Chaque année, je pars à l'aventure dans l'une des zones les plus sauvages du monde pour enrichir mes connaissances sur la nature, le climat et la météo. En juin dernier, je suis partie en expédition dans un territoire légendaire, entre montagnes, glaciers et océan, avec un climat complètement fou et une faune aussi dangereuse qu'abondante… Bienvenue en Alaska !  


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    L'Amérique du Nord est mon second « chez-moi », et après avoir passé beaucoup de temps au Montana, mais aussi au Wyoming, en Arizona, au Texas, ou encore dans le grand ouest canadien, je pensais avoir déjà tout vu, ou presque. L'Alaska était l'étape suivante, The Last Frontier (« la dernière frontière »)), comme l'appellent les Américains, en raison de ses terres en partie encore inexplorées et dénuées de présence humaine.

    Beaucoup imaginent l'Alaska comme une terre hostile toute l'année, recouverte de glace, et au climat extrême. Mais l'Alaska, qui fait partie des États-Unis sans y être rattaché, est une région immense (trois fois la superficie de la France). Il y a donc plusieurs climats, avec de grandes variations au fil des saisons. Au sud et au centre de l'Alaska, près d'Anchorage, l'été est court, de mi-juin à mi-juillet, mais plutôt doux : 20 °C en moyenne l'après-midi, et 10 °C en moyenne le matin.

    J'ai bénéficié d'un temps exceptionnel, comme les habitants n'en ont pas connu depuis des années : jusqu'à 27 °C, sous un soleilsoleil quotidien, alors que cette zone est davantage connue pour sa grisaille. Le mont Denali, plus haut sommet d'Amérique du Nord (6 190 mètres d'altitude) a été visible plusieurs jours de suite grâce au ciel dégagé, alors qu'il est en général caché derrière les nuages.

    Le mont Denali (en blanc) parfaitement visible à bonne distance grâce au temps dégagé. © Karine Durand
    Le mont Denali (en blanc) parfaitement visible à bonne distance grâce au temps dégagé. © Karine Durand

    À cette latitudelatitude, les rayons UVUV sont extrêmement puissants, et les habitants ont coutume de dire qu'il faut rajouter au moins 5 °C de plus pour le ressenti ! Fin juin, la nuit n'existe pas, cependant pas d'inquiétude, toutes les chambres sont équipées de rideaux occultants. La lumièrelumière diminue à partir de minuit, puis repart vers 3 heures du matin. Entre les deux, pas de vraie nuit noire, juste une baisse marquée de la luminositéluminosité.  

    Le panorama le long de la rivière Matanuska, avec des montagnes encore légèrement enneigées à la fin du mois de juin. © Karine Durand
    Le panorama le long de la rivière Matanuska, avec des montagnes encore légèrement enneigées à la fin du mois de juin. © Karine Durand

    Les glaciers sont des organismes vivants

    L'Alaska est la région des glaciers par excellence, il y en aurait jusqu'à 100 000, et c'est bien ce qui m'a le plus époustouflée lors de mon aventure. Vus d'avion, les glaciersglaciers apparaissent absolument partout dans les terres de l'Alaska. En tant que spécialiste météométéo et climat, je considérais ces gigantesques amas de glace comme indispensables, mais je n'ai jamais été attirée par la neige et par la glace.

    Le sud de l'Alaska, avec ses nombreux glaciers et lacs glaciaires. © Karine Durand
    Le sud de l'Alaska, avec ses nombreux glaciers et lacs glaciaires. © Karine Durand

    Cependant, une fois devant, ou dessus, j'ai littéralement été fascinée par leur beauté. Mon expédition m'a emmenée en randonnée sur le glacier Matanuska, à seulement 1 000 mètres d'altitude, un glacier considéré comme l'un des plus beaux d'Amérique du Nord. Équipée de pics aux chaussures, j'ai marché 3 heures sur ce glacier en bonne santé aux côtés d'un expert.

    Avec un panorama aussi blanc, associé à l'intensité des rayons UV, il était impossible d'ouvrir les yeuxyeux sans des lunettes polarisées. Après les crevasses, les cascades (à l'eau si pure qu'il est possible de la boire directement, ou même de croquer des morceaux de glace) et les arches blanches, c'est une véritable cathédrale de glace qui s'est présentée à nous. Se trouver en plein cœur du glacier, entourée de son lac glaciaire duquel découle une rivière, fait prendre conscience d'une chose : les glaciers sont des organismes vivants, qui évoluent au fil des jours et permettent ensuite à l'ensemble de la vie de fonctionner, un peu comme une forêt.

