En modélisant précisément la composition et la viscosité de l’océan de magma qui occupait la Terre primitive il y a 4,5 milliards d’années, des scientifiques ont établi que cet océan de roches en fusion aurait cristallisé en seulement quelques millions d’années, bien plus rapidement qu’on ne le pensait.


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    Il y a 4,5 milliards d'années, la Terre était bien loin de ressembler à cette délicate sphère bleue que les astronautesastronautes se plaisent à photographier aujourd'hui. La surface de la jeune planète était alors recouverte d'un océan de roches en fusionfusion. Un monde infernal qui a pourtant donné naissance aux continents et aux océans que nous connaissons, résultat d'une suite évolutive complexe, qui a nécessairement débuté par le refroidissement et la solidificationsolidification de cet océan de magma primitif.

    Une étape cruciale sur laquelle nous ne possédons que très peu de données. Pourtant, pour comprendre comment se sont formées les différentes enveloppes terrestres (croûtecroûte, manteaumanteau, noyau) et l'origine de leur composition chimique actuelle, il est nécessaire de pouvoir estimer la vitessevitesse à laquelle cet océan de magma s'est solidifié.

    La cristallisation de l’océan de magma : une étape essentielle dans l’histoire de la Terre

    Car le refroidissement d'un magma s'accompagne de la cristallisation de différents minérauxminéraux, qui vont ensuite venir former les roches solidessolides des différentes enveloppes. Mais cette cristallisation ne se produit pas n'importe comment. L'ordre, comme la nature des cristaux qui vont se former, va en effet dépendre de la température du magma et de la vitesse de refroidissement. Ensuite, les cristaux les plus denses vont couler dans les profondeurs de cet océan de magma. Cette soustraction minérale va ainsi modifier la composition du magma restant et donc influencer la nature des prochaines phases minérales à cristalliser. Or, la façon dont les cristaux vont couler, mais également la vitesse à laquelle le magma va cristalliser au fur et à mesure, va dépendre de la viscositéviscosité du magma lui-même. En effet, moins un magma est visqueux, plus il va refroidir rapidement, et inversement.

    Diagramme schématique montrant les principes de la cristallisation fractionnée au sein d’un réservoir magmatique. Alors que la température décroît, la composition du magma évolue au fur et à mesure de la cristallisation des différents minéraux. © Woudloper, <em>Wikimedia Commons</em>, CC by-sa 3.0
    Diagramme schématique montrant les principes de la cristallisation fractionnée au sein d’un réservoir magmatique. Alors que la température décroît, la composition du magma évolue au fur et à mesure de la cristallisation des différents minéraux. © Woudloper, Wikimedia Commons, CC by-sa 3.0

    La difficulté, dans la compréhension de ce phénomène et sa modélisationmodélisation, est d'intégrer les variations de viscosité liées à l'augmentation de la pressionpression avec la profondeur, et son évolution au cours du temps, selon l'avancement de la cristallisation. Car l'océan de magma n'était pas que superficiel, il s'étendait sur plusieurs milliers de kilomètres de profondeur. Or, les expériences réalisables en laboratoire ne permettent pas de reproduire de telles conditions de pression.

    Une cristallisation complète en seulement quelques millions d’années

    Pour reproduire ces conditions et modéliser le refroidissement de l'océan de magma primitif de la Terre, une équipe de chercheurs a donc réalisé des simulations numériquessimulations numériques en utilisant un supercalculateursupercalculateur. Six mois de calculs ont été nécessaires à l'obtention d'un modèle à la précision jusque-là inégalée.    

    La simulation de la cristallisation de l'océan de magma primitif a permis de mieux estimer la durée du phénomène. © Suraj Bajgain,<em> Lake Superior State University</em>
    La simulation de la cristallisation de l'océan de magma primitif a permis de mieux estimer la durée du phénomène. © Suraj Bajgain, Lake Superior State University

    Jusqu'à présent, on pensait que plusieurs centaines de millions d'années auraient été nécessaires à la cristallisation complète de l'océan de magma. Mais ces nouveaux résultats viennent drastiquement raccourcir cette duréedurée à seulement quelques millions d'années. L'étude a été publiée dans la revue Nature Communications.

