui s’approchent trop près pour copuler. Les survivants devraient prendre leurs jambes à leur cou, ou plutôt leurs pattes à leur céphalothorax. Pourtant, c’est tout l’inverse qui se produit chez au moins un de ces arachnides américains…

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    La femelle araignée de l’espèce Agelenopsis pennsylvanica mange parfois les mâles en période de reproduction. Une technique qui semble attirer les autres prétendants. Il faut faire des concessions pour être belle… © Patrick Edwin Moran, Wikipédia, cc by sa 3.0

    La femelle araignée de l’espèce Agelenopsis pennsylvanica mange parfois les mâles en période de reproduction. Une technique qui semble attirer les autres prétendants. Il faut faire des concessions pour être belle… © Patrick Edwin Moran, Wikipédia, cc by sa 3.0

    Mante religieuse, veuve noire, etc. Le grand public connaît bien souvent le sort que réservent certaines femelles arthropodes aux mâles de leur espèce : alors que ceux-ci espèrent se reproduire, ils finissent dévorés. Une stratégie de reproduction étrange que les spécialistes eux-mêmes ont du mal à cerner. Pourquoi faire de son dîner ce qui pourrait aider ces femelles à assurer leur descendance, surtout chez des animaux solitaires où les rencontres ne sont pas forcément légion ? D'autre part, si les mâles désireux de préserver leurs gènesgènes sont contraints de prendre ce risque, de quels moyens disposent-ils pour les minimiser ?

    Jonathan Pruitt, expert en biologie comportementale à l'université de Pittsburgh (Pennsylvanie, États-Unis), cherche à apporter des éléments de réponse à ces mécanismes extrêmes de sélection sexuelle. Alors avec ses collègues ils ont pris les choses en main (au sens propre du terme) en allant récolter des spécimens d'Agelenopsis pennsylvanica, une araignée dotée d'un corps de 17 mm de long (sans les pattes) vivant aux États-Unis et étalant sa toile non collante entre les plantes. La tisseuse s'en sert pour repérer les proies qui passent à sa portée, tandis qu'elle se jette dessus à grande vitessevitesse pour ne pas leur laisser le temps de s'évader. Les mâles figurent parfois au menu des femelles. Une attitude étrange quand une étude révèle qu'en milieu urbain, les rencontres sont assez rares, et sur les trois semaines que dure la saison de reproduction, les femelles rencontrent entre 0 et 3 mâles.

    Les femelles cannibales sont plus sexy

    De retour au laboratoire, les chercheurs se sont adonnés à une petite expérience. Ils ont entrepris de nourrir 100 femelles avec deux mets différents : la moitié d'entre elles avaient droit de grignoter un criquet, quand les 50 autres araignées se voyaient offrir un mâle de leur espèce pour le goûter. Dans ce second cas de figure, 38 % des femelles ont révélé leur côté cannibale.

     Sur un vaste réseau de fils tissés, l’<em>Agelenopsis pennsylvanica</em> attend la proie qui se prendra dans ces filets. Même si c’est un mâle de son espèce. © D. Gordon E. Robertson, Wikipédia, cc by sa 3.0

    Sur un vaste réseau de fils tissés, l’Agelenopsis pennsylvanica attend la proie qui se prendra dans ces filets. Même si c’est un mâle de son espèce. © D. Gordon E. Robertson, Wikipédia, cc by sa 3.0

    Puis, entre 10 et 24 jours plus tard, les auteurs ont laissé le choix à 20 mâles entre se diriger vers la toile d'une femelle mangeuse d'araignées, ou vers celle d'une dévoreuse de criquets. Notre instinct humain nous laisse penser qu'il vaut mieux pour ces séducteurs aller vers celle qui n'a pas goûté à la chair d'arachnide. Celui de ces mâles araignées leur intime plutôt l'ordre de frapper à la porteporte de la cannibale, puisque c'est ce qu'ont fait les trois-quarts des animaux testés. Un simple goût du risque ou est-ce parce que ces femelles se révèlent plus séduisantes ? Probablement faut-il accorder plus de crédit à cette deuxième option.

    Un choix payant ? Plutôt oui. Car dans ce cas de figure, seuls 5 % des mâles finissent entre les pédipalpespédipalpes de leur demoiselledemoiselle. Pour les autres, l'aventure se révèle souvent payante. Car ces femelles sont plus enclines que les autres à protéger leurs œufs dans une oothèqueoothèque, une membrane résistante, tandis que le taux d'éclosion est plus élevé. Le jeu en valait donc la chandelle.

    La sélection sexuelle poussée à son extrême

    Le détail de ces expériences est publié dans la revue Ethology. Cette recherche semble donc apporter une explication au fait que les mâles ne fuient pas les femelles cannibales. Elle sous-entend aussi que pour s'assurer une paternité plus importante, les mâles doivent se montrer un peu patients, car celui qui serait trop pressé de s'accoupler finit digéré.

    Si à la vue de ce travail on peut comprendre l'intérêt pour les mâles, reste à saisir les bénéfices pour les femelles d'un tel acte barbare. Y en a-t-il d'autres que simplement celui d'attirer plus de partenaires potentiels ? Personne ne peut l'affirmer. Les auteurs supposent que les mâles sont également riches nutritionnellement parlant. Mais cet avis ne fait pas l'unanimité.

    Se pose alors une autre question : pourquoi, si le cannibalisme leur est si avantageux, toutes les femelles ne se prennent pas au jeu ? Là encore, des réponses demandent à être apportées. Pour les scientifiques, il s'agit peut-être de celles qui sont le moins désirées, et se révèlent donc obligées de faire des concessions si elles ne veulent pas finir vieilles araignées.