    À la vue des traînées de sédimentssédiments noirs sur la glace, on comprend une chose : en plus de l'eau qu'ils déversent, c'est le mouvementmouvement des glaciers, constant, qui est à la base de la vie : en dispersant des sédiments sur des kilomètres, ils permettent aux micro-organismesmicro-organismes de se développer, et ensuite de nourrir, par exemple, les poissonspoissons des rivières qui alimenteront à leur tour les ours, mais aussi les humains. En déplaçant des rochers, parfois juste en quelques semaines, ils créent de nouveaux paysages et une nouvelle végétation encore plus riche.

    La cathédrale de glace du glacier Matanuska, à deux heures de route d'Anchorage. © Karine Durand
    La cathédrale de glace du glacier Matanuska, à deux heures de route d'Anchorage. © Karine Durand

    Si l'ascension du Matanuska reste l'une des plus belles expériences de ma vie, les glaciers m'ont réservé d'autres grands moments. J'ai pu approcher au plus près deux glaciers de maréemarée en bateau : le glacier Holgate qui est l'un des rares à continuer à grandir chaque année, et le glacier Aialik, tous deux situés dans le parc national de Kenai FjordsFjords. Les observer de très près permet de voir toute la structure de glace, presque géométrique, qui les compose.

    De loin, c'est juste un bloc de glace tout blanc, mais de près, c'est une structure d'une complexité incroyable. Je me souviendrai toujours du silence total des dizaines de personnes présentes sur le bateau lorsque nous nous sommes arrêtés devant : pas un mot, pendant 30 minutes, nous étions tous hypnotisés par le spectacle.

    Le glacier Holgate continue à grandir malgré le réchauffement climatique, contrairement à la plupart des autres glaciers. © Karine Durand
    Le glacier Holgate continue à grandir malgré le réchauffement climatique, contrairement à la plupart des autres glaciers. © Karine Durand

    L'Alaska est l'une des zones du monde les plus touchées par le réchauffement climatique. Le permafrostpermafrost fond à grande vitessevitesse en Alaska, et pour preuve, les routes s'effondrent un peu plus chaque année : certaines ressemblent de plus en plus aux rails des montagnes russes dans les parcs d'attractions ! La fontefonte du permafrost entraîne la formation de nouvelles vallées, et certains villages doivent déménager sous peine d'être engloutis. En Alaska, la réalité du réchauffement climatiqueréchauffement climatique est une évidence pour tous, mais ce sont ses causes qui font encore débat dans la population.

    Zoom sur une partie du glacier Aialik, un glacier de marée dans les fjords Kenai. © Karine Durand
    Zoom sur une partie du glacier Aialik, un glacier de marée dans les fjords Kenai. © Karine Durand

    Un feu d'artifice d'animaux en mer comme sur terre

    Une fois en mer, c'est un véritable feufeu d'artifice de faunefaune marine qui s'offre à nous : des baleines à bossebaleines à bosse se nourrissent en surface, des familles d'orquesorques entourent notre navire, des loutres de merloutres de mer semblent nous saluer, des marsouinsmarsouins nous escortent à grande vitesse, et les rochers sont remplis de lions de merlions de mer et de phoques. Sur terre, Anchorage a beau être une ville énorme, avec de nombreux buildings et de très larges routes typiquement américaines, les élans (moose) sont partout.