    Pour effectuer leur modélisation et comprendre également l'origine de la diversité chimique que l'on observe au sein du manteau inférieur, les scientifiques se sont basés sur l'analyse de basaltes échantillonnés en deux endroits différents du globe et qui montrent des compositions bien distinctes. Il s'agit des basaltes produits au niveau des dorsales océaniques (MORB pour Mid-Oceanic Ridge BasaltsMid-Oceanic Ridge Basalts) et des basaltes produits au niveau de points chauds comme Hawaii (OIB, Ocean Island BasaltsOcean Island Basalts). Cette diversité de composition chimique est associée à l'hétérogénéité du manteau source. Une hétérogénéité qui prendrait son origine au moment de la cristallisation de l'océan de magma primitif et dans la façon dont le processus s'est effectué.

    Les basaltes qui sortent au niveau des dorsales océaniques n'ont pas la même composition chimique que ceux produits au niveau des points chauds en raison de l'hétérogénéité du manteau. © NOAA, domaine public
    Les basaltes qui sortent au niveau des dorsales océaniques n'ont pas la même composition chimique que ceux produits au niveau des points chauds en raison de l'hétérogénéité du manteau. © NOAA, domaine public

    Une faible viscosité du magma à l'origine des hétérogénéités chimiques du manteau

    D'après les résultats de l'étude, cette diversité chimique serait bien expliquée par un océan de magma ayant une faible viscosité, permettant une séparationséparation rapide des cristaux en suspension et donc une évolution tout aussi rapide de la composition du magma résiduel. Ce processus bien connu s'appelle la cristallisation fractionnée. Sa réalisation à grande échelle pendant le refroidissement de l'océan de magma serait ainsi à l'origine de la stratification actuelle du manteau terrestre.

    Cette étude devrait permettre de mieux contraindre l'évolution géologique primaire de la Terre durant les premiers millions d'années après sa formation.


    Terre : sa rotation rapide aurait influencé le refroidissement de son océan de magma

    Un groupe de géophysiciens étudie depuis quelques années l'effet de la rotation de la Terre, autrefois rapide, sur le refroidissement de son océan de magma il y a presque 4,5 milliards d'années. Cet effet pourrait avoir influencé la structure actuelle de la Terre et son histoire passée.

    Article de Laurent SaccoLaurent Sacco publié le 8 avril 2019

    De Descartes à Buffon, c'est à dire pendant presque deux siècles, les spéculations plus ou moins basées sur les débuts de la science classique et sur les observations vont se multiplier concernant l'intérieur de la Terre et son origine. Ce n'est vraiment qu'au cours du XIXe siècle, lorsque la géologiegéologie naît en tant que science, que les modèles de l'intérieur de la Terre vont également devenir scientifiques, notamment, grâce aux travaux de Fourier sur la chaleurchaleur et aux raisonnements de KelvinKelvin.

    Ce n'est qu'au début du XXe siècle, avec l'essor de la sismologiesismologie, que se constitue l'image moderne de l'intérieur de la Terre grâce à Richard Dixon Oldham en tout premier lieu, Harold Jeffreys et Inge Lehmann en second lieu -- en réalité, il faudrait citer bien d'autres noms en partant d’Édouard Albert Roche à Beno Gutenberg. Elle ne cesse de s'affiner depuis, surtout après la naissance de la théorie de la tectonique des plaquestectonique des plaques et la révolution de la planétologie comparée à la fin des années 1960. Cela n'est guère étonnant, les géophysiciens voulant comprendre les mécanismes de la convectionconvection dans le manteau faisant dériver les continents, l'origine des points chauds et du champ magnétiquechamp magnétique de la Terre, le tout en connexion avec les scénarios cosmogoniques de la naissance du Système solaireSystème solaire.

