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Durant plusieurs siècles, les Hommes ont utilisé un cornet acoustique pour mieux entendre. Avec leur forme en trompette, pour les plus simples, ces dispositifs ont la particularité de comprimer les ondes sonoresondes sonores qui les pénètrent, et d'augmenter ainsi l'intensité du son parvenant au tympantympan. Certes, ils sont devenus rares de nos jours, puisqu'ils ont progressivement été remplacés par des prothèses auditives, plus discrètes. Cependant, des êtres bien vivants en utiliseraient toujours : les chauves-souris Thyroptera tricolor.
Ces petits mammifères insectivores (poids d'environ quatre grammes à l'âge adulte) peuplent les régions néotropicales sud-américaines (par exemple la Guyane, le Pérou ou le Brésil), où ils nichent par groupe de cinq à six individus dans des feuilles d'Heliconia ou de Calathea, mais pas n'importe lesquelles. En effet, les Thyroptera tricolor se reposent au fond du tube formé par les jeunes feuilles, qui se déroulent en moyenne en 24 h. Ils changent donc de refuge tous les jours.
Pour ne pas s'éparpiller, les individus d'un même groupe communiquent au moyen d'ondes sonores. Une chauve-souris en vol émet des sons d'appel assez simples. En retour, celles déjà posées dans une feuille produisent une réponse à la structure plus complexe, afin de signaler leur position. Dans ce contexte, Gloriana Chaverri (université du Costa Rica) et Erin Gillam (université d'État du Dakota du Nord, États-Unis) ont voulu savoir si le tube influençait les paramètres physiquesphysiques propres aux différents sons. La réponse est affirmative : les feuilles agissent comme des cornets acoustiques.
Les chauves-souris Thyroptera tricolor ne volent jamais à plus de cinq mètres du sol de la forêt qui les abrite. © Gloriana Chaverri
Les sons entrants sont comprimés dans les feuilles
Pour l'expérience, des feuilles en tube ont été prélevées au sein du Golfito Wildlife Refuge (Costa Rica), puis rapportées en laboratoire. Dans un premier temps, les chercheurs ont émis 79 sons « de réponse » depuis la base des tubes. Les ondes acoustiques qui en sortaient ont alors été analysées au moyen du logiciellogiciel Avisoft-UltraSoundGate. Dans un deuxième temps, l'expérience a été inversée : 65 sons « d'appel » ont été émis à l'extérieur du tube. Un microphone les a alors enregistrés à l'intérieur des feuilles (le même logiciel a été utilisé pour les analyser).
Concrètement, les sons d'appel voient leur niveau sonore augmenter de 10 décibelsdécibels (dB) entre le moment où ils pénètrent dans les feuilles, et celui où ils arrivent au fond des tubes. Les ondes sonores sont tout simplement comprimées. En revanche, l'amplification n'est pas aussi efficace lorsque le son se propage en sens inverse, puisque le gain n'est que de 1 à 2 dB. L'explication est simple : les ondes sonores s'éparpillent à la sortie des structures végétales.
Une fidélité des appels acoustiques dénaturée
Ces modifications ne sont pas sans conséquence sur d'autres caractéristiques physiques des différents appels sociaux. En effet, les sons parviennent distordus au fond des tubes. Pour preuve, les chauves-souris s'y reposant répondent à tous les signaux leur parvenant, qu'ils soient émis par des membres du groupe ou par des étrangers. À l'inverse, les chiroptères en vol reconnaissent les sons émis par leurs congénères et se dirigent correctement vers le tube les abritant.
Présentées dans les Proceedings of the Royal Society B, les expériences menées en laboratoire prouvent bien que les feuilles jouent le rôle d'un cornet acoustique. Nous pouvons donc imaginer que les chauves-souris en profitent, mais en sommes-nous certains ? Théoriquement, l'hypothèse tient la route... mais cela reste à prouver en pratique. Pour ce faire, de nouvelles expériences impliquant plus fortement les Thyroptera tricolor sont requises.