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Trachops cirrhosus possède de gros tubercules sur le menton et les lèvres. Certains scientifiques supposent qu'ils servent de chémorécepteurs, utilisés pour juger la toxicité des proies. Dans l'étude de Rachel Page, aucun mouvement de frottement de ces structures sur des proies n'a été observé, remettant donc leur rôle en doute. © Rachel Page et al. 2012, Naturwissenschafte
Les chauves-souris sont de redoutables prédateurs appréciant tout particulièrement les insectes ou, selon les espèces, des amphibiens. Comment font-elles pour trouver leurs proies au sol ou en plein airair dans l'obscurité, puisqu'elles sortent principalement la nuit ? Elles ont certes recours à l'écholocation, mais ce système de détection dont le principe de fonctionnement est similaire à celui d'un sonarsonar, a une portée limitée.
Comme tous les prédateurs, les chauves-souris doivent être capables d'interpréter différents indices ou signaux fournissant des informations sur leurs proies, notamment sur leur taille et leur comestibilité, les protégeant des aliments toxiques. Mais comment font ces mammifères dans l'obscurité ?
Rachel Page, du Smithsonian Tropical Research Institute (STRI), a voulu en savoir plus. Dans une salle expérimentale, elle s'est amusée à déclencher des comportements d'attaque à l'aveugle, puis à observer la réaction des chauves-souris face à des proies... parfois inattendues. Ces mammifères volants font preuve de grandes capacités d'adaptation, surtout en présence d'informations contradictoires, comme lorsqu'une proie, habituellement inoffensive, a été recouverte de poison. Car l'écholocationécholocation ne fait pas tout. Ces résultats sont présentés dans la revue Naturwissenschaften.
Les chauves-souris Trachops cirrhosus jugent le niveau de toxicité de leurs proies extrêmement rapidement, en moins d'une demi-seconde, comme en témoigne cette vidéo. © Rachel Page, Smithsonian Tropical Research Institute
La chauve-souris, un protocole d’attaque et de capture bien défini
Les expériences ont été menées avec huit phyllostomes à lèvres frangées, ou chauves-souris mangeuses de grenouilles, Trachops cirrhosus qui vivent en Amérique centrale. L'émissionémission de sons d'amphibien Engystomops pustulosus, le met préféré des Trachops sp., au moyen de diffuseurs a toujours provoqué des réponses d'attaques filmées par des caméras infrarouge. Le rôle majeur joué par l'audition est ainsi prouvé, mais ce fait n'est pas nouveau et avait déjà été décrit auparavant.
En piqué, les chauves-souris mettent à jour leurs informations sur la proie. Elles vont notamment juger leur taille et s'écarter de leurs cibles en cas d'incohérence, par exemple lorsque le son émis est celui d'une petite grenouille E. pustulosus mais que c'est un gros crapaud Rhinella marina toxique qui se trouve en bout de course. L'écholocation serait utilisée dans cette phase, pour prendre des mesures à distance et dans le noir.
Une fois la taille des leurres estimées, comment les chauves-souris jugent-elles leur comestibilité ? Il n'y a pas de mystère, elles doivent goûter. Toutes les petites proies ont été attrapées, mais celles qui sont toxiques, ou normalement inoffensives mais recouvertes de poison (toxinetoxine de R. marina) par les expérimentateurs, ont directement été rejetées et abandonnées. Les chauves-souris font donc une analyse chimique postcapture de leurs proies en quelques centaines de millisecondes.
Ces expériences démontrent toute la complexité des stratégies mises en œuvre par les chauves-souris pour rechercher de la nourriture, l'évaluer et l'attraper. La flexibilité dont elles font preuve durant leurs attaques leur permet de diminuer au maximum les risques d'erreur. Celles-ci peuvent en effet être énergiquement coûteuses et surtout dangereuses. Elle procure également un avantage de taille lors des explorations entreprises en dehors des territoires connus.