À l’occasion des 20 ans de Futura, Roland Lehoucq, astrophysicien au Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), s’associe à la rédaction pour vous proposer, tout au long de cette journée spéciale, des sujets qui font débat. Celui de la transition énergétique, par exemple. La crise climatique frappe en effet à notre porte. Après l’été que nous venons de vivre, elle semble même sur le point… de l’enfoncer. Alors il y a urgence. Urgence à s’engager dans cette fameuse transition qui, nous le promet-on, nous préservera des pires effets du réchauffement climatique. Comment ? La question n’est pas simple. Mais quelques experts ont accepté de guider notre réflexion.
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Transition énergétique. C'est le nom que l'on donne depuis quelques années maintenant à ce mouvementmouvement qui nous entraîne vers une modification de nos modes de production et donc aussi de nos habitudes de consommation de l'énergieénergie. Le tout pour répondre notamment à de nouvelles exigences environnementales. Et, avec en toile de fond, la lutte contre le réchauffement climatique. Demain sera « zéro émissionémission nette » ou ne sera pas.
« Nous vivons dans un monde où l'injonction est reine. Prenons l'exemple des transports. Les politiques nous ont fixé pour objectif le bannissement des moteurs thermiquesmoteurs thermiques à l'horizon 2035. Sans même se demander si cet objectif était seulement atteignable. Sans en mesurer les coûts ou les impacts. Et en vue de la date butoir, si l'objectif n'est pas atteint, ils n'hésiteront pas en fixer un nouveau, plus élevé encore. Parce que, quand les bornes sont dépassées, il n'y a plus de limite. Vous imaginez une entreprise procéder de la sorte ? », nous questionne Olivier Appert, membre de l'Académie des Technologies, juste avant de nous rappeler que « l'une des caractéristiques fondamentales du système énergétique, c'est qu'il évolue lentement. Avec des installations de production d'électricité dont la duréedurée de vie est d'une cinquantaine d'années ou un taux de renouvellement des équipements dans le résidentiel d'environ 1 à 2 % par an. » Mais comment cette inertieinertie structurelle peut-elle trouver son chemin dans le contexte d'urgence climatique que nous vivons actuellement ?
Décarboner nos consommations
« Il me semble que nous devrions aborder la question sous l'angle de la décarbonation de la consommation. Prenez le chauffage résidentiel, par exemple. Des solutions existent. Et s'il y a urgence, il faut leur donner la priorité », réclame Yves Bamberger, membre fondateur de l'Académie des Technologies et ancien directeur de la R&D chez EDF. Un clin d'œilœil totalement assumé à la nouvelle réglementation thermique du bâtiment qui, en France, continue d'encourager le recours au gazgaz fossile. « Décarboner les consommations, cela veut avant tout dire électrifier. Surtout dans un pays où l'électricité -- encore à 75 % d'origine nucléaire à ce jour -- est déjà largement décarbonée. »
Car, contrairement aux idées reçues, la France est assez loin du « pays du nucléaire et des radiateursradiateurs grille-pains ». Dans notre pays, la première énergie de chauffage... c'est le gaz ! Même au niveau européen, on pourrait imaginer qu'il existerait une volonté de diminuer les consommations de cette énergie fossile -- responsable de 20 % de nos émissions de gaz à effet de serregaz à effet de serre en France. Pourtant, dans la stratégie à l'horizon 2050, « le gaz joue un rôle clé » pour remplacer le charboncharbon dans la production d'électricité et pour le chauffage résidentiel.
Le saviez-vous ?
Pour satisfaire aux besoins d’un million de voitures électriques, il faut environ 1 gigawatt (GW) de puissance électrique installée. C’est globalement l’équivalent de la puissance d’un réacteur nucléaire. Sachant qu’il circule en France, quelque 38 millions de véhicules particuliers. Cela donne une idée de la puissance qui reste à installer dans les années à venir si l’on s’oriente vers un parc totalement électrique dans notre pays qui dispose actuellement d’une puissance nucléaire installée d’environ 60 GW…
Alors bien sûr, tous s'accordent à dire que nous allons devoir, en parallèle, à la fois réduire nos consommations et améliorer notre efficacité énergétique. La Stratégie nationale bas carbonecarbone (SNBC) prévoit ainsi de diviser notre consommation par deux d'ici 2050. « Je me méfie du terme de sobriété énergétiquesobriété énergétique qui fleure bon l'idéologie de la décroissance. Personne ne va l'accepter », commente Olivier Appert. Pourtant, il y a, derrière la sobriété, de nouvelles habitudes de consommation qui pourraient être adoptées très vite. En accord avec l'urgence climatique. « Contrairement aux autres solutions proposées qui seront plus longues à mettre en œuvre et qui reposent parfois sur des paris technologiques loin d'être gagnés », remarque de son côté Roland LehoucqRoland Lehoucq, astrophysicienastrophysicien au CEA.
