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Contrairement à ce que sa couleur verte pourrait laisser penser, il ne s'agit pas d'une mouche mais d'une halicte qui butine cette fleur. © BoydCarts, Flickr, CC by-nc-nd 2.0
- À lire, le dossier sur l'énigme de la surmortalité des abeilles
La plupart des abeilles sont des insectes diurnesdiurnes, butinant le nectar des fleurs qui s'ouvrent en pleine lumièrelumière. Certaines espèces cependant, dans la famille des Halictes (Halictidae), se sont spécialisées dans les sorties de nuit. Parmi elles, la branche des augochlorines est celle rassemblant le plus de taxons adaptés à la pénombrepénombre. Une étude, menée par des biologistes de l'institut Smithonian et de plusieurs universités d'Amérique centrale, explique comment et quand est apparue cette particularité.
Pour les chercheurs, la réponse est dans l'œilœil. Si l'œil des insectes est très différent du nôtre, certains mécanismes de la vision sont les mêmes. La transformation de la lumière en signal nerveux se fait au niveau de neuronesneurones spécialisés. Ils présentent sur leur membrane des pigments photosensibles entourés par des protéinesprotéines transmembranaires appelées opsines. Une modification de ces opsines causée par une mutation génétiquegénétique va changer les propriétés du photorécepteur. Il va être sensible à une plage de longueurs d'ondelongueurs d'onde différente, c'est-à-dire à des couleurscouleurs différentes. Certains sites sont spécialisés dans les grandes longueurs d'onde (rouge), d'autre les moyennes et d'autres enfin les petites (bleu).
Sans les pollinisateurs du soir, de nombreuses fleurs qui émettent leur parfum à la tombée de la nuit, comme ce tabac, auraient beaucoup de mal à assurer leur rôle reproducteur. © Damon Taylor, Flickr, CC by-nc-sa 2.0
Grâce à cette petite modification des capteurscapteurs au sein des cellules sensibles de leurs yeux, certaines espèces d'abeilles ont pu occuper une nouvelle niche écologique : elles sont capables de butiner à la tombée du jour. Au niveau physiologique, elles ont perdu la sensibilité aux UV que possèdent les autres abeilles pour se rapprocher d'une vision observée chez des insectes comme les cafards, plus à l'aise dans la pénombre.
Plusieurs avantages à cela. D'abord elles échappent à la concurrence des autres insectes consommateurs de nectar, qui fait ragerage dans la journée. Elles sont également moins soumises aux attaques des prédateurs traditionnels comme les oiseaux insectivores, même si depuis leur apparition il y a des millions d'années, des prédateurs spécialisés se sont développés. Enfin, ce sont les fleurs du soir, ne s'ouvrant qu'au crépusculecrépuscule, qui y trouvent peut-être le plus grand bénéfice. Sans ces abeilles couche-tard, elles devraient surtout compter sur le vent (ou dans certains cas, sur des chauves-souris) pour être pollinisées. Ces fleurs et les halictes ont d'ailleurs dû synchroniser leurs horaires d'activité au fil de l'évolution.
Retour à la lumière pour une espèce
L'horloge moléculairehorloge moléculaire permet de retrouver l'âge du dernier ancêtre communancêtre commun entre deux espèces à partir de l'étude des mutations génétiques différenciant les deux espèces. Très anciens et communs à beaucoup d'espèces, les gènesgènes des opsines sont souvent utilisés pour ces recherches. Ici, les chercheurs ont aussi fait leurs calculs sur des gènes codant pour des protéines du noyau cellulaire, qui sont encore plus stables dans le temps. Avec cette technique, la période d'apparition des premières abeilles strictement adaptées à la pénombre est estimée au début du MiocèneMiocène, il y a environ 22 millions d'années.
Mais plus étonnant : la lignée la plus diverse, Megalopta, est plus éloignée du restant des espèces nocturnesnocturnes que d'un genre diurne appelée Xenochlora. En reconstruisant l'arbre phylogénétiquearbre phylogénétique des Halictes, l'équipe s'est rendu compte que Xenochlora était en fait issue d'ancêtres nocturnes. Une mutation génétique il y a environ 7 millions d'années lui a fait quitter le coté obscur ! Cette lignée a donc vécu un retour à la lumière après et cette voltevolte-face est peut-être en lien avec un changement dans son environnement.
L'étude publiée en juillet dans Nature ne cible qu'une opsine. Elle ne permet de dessiner que grossièrement l'histoire de ce groupe d'insectes et l'émergenceémergence de différences de mode de vie - ici diurne ou nocturne. Les chercheurs envisagent maintenant d'étendre leurs analyses à toutes les autres opsines de ces abeilles. Le but est de comprendre avec précision l'évolution des mécanismes à la base de leur vision et les comportements qui en découlent.