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Les stations d'épuration ont pour objectif d'améliorer la qualité de l'eau potable en se débarrassant des bactéries et des polluants contenus dans l'eau des rivières et des fleuves. Mais les traitements ne parviennent pas à tout éliminer, et des principes actifs franchissent le barrage. L'oxazépam en fait partie. Il s'accumule dans les rivières et modifie le comportement des poissons. © Antoine Tavenaux, Wikipédia, GNU
Les contaminationscontaminations des eaux usées et de l'eau potable sont des problèmes récurrents. Utilisées en médecine, les substances pharmaceutiques sont rejetées dans l'environnement. Un patient élimine ces produits par voie urinaire ou fécale ; ils atterrissent donc dans les eaux uséeseaux usées. Bien souvent, les stations d’épuration n'arrivent pas à éliminer tous les composés chimiques toxiques. Leur efficacité dépend des procédés de traitement, mais certaines substances ne sont pas filtrées.
Dans l'environnement, les poissons sont les plus touchés par la contamination de l'eau. Des cas de féminisation du poisson ont déjà été recensés. La semaine dernière, un article publié dans Science a répertorié un médicament comme produit pharmaceutique échappant aux procédures de traitement de l'eau. Des chercheurs suédois ont détecté des taux anormalement élevés du composé dans une rivière naturelle.
La perche commune (Perca fluviatilis) vit presque partout en Europe. Elle a normalement un comportement grégaire. Mais l'accumulation d'anxiolytiques dans les eaux usées la rend vorace et asociale. © Dgp.martin, cc by nc sa 3.0
L’oxazépam rend les perches moins farouches
Le médicament en question est l'anxiolytiqueanxiolytique oxazépam, un produit très courant. Appartenant à la classe des benzodiazépinesbenzodiazépines, cette moléculemolécule améliore les signaux neuronaux pour calmer l'activité du cerveau. Il aide donc les patients à se détendre. Mais de petites concentrations de ce médicament dans le milieu aquatique affectent le comportement des poissons. Ils deviennent antisociaux et voraces. Et d'après l'étude, le composé n'est pas filtré par les usines d'épuration : il se retrouve en pleine nature.
Les chercheurs suédois ont mené leur étude sur la rivière Fyris. C'est un petit cours d'eau qui avoisine une région de Suède densément peuplée. Ils ont trouvé que la perche (Perca fluviatilis) avait accumulé six fois plus d'oxazépam que le taux affiché par l'eau. Et des concentrations similaires ont été détectées dans les plans d'eau à proximité des zones peuplées dans le monde entier.
Pour évaluer l'impact sur le comportement des poissons, les scientifiques ont exposé deux groupes de perches juvéniles à l'oxazépam en laboratoire. L'un était exposé au même taux que celui déterminé dans la rivière Fyris. L'autre était soumis à un taux 1.000 fois supérieur. Dans cette étude, les deux groupes ont montré d'importants changements de comportement. Normalement timides, ces poissons sortent le moins possible de leur territoire. Mais ceux exposés, au contraire, se sont rués vers des territoires inconnus.
Vers une prolifération d’algues ?
Une perche fortement exposée à l'oxazépam devient en outre asociale. Nageant normalement en groupe, elle tourne le dosdos à ses compatriotes. Les anxiolytiques sont censés calmer et apaiser les patients. Pourtant, chez le poisson, c'est l'inverse. Si ce type de comportement se retrouve dans la nature, c'est tout l'écosystème qui peut être ébranlé. Les perches se nourrissent de zooplancton, qui se nourrit d'algues. Si les poissons mangent davantage de zooplancton, les algues pourraient prospérer.
Toutefois, ces résultats ont été obtenus en laboratoire. La situation dans la nature est difficile à appréhender. En effet, on peut imaginer que si les poissons sont moins peureux, ils ont aussi plus de chance de devenir des proies pour d'autres espèces. Ainsi, l'augmentation de leur consommation de zooplancton pourrait être compensée par le fait qu'ils se font manger plus souvent ! Quoi qu'il en soit, l'avenir de ces poissons n'est pas garanti. Traiter les eaux usées pour en retirer l'oxazépam représenterait un coût exorbitant avec les technologies actuelles.