« L'efficacité énergétique, en revanche, c'est un must. Les industriels l'ont intégré. Mais les évolutions ne peuvent se faire qu'à l'occasion de renouvellements d'équipements et tant que l'investissement reste intéressant comparé aux opportunités offertes par d'autres pays, peut-être moins regardants », poursuit Olivier Appert. Ainsi, une meilleure efficacité énergétique n'est pas à attendre pour demain. Et notez qu'il faudra veiller à éviter l'effet rebond, celui qui encourage ceux qui ont gagné en efficacité à un usage plus intensif avec, à la clé, une consommation stable, voire accrue. « La sobriété peut nous en préserver. Tout comme elle peut nous éviter une certaine fuite en avant vers des sources d'énergie qui finiront par devenir aussi problématiques que les sources fossiles le sont aujourd'hui », estime Roland Lehoucq.
Du côté des particuliers, « il est plus utile de remplacer une chaudière au mazoutmazout par une pompe à chaleurpompe à chaleur que d'isoler. Réduire la consommation d'une maison de 10 %, ce n'est pas la même chose que réduire ses émissions en remplaçant le mazout par l'électricité. On peut réduire les émissions sans réduire la consommation. Il y a une vraie confusion entre l'idée de "energy efficiency first" et celle de "low carbon emission first" qui devrait lui être préférée », souligne Yves Bamberger.
Une transition énergétique à la carte
Si la réflexion sur la consommation semble donc devoir être préliminaire, elle doit tout de même être en lien étroit avec la réflexion sur la production. « Certains pensent que, pour alimenter les pompes à chaleur qui auront remplacé les chaudières au mazout, nous ferons tourner les centrales à charbon polonaises. Pour éviter cela, il suffit, en parallèle de la réflexion sur les consommations, de prévoir de doter la France de moyens supplémentaires de production d'une électricité décarbonée », ajoute Yves Bamberger.
“Du 100 % renouvelable en France, ce n’est rien d'autre qu’un beau slogan”
« La transition dépend aussi des pays, de leur état de développement économique et de leurs ressources propres », nous signale Olivier Appert. Dans l'Union européenne, un peu plus de 70 % de l'énergie consommée est encore une énergie fossile. Dans le monde, le chiffre monte même à 80 %. Et cela rend notamment nos pays européens fortement dépendants des importations de pétrolepétrole, de charbon et de gaz. « La Belgique, qui ne dispose pour ainsi dire d'aucune ressource naturelle, vient de décider de fermer ses centrales nucléairescentrales nucléaires d'ici 2025 et de se lancer dans la constructionconstruction... de centrales à gaz. C'est une aberrationaberration. L'Islande, en revanche, grâce à des ressources géothermales et hydroélectriques considérables, peut facilement envisager un bouquet -- un mix, comme disent les anglophones -- fondé sur des énergies renouvelablesénergies renouvelables. L'Espagne peut compter sur son fort ensoleillement. Cependant, dire que l'avenir de la France sera 100 % renouvelable, ce n'est pas plus qu'un beau slogan. »
Certains, pourtant, avancent que c'est possible, s'appuyant notamment sur la conclusion du rapport publié en janvier dernier par Réseau de Transport de l'Électricité (RTERTE) et l'Agence Internationale de l'Énergie (AIE) sur « les conditions d'un système électrique à forte part d'énergies renouvelables en France à l'horizon 2050 ». Mais, selon Olivier Appert, « ces conditions justement, sont tellement excessives, que cela nuance forcément cette conclusion ». Les auteurs du rapport reconnaissent d'ailleurs « qu'il n'existe aucune expérience d'exploitation de tels systèmes à grande échelle » et que « la question de savoir si ces scénarios sont socialement souhaitables ou attrayants » ou encore la question « de leur coût et de leur viabilité financière » ne sont pas prises en compte. Et Fatih Birol, le directeur exécutif de l'AIE lui-même de reconnaître finalement que « ce serait une erreur pour la France de se passer de son programme nucléaire. »
« Bien sûr que l'on peut aspirer à 100 % d'énergies renouvelables, mais est-ce vraiment possible ? Est-ce que l'on peut se passer de sources d'énergie pilotables ? Pour moi, la réponse est clairement non. Aujourd'hui, on ne sait pas comment faire techniquement », confirme Stéphane Sarrade.
