Alors que la vie connaît une phase d’accélération au Cambrien, il y a 540 millions d’années, des scientifiques montrent que cette « explosion » est également associée à une hausse significative des taux de phosphore dans les roches continentales, témoignant des étroites interactions qui se jouent entre les processus géologiques et biologiques.
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On a tendance à dissocier les processus géologiques des processus biologiques. Ainsi, on parle souvent de « géosphère » et de « biosphère », comme s'il s'agissait de deux « mondes » évoluant de manière séparée. C'est pourtant loin d'être le cas. Car la vie n'aurait pu se développer sans les étroites interactions qu'elle entretient avec les réactions géochimiques. De même, la Terre ne ressemblerait pas à ce qu'elle est sans les processus biologiques qui se jouent à sa surface. Ces deux « mondes » sont ainsi étroitement mêlés, et cela depuis l’apparition des premiers germes de vie, il y a plus de 4 milliards d'années.
L'empreinte de la vie est ainsi partout sur Terre, où que nous posions notre regard, que ce soit à 10 000 mètres au fond des océans ou sur les plus hauts sommets du globe. Mais il n'y a pas que sa surface qui soit ainsi marquée au ferfer rouge. La Terre porteporte en effet la marque de la vie jusque dans la composition des roches de ses continents. Les hautes falaises de craies de Normandie, ou encore les grandes barres calcaires des Alpes ne sont que les résultats de millions d'années d'accumulation de dépôts d'origine biologique. Mais ce marquage est encore plus profond, et s'observe à un degré bien plus infime.
Une flambée de phosphore au moment de l’explosion cambrienne
Il y a environ 540 millions d'années, la vie connaissait un tournant majeur avec une diversification rapide et de grande envergure des espèces vivantes. Cet événement est connu sous le terme « d'explosion cambrienne » et marque le passage d'organismes simples, à corps mous, à des créatures bien plus complexes dotées de coquillescoquilles ou de squelettes. Or, ce changement d'ordre biologique est étonnamment corrélé avec une modification chimique des roches de la croûte continentalecroûte continentale. Une équipe de chercheurs a en effet noté qu'à ce moment-là, les quantités de phosphorephosphore dans les roches ont brusquement triplé. C'est en étudiant les variations de composition chimique de la croûte terrestrecroûte terrestre au cours des 3 derniers milliards d'années que les scientifiques ont fait cette découverte, publiée dans la revue Science Advances.
À partir de 540 millions d'années, la vie aurait ainsi commencé à impacter durablement la composition de la partie supérieure de la croûte, permettant, dans le même temps, aux processus biologiques de s'auto-entretenir. Car le phosphore est l’un des six ingrédients clés essentiels à la vie terrestre, avec le carbonecarbone, l'hydrogènehydrogène, l'azoteazote et le soufresoufre.
Cycle du phosphore : entre processus géologiques et biologiques
Le phosphore joue d'ailleurs un rôle particulier. Présent au sein des minérauxminéraux de la croûte, il n'est en effet pas facilement accessible à la vie et agit ainsi souvent en tant qu'élément limitant, notamment pour le développement de la vie océanique. Pour pouvoir être utilisé lors de réactions biochimiques, le phosphore doit donc d'abord avoir été extrait des roches. La mise à disposition du phosphore se fait notamment par l'action des eaux de pluie sur les surfaces continentales, qui dégradent et altèrent les minéraux. Le phosphore ainsi libéré est ensuite emporté par les cours d'eau jusque dans les océans où il devient biodisponible. L'élément peut alors être métabolisé par les micro-organismesmicro-organismes se trouvant à la base de la chaîne alimentairechaîne alimentaire comme le planctonplancton ou les alguesalgues.
La boucle est bouclée lorsque ces organismes ayant ingéré du plancton meurent. Le phosphore qu'ils contiennent va ainsi retourner à l'océan grâce à l'action des bactériesbactéries qui vont dégrader cette matièrematière organique.
Une mise à feu grâce à une augmentation des taux d’oxygène
Or, pour faire ce travail, les bactéries ont besoin d'oxygène. Pour les scientifiques, c'est donc cet élément qui aurait joué un rôle clé au CambrienCambrien. Alors que les quantités de phosphore disponible sont plutôt limitées, une augmentation des taux d'oxygène aurait boosté les bactéries, leur permettant de dégrader plus efficacement la biomassebiomasse océanique et de libérer ainsi de grandes quantités de phosphore qui sont ensuite venues se concentrer dans les sédimentssédiments déposés au niveau des zones côtières peu profondes.
C'est ensuite au tour des grands processus géologiques d'intervenir pour remettre ce phosphore à disposition des micro-organismes : enfouissement des sédiments, diagenèsediagenèse (formation d'une roche dure) et mouvementsmouvements tectoniques. En soulevant ces unités de roches sédimentairesroches sédimentaires enrichies en phosphore au sein d'une chaîne de montagnes, par exemple, la tectonique des plaquestectonique des plaques a permis l'enrichissement de la croûte continentale en cet élément si précieux pour la vie, le remettant à la merci des processus d'altération.
À partir du Cambrien, on note ainsi une augmentation constante des flux de phosphore vers l'océan soutenant le développement de la vie océanique. Un exemple parmi d'autres qui montre que la Terre est un système fermé où processus biologiques et géologiques interagissent étroitement pour soutenir la vie terrestre.