    Sans effet de la rotation de la Terre, les cristaux formés par le refroidissement de son océan de magma sédimentent partout de façon homogène.<em> © Christian Maas, et al.</em>
    Sans effet de la rotation de la Terre, les cristaux formés par le refroidissement de son océan de magma sédimentent partout de façon homogène. © Christian Maas, et al.

    L'investigation de l'intérieur de la Terre continue en ce début de XXIe siècle, toujours grâce à la sismologie, l'étude du champ magnétique et du champ de gravitégravité de la Terre, et ce, en complément des simulations sur ordinateurordinateur et des expériences sur le comportement des matériaux à hautes pressions et hautes températures. Les études théoriques se poursuivent également car il reste des énigmes et des paradoxes du point de vue de la chimiechimie du manteau et sur l'existence de certaines régions ; ces dernières ayant des caractéristiques anormales découvertes grâce aux progrès de la sismologie et dont on se demande si elles sont des vestiges du passé le plus ancien de la Terre -- par exemple, lorsqu'elle était recouverte d'un océan de magma -- ou le plus récent, avec cette fois-ci, l'idée qu'il s'agit de restes d'anciennes plaques tectoniquesplaques tectoniques subductées.

    Une jeune Terre qui tournait en 2 à 5 heures sur elle-même

    Pour y voir plus clair, les géophysiciens Christian MaasMaas et Ulrich Hansen étudient depuis quelques années les contributions, jusqu'ici non prises en compte, de la rotation de la Terre sur le refroidissement de son océan de magma, océan qui a dû exister juste après la collision entre la proto-Terre et ThéiaThéia. Des cristaux ont dû se former et se sédimenter dans cet océan de plusieurs milliers de kilomètre de profondeur en cours de refroidissement.

    Mais, selon leurs travaux dont est publié un nouveau bilan cette année dans Earth and Planetary Science Letters, l'effet de la force centrifugeforce centrifuge due à la rotation bien plus rapide de la jeune Terre, qui a été freinée par la suite au cours des milliards d'années par les forces de maréeforces de marée de la LuneLune, pourrait avoir modifié la façon dont ces cristaux se sont sédimentés, créant des régions à la minéralogie particulière dans le manteau et influençant donc ultérieurement sa géodynamique et, en particulier, celle des plaques tectoniques.

     

    Il existe un régime de vitesses de rotation où la sédimentation des cristaux n'est plus homogène et uniforme dans l'océan de magma de la Terre primitive. <em>© Christian Maas, et al.</em>
    Il existe un régime de vitesses de rotation où la sédimentation des cristaux n'est plus homogène et uniforme dans l'océan de magma de la Terre primitive. © Christian Maas, et al.

    Ils ont mené des simulations simplifiées avec un type de cristaux silicatés donnant des résultats dépendant de la vitesse de rotationvitesse de rotation de la Terre il y a environ 4,5 milliards d'années, juste après la collision avec Théia dont on pense qu'elle a été à l'origine de la Lune. Il n'y a pas de certitude quant à la valeur exacte de cette vitesse de rotation mais on estime raisonnablement qu'elle devait se produire en 2 à 5 heures.

    Toujours est-il que les chercheurs ont découvert qu'entre une période de rotationpériode de rotation comprise entre 8 et 12 heures, les cristaux restent en suspension et sont répartis de manière uniforme dans l'océan de magma. Par contre, à mesure que la vitesse de rotation considérée augmente, la distribution des cristaux change. Ils se déposent rapidement au fond aux pôles Nord et Sud mais se déplacent vers la moitié inférieure de l'océan de magma près de l'équateuréquateur.

    Aux vitesses de rotation les plus rapides -- une rotation complète en 3 à 5 heures environ --,  les cristaux s'accumulent au fond de l'océan de magma, quelle que soit la latitudelatitude. Cependant, la convection dans le magma en ébullition près des régions polaires provoquait à plusieurs reprises la formation de bulles, ce qui rendait la couche cristallisée peu stable.