Il y a quelques semaines toutefois, RTE publiait un nouveau rapport sur le futur énergétique de la France. « Ce document nous montre comment un bouquet énergétiquebouquet énergétique 100 % renouvelable pourrait être atteint. À condition de consacrer toutes les bioénergiesbioénergies à produire du biogazbiogaz ou de brûler du méthane [ce gaz fossile que l'on appelle historiquement, du gaz naturelgaz naturel, ndlr] tout en captant et en stockant le carbone produit par la combustioncombustion », souligne Dominique Vignon, président du Pôle énergies de l'Académie des technologies. « Ce rapport confirme en revanche -- comme l'avaient déjà suggéré des travaux de l'Académie des Technologies -- qu'un mix à 100 % renouvelable serait très coûteux. De ce point de vue, le mieux serait donc bien un bouquet combinant nucléaire et renouvelables. »
Du nucléaire et du renouvelable
« Si la priorité est de décarboner, alors la priorité n'est pas de démanteler notre parc nucléaire. Il faut développer les énergies renouvelables. Tout en nous rappelant que le ventvent ne souffle pas tout le temps. Que le soleilsoleil ne brille pas tout le temps. Si nous aspirons à construire une société aussi inclusive que possible, il faut aussi penser à une évolution de notre coût de l'énergie qui reste raisonnable », développe pour nous Yves Bamberger. C'est un peu la leçon que nous pourrions tirer de l'exemple allemand. Sur les dix années écoulées, leur transition énergétique leur a coûté près de 600 milliards d'euros. Aujourd'hui, un Allemand paie son électricité deux fois plus cher qu'un Français. Une électricité qui émet cinq fois plus de CO2 ! « Historiquement, l'Allemagne avait des raisons compréhensibles de vouloir se débarrasser d'un nucléaire marqué des menaces de la guerre froide qui ont nourries les idéologies anti-nucléaires. Mais, au regard de son ambition énergétique et du développement industriel auquel le pays veut prétendre, du niveau de vie qu'il souhaite maintenir pour ses citoyens et du fait que l'urgence climatique, c'est maintenant, quelle position l'Allemagne va-t-elle réellement pouvoir tenir ? », interroge Stéphane Sarrade.
“Se priver d’une électricité bon marché en fermant les centrales nucléaires existantes (…) me paraît absurde”
« Se priver d'une électricité bon marché en fermant les centrales nucléaires existantes, dans le contexte actuel et pour les 20 ans qui viennent, cela me paraît absurde. En revanche, peut-être qu'il faut penser aussi à l'hydraulique », ajoute Yves Bamberger. Aujourd'hui, environ 13 % de notre production d'électricité est assurée par les barrages. C'est la première source d'énergie renouvelable en France. Mais elle ne devrait pas beaucoup progresser. « Personne n'acceptera de noyer des vallées en Savoie ! », remarque Stéphane Sarrade.
Toutefois, « en rêvant un peu, on peut envisager des systèmes de production marémoteurs », reprend Yves Bamberger. Même s'ils ne suffiront pas à produire toute l'électricité dont aura besoin notre pays. La France a déjà fait preuve d'innovation en la matièrematière, d'ailleurs, du côté de la Rance. « Comme le solaire et l'éolien, le marémoteur, ce n'est pas continu. Mais le grand avantage, c'est que c'est programmable. On sait quand les marrées vont arriver. Et nous aurions un site idéal pour construire une grande usine marémotrice : la baie du Mont-Saint-Michel et ses maréesmarées d'une puissance phénoménale. Malheureusement, au plan sociétal, ce n'est pas acceptable. C'est le phénomène du "not in my back yard" -- comprenez "pas dans mon jardin" -- ou plus généralement, du "banana" pour "build absolutly nothing anywhere near anybody" -- comprenez, "ne construisez absolument rien à proximité de qui que ce soit" -- auquel sont confrontées toutes les constructions énergétiques », nous fait remarquer Olivier Appert.
Toutes les solutions bas carbone
« Je crois que nous devrions aspirer à utiliser tout ce que nous pouvons. Mais nous manquons sûrement d'un peu d'audace en la matière », estime Yves Bamberger. « Nous aurons besoin de toutes les énergies bas carbone », confirme Stéphane Sarrade.