    Un grand mâle élan sur mon chemin, qui m'a obligée à effectuer un freinage d'urgence, lors d'une balade à vélo en pleine ville à Anchorage : les élans sont les mammifères les plus dangereux d'Amérique du Nord. © Karine Durand
    Un grand mâle élan sur mon chemin, qui m'a obligée à effectuer un freinage d'urgence, lors d'une balade à vélo en pleine ville à Anchorage : les élans sont les mammifères les plus dangereux d'Amérique du Nord. © Karine Durand

    Derrière leur apparente placidité, les élansélans sont les animaux les plus mortels d'Amérique du Nord. Ici, les ours noirsours noirs et grizzlis n'ont pas été habitués à la nourriture humaine, contrairement aux grands parcs nationaux du Wyoming et du Montana (Yellowstone en particulier). Ils ignorent donc les humains et les attaques sont très rares. À la fin du mois de juin, la végétation explose : les plantes fleurissent pendant deux semaines de l'année, avec de nombreuses plantes comestibles et médicinales : lupinlupin, arnicaarnica, valérianevalériane, mais aussi rose d'Alaska. Coup de chance, comme le temps est très sec depuis début juin, les moustiquesmoustiques ne sont quasiment pas de sortie. Je m'en sortirai tout de même avec une ou deux piqures par jour, pas grand-chose pour l'époque.

    Un grizzly dans la réserve sauvage de Girdwood. © Karine Durand
    Un grizzly dans la réserve sauvage de Girdwood. © Karine Durand

    Même pour les habitants, l'hiver reste un véritable challenge

    Même si je pars volontairement solo lors de mes aventures sauvages, je m'entoure toujours des meilleurs guides sur place. Et une question me démangeait en permanence : comment vit-on ici l'hiverhiver ? J'ai donc voulu interroger les locaux sur mon chemin, et cela n'a pas été facile : très peu de personnes restent sur place en hiver, la plupart migrent vers les autres États américains. Mais la réponse de ceux qui restent toute l'année m'a étonnée : awful (« horrible »).

    J'étais persuadée que les Alaskiens étaient tout à fait habitués aux conditions extrêmes, mais même pour eux, la période hivernale est un véritable challenge. Les locaux font leur provision dans des bocaux tout l'été (avec les fruits qu'ils récoltent), et dans leur congélateur (avec la viande issue de la chasse) pour se préparer à l'hiver. Lorsqu'il fait -50 °C, les voituresvoitures ne démarrent pas (ne leur parlez même pas de voitures électriques, c'est inconcevable là-bas !), les routes sont impraticables et il faut donc être prêt à survivre en autarcie pendant parfois plus d'un mois.

    En dehors des grandes villes comme Anchorage, le peu de commerces ouvert se trouve souvent à plus de 2 heures de route et les rayons sont en partie vides, faute d'approvisionnement. Mais plus que le froid, c'est le manque de lumière qui est difficilement supportable. En plein hiver, il fait jour entre 11 et 14 heures, mais le brouillardbrouillard et les nuages bas sont bien souvent quotidiens : tout comme il n'y a pas de vraie nuit en plein été, il n'y a quasiment pas de vrai jour l'hiver, surtout près des côtes.

    Le soleil est plutôt rare lors des journées hivernales dans le centre et le sud de l'Alaska. © Karine Durand
    Le soleil est plutôt rare lors des journées hivernales dans le centre et le sud de l'Alaska. © Karine Durand

    Mon guide pour le glacier Matanuska, pourtant souriant et plein d'enthousiasme, m'a confié souffrir de grave dépression saisonnière l'hiver. Je me rappelle avoir tout de suite remarqué les mains déformées de ma guide naturaliste au parc national de Denali : en discutant, cette femme d'une trentaine d'années m'a expliqué qu'elle et son mari souffraient d'importants problèmes aux os en raison du manque de lumière.  La cure de vitamine D est indispensable, et fort heureusement, les entreprises laissent sortir leurs employés à la mi-journée pour profiter des rares rayons solaires.

    La ville côtière de Seward offre des paysages magnifiques le long de la baie de la Résurrection. © Karine Durand
    La ville côtière de Seward offre des paysages magnifiques le long de la baie de la Résurrection. © Karine Durand

    Je repars de l'Alaska, chargée de nouvelles connaissances, mais aussi d'émotions. De tous mes séjours dans les grands espaces américains, je n'ai jamais vu autant de panoramas grandioses, tous les jours, absolument partout : l'association des crêtes montagneuses et des glaciers, avec l'océan, est un émerveillement quotidien. Malgré cette beauté omniprésente, la vie reste terriblement rude en dehors de la très courte période estivale. Mais, de l'avis de chaque personne rencontrée sur place, une seule raison les fait rester, et c'est exactement la même qui nous pousse à venir visiter l'Alaska : l'amour de la nature.