Un peu de gaz vert, également, alors ? Parce que si la combustion du biogaz émet du CO2, il s'agit de CO2 qui avait précédemment été piégé par la croissance des plantes. En plus, il permet d'éviter les émissions dues aux déchetsdéchets agricoles qui se décomposent en plein airair. Son bilan carbonebilan carbone est donc plutôt positif. Même s'il ne faut pas oublier de tenir compte des processus de fabrication et des fuites éventuelles. Toutefois, aujourd'hui, la production française est infime. Elle ne dépasse pas 0,5 % de la consommation de gaz.
Le Comité de prospective de la commission de régulation de l’énergie (CRE) montre malgré tout un potentiel. Mais pas de ressources considérables. Pour éviter la concurrence avec les usages alimentaires, elles pourraient se limiter à celles que les experts appellent cultures intermédiaires pour la valorisation énergétiquevalorisation énergétique (CIVECIVE). « Il n'est pas question ici de valoriser des déchets, mais bien de cultiver à dessein, entre les cultures alimentaires. C'est intéressant, mais cela a un coût non négligeable. Pour le faire baisser, il faudrait jouer sur l'effet de taille. Et c'est là que ressurgit le phénomène "banana" », nous explique Olivier Appert.
La question de la flexibilité
Pour revenir plus précisément au mix électrique, en France, l'idée est assez simple : augmenter la part des énergies renouvelables -- qui était d'environ 25 % en 2020 -- et diminuer celle du nucléaire -- car il n'est pas non plus la panacée et pourrait souffrir du réchauffement des eaux et d'une augmentation des coûts nécessaires à garantir sa sûreté face à la multiplication des événements météorologiques extrêmes. Mais il faudra faire les choses progressivement. Car ces énergies renouvelables que l'on pousse, l'éolien -- près de 8 % du bouquet électrique en 2020 -- et le solaire -- à peine plus de 2 % du bouquet en 2020 --, sont ce que l'on peut appeler des énergies intermittentes. Et cette intermittence devra être compensée par ce que les experts appellent des moyens de flexibilité.
Pour repenser le monde de demain, Roland Lehoucq propose de se tourner vers les écofictions, qui imaginent des solutions pour un futur plus responsable. © Futura
« La transition énergétique, on peut la voir comme un triangle. Si on place la production décarbonée sur le premier sommet, le deuxième sera occupé par la flexibilité et le stockage -- le troisième, qui sera abordé plus loin, par le réseau et le transport de l'énergie », nous explique Stéphane Sarrade. « Nous allons devoir développer, dans des conditions de sûreté et de sécurité qui ne sont pas négociables et avec un coût technico-économique cohérent, des centrales nucléaires encore plus adaptables. En fonction de la présence de soleil ou de vent, il nous faudra pouvoir éteindre ou faire tourner à 100 % notre production nucléaire. C'est d'elle que viendra notre flexibilité. » D'elle et de solutions de stockage. Les batteries, bien sûr. Mais elles ne serviront guère plus qu'à alimenter nos véhicules électriques ou quelques applicationsapplications de ce type. « On ne peut pas imaginer compter sur des batteries pour stocker les besoins du pays entier sur 15 jours -- l'intervalle de temps sur lequel il peut manquer de soleil et de vent », poursuit Stéphane Sarrade. D'autant que pour fabriquer des batteries, il faut de l'énergie. Et des matériaux. Ainsi, aujourd'hui en France, la quasi-totalité des capacités de stockage tient en quelques stations de transfert d'énergie par pompagestations de transfert d'énergie par pompage, celles que les spécialistes appellent les STEPs. Des capacités de stockage hydrauliques, donc.
« Le problème de la flexibilité du système électrique est un enjeu majeur qui va nous exploser à la figure », confirme Olivier Appert. En janvier dernier, déjà, un incident sur le réseau, quelque part entre la Serbie et la Croatie a coupé la plaque électrique européenne en deux. RTE a été contraint de mobiliser la totalité des moyens de flexibilité et émis une recommandation appelant à réduire les consommations. La menace de black-out plane. Partout dans le monde. Au Texas, à la mi-février, les prix se sont envolés à l'équivalent de près de 8.000 euros le mégawattheure alors que nous nous situons, en France à une moyenne d'environ 150 euros ! En cause, une vaguevague de froid, d'abord, qui a perturbé les productions de gaz et le fonctionnement des centrales électriques. Et des conditions anticycloniques qui ont éloigné le soleil et le vent. Pour certains, là encore, la réduction de nos consommations à long terme, une forme de sobriété énergétique, pourrait aider à éviter le pire.
L’hydrogène comme solution miracle ?
« Parmi les solutions, il y a aussi l'hydrogènehydrogène », avance Stéphane Sarrade. Car l'hydrogène, faut-il le rappeler, n'est pas une source d'énergie, mais un simple vecteur d'énergie. L'hydrogène doit être produit. À partir d'une électricité décarbonée, de préférence. « Vous pouvez ainsi stocker cette électricité en attendant de reconvertir l'hydrogène en électricité grâce à une pile à combustiblepile à combustible [notez toutefois que l'efficacité de l'opération est très faible, elle ne dépasse pas les 30 %, ndlr]. Vous pouvez aussi envisager d'injecter l'hydrogène dans les réseaux de gaz ou encore, d'en faire un carburant. L'hydrogène aussi apporte de la flexibilité. »
L'hydrogène serait-il alors la solution miracle que nous cherchons tant ? « Les politiques et ma concierge pensent que oui. Mais vous imaginez bien que ce n'est pas si simple », tempère Olivier Appert. Produire de l'hydrogène dit vert -- à partir d'énergie solaire ou éolienneéolienne -- coûte toujours très cher. Trop cher pour les industriels qui voudront continuer à profiter d'un hydrogène bon marché produit à partir d'hydrocarbureshydrocarbures, celui que l'on appelle l'hydrogène gris. Pour les véhicules particuliers, l'hydrogène va entrer en concurrence avec le véhicule électrique plus classique. « Pour le transport ferroviaire, par exemple, son intégration pourrait faire monter les prix des billets de 30 à 40 % », nous fait remarquer Olivier Appert. « C'est aussi une fausse bonne idée de vouloir le mélanger au gaz fossile. L'hydrogène est 5 à 10 fois plus cher. C'est comme si vous espériez vendre un mélange grand cru/piquette au prix de la piquette. » Et il ne suffirait pas d'augmenter la taxe carbonetaxe carbone pour régler le problème. Car augmenter le prix du carbone ne ferait qu'entraîner une hausse des prix de l'électricité, et donc, des prix de l'hydrogène verthydrogène vert.
Certains ont déjà estimé leurs besoins futurs en hydrogène. L'Allemagne, par exemple, estime qu'elle aura besoin de 280 TWh d'électricité chaque année rien que pour produire son hydrogène. C'est un peu plus de la moitié de la production nucléaire française actuelle. Il apparaît donc évident pour Stéphane Sarrade que, dans le futur, « la demande colossale en hydrogène ne pourra pas être satisfaite par les seules énergies renouvelables. »
Sauf à imaginer faire produire cet hydrogène par des pays gorgés de soleil, par exemple. « Ce serait une bêtise. La transition énergétique doit se faire pour tout le monde et en cohérence. Pour produire un litre d'hydrogène, il faut dix litres d'eau douceeau douce. Ce serait de l'inconscience de demander ce sacrifice à des pays du Maghreb qui subissent déjà une situation de stress hydriquestress hydrique », nous fait remarquer Stéphane Sarrade. D'autant que, compte tenu de l'importance des investissements nécessaires, il semble de toute façon préférable de produire de l'hydrogène à partir d'une électricité disponible sur les réseaux et pas seulement quand le soleil brille. »
Pour cela, il faudra structurer une filière française. C'est un peu l'idée défendue par le plan France 2030. « Parce que nous avons des atouts, nous assure Olivier Appert. Et pour éviter le naufrage que nous avons connu avec les énergies renouvelables. » Il ne faudra pas oublier non plus de traiter la question importante de la sécurité. Car nous avons peut-être tendance à oublier un peu vite que l'hydrogène est un produit dangereux. « Ses limites d'explosivité sont larges. Un mélange air-hydrogène peut exploser entre 5 et 95 %. Pour un mélange air-gaz fossile, c'est seulement entre 25 et 35 %. L'énergie d'explosivité de l'hydrogène est, quant à elle, très faible. Une simple étincelle peut déclencher une explosion avec des effets détonants en prime. C'est un produit dont il faut se méfier. Les industries qui l'emploient sont classées Seveso. Vous comprendrez que l'idée de mettre de l'hydrogène à disposition de tout le monde m'inquiète », nous confie le membre de l'Académie des Technologies.
Des réseaux pour soutenir la transition
Sur le dernier sommet du triangle de la transition énergétique, après la production décarbonée et les solutions de stockage et de flexibilité, se trouve le réseau. « Pour lutter contre le réchauffement climatique, nous devons décarboner. Décarboner nos usages, notre industrie, notre mobilité. Et pour ce faire, nous n'avons pas tellement d'autre choix que de passer par l'électricité. Nous allons en utiliser de plus en plus et devoir en produire de plus en plus. Avec des moyens intermittents ou pilotables. Sans, bien sûr, qu'il y ait rupture. Notre vision classique des réseaux est en train d'exploser », nous explique Stéphane Sarrade.
C'est déjà l'interconnexion du réseau européen qui rend la transition allemande possible. « Parce que les Allemands peuvent nous acheter de l'électricité nucléaire quand le vent ne fait pas tourner suffisamment leurs éoliennes. Parce qu'ils peuvent, aussi, nous payer pour effacer nos installations nucléaires pilotables et accepter ainsi sur le réseau une production (trop) importante issue des éoliennes installées dans le nord du pays, par exemple. »
C'est la raison pour laquelle Dominique Vignon, président du Pôle énergies de l'Académie des Technologies, ne croit pas en la décentralisation de la production. « L'idée que tout le monde va produire son énergie dans son jardin ou sur son toittoit ou acheter de l'énergie produite à côté de chez soi est fausse. C'est de l'ordre de l'idéologie ! La transition énergétique ne peut pas se faire comme ça. Nous avons besoin de grands centres de production. D'ailleurs, les parcs éoliens offshore britanniques affichent une puissance comprise entre 1 et 2 GW, c'est la puissance d'une centrale nucléaire. »
Transition énergétique et développement durable
« Il ne faut surtout pas oublier que la transition énergétique doit se faire dans un contexte de développement durabledéveloppement durable. Elle doit intégrer une dimension sociétale et économique. Parce que, pour une grande part de la population mondiale, ces dimensions-là constituent un enjeu majeur du quotidien », ajoute Oliver Appert en guise de conclusion. « La décroissance proposée par négaWatt n'est pas compatible avec les souhaits des citoyens. Il faut donc l'écarter », complète Dominique Vignon.
On pourrait y opposer que les souhaits des citoyens ne sont peut-être pas non plus en phase avec la survie de l'espèceespèce humaine. Pourtant, la transition énergétique doit impérativement tenir compte des aspects sociaux. Peut-être en contraignant les plus aisés à un maximum d'efforts pour permettre aux moins favorisés d'élever tout de même leur niveau de vie dans une société globalement plus sobre en énergie. « La transition énergétique doit d'abord être une transition sociale », assure Roland Lehoucq. Sans quoi, elle ne sera pas durable.
“Nous n’avons plus le luxe de pouvoir opposer les solutions”
« En Europe, nous semblons n'avoir plus qu'une idée en tête : remplacer les centrales nucléaires par des éoliennes. Pourquoi ? Pour donner l'exemple ? Vous croyez vraiment que Poutine, Bolsonaro et Xi Jinping vont avoir honte et nous suivre ? », questionne encore Oliver Appert. Voilà désormais plus de 20 ans que la fin du pétrole est évoquée. L'AIE appelle maintenant à cesser les investissements dans l'exploration et la production de pétrole et de gaz. Pour atteindre le zéro émission nette, il faudrait ramener la part des énergies fossiles dans les bouquets énergétiques à 20 %. Au début des années 1990, elle était de l'ordre de 82 %. Au début des années 2000, elle était toujours de quelque 80 % ! C'est dire le chemin qui reste à parcourir. « Au rythme actuel, notre budget carbone sera épuisé dans 20 ans seulement. Il faut aller vite. Plus vite que tout ce qui est envisagé jusqu'ici. Et sans nucléaire, ce ne sera pas possible. Si on veut rester sérieux, il faut s'y mettre tout de suite », assure Dominique Vignon. « Aujourd'hui, nous n'avons plus le luxe de pouvoir opposer les solutions. Nous ne pourrons pas faire sans le nucléaire. Nous ne pourrons pas non plus faire sans les énergies renouvelables. Opposer les deux, ça peut être intéressant d'un point de vue politique ou idéologique. Mais, dans la réalité du monde, ça ne rime à rien. Nous n'avons pas à choisir un camp », martèle Stéphane Sarrade.
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