Alors que l'ONU demande au monde entier d'effectuer une transition vers les énergies renouvelables, l'Opec (organisation des pays exportateurs de pétrole) vient de rendre public ses dernières prévisions : la demande en pétrole va continuer à augmenter jusqu'à 2045, au moins.
au sommaire
Le pic de la demande en pétrole est encore loin d'être atteint et les énergies fossiles ont encore quelques dizaines d'années de gloire devant elles, c'est la conclusion du dernier rapport prévisionnel de l'Opec sorti le 9 octobre dernier. L'Organisation des pays exportateurs de pétroleOrganisation des pays exportateurs de pétrole explique que le monde va avoir besoin de pétrole bien plus longtemps que ce qui était admis jusqu'à maintenant. En cause, l'augmentation de la population en Asie, en Afrique et au Moyen-Orient et l'évolution de leur mode de vie. La demande en pétrole va donc continuer à augmenter jusqu'en 2040, avant d'entrer dans une phase de plateau, jusqu'à 2045. Des prévisions qui rejoignent globalement celles de l'Agence Internationale de l'Energie sur l'augmentation « inévitable » de la demande, malgré le besoin de transition vers des énergies plus propres.
La demande mondiale va continuer à être boostée par les transports routiers
Le secrétaire général de l'Opec, le général Haitham al-Ghais, va même encore plus loin dans ses déclarations, il estime que les campagnes anti-pétrole « sont erronées et pourraient conduire à un chaos énergétique et économique » dans le monde. Le secteur qui va le plus accroître le besoin de pétrole est celui des transports routiers en premier, suivi de la production pétrochimique (principalement le plastique), puis l'aviation. Selon l'Opec, une telle augmentation de la demande nécessite 14 milliards de dollars d'investissements pour y répondre.
À quelques semaines de la COP28 de Dubaï, dont le but est de fixer des objectifs climatiques mondiaux, l'Arabie Saoudite et les Émirats Arabes Unis ont déjà présenté leur plan destiné à augmenter la production de pétrole.
Le pic de pétrole passé depuis 2005 ? Un expert nous répond
Article de Bruno ScalaBruno Scala, écrit le 13 février 2012
Le pic pétrolierpic pétrolier aurait eu lieu en 2005 selon de récentes analyses. Une nouvelle annonce qui montre à quel point le problème est complexe. Jean Laherrère, directeur de l'Association pour l'étude du pic pétrolier (Aspo France), interviewé par Futura-Sciences, apporte des précisions.
À la fin du mois de juillet, James Murray (université de Washington) et David King (université d’Oxford) publiaient une note dans la revue Nature. En substance, ils annonçaient que le pic pétrolier avait eu lieu en 2005. Leur analyse repose essentiellement sur des critères économiques, en l'occurrence sur la confrontation des chiffres de la production de pétrole avec le prix du baril depuis 1998. Depuis 2005, remarquent-ils, alors que le prix du baril a tendance à augmenter plus rapidement qu'avant cette date, la production, elle, est entrée dans un plateau correspondant à environ 75 millions de baril par jour.
Pour les chercheurs, 2005 est donc l'année de transition entre une période dite élastique (la production peut répondre à la demande) et une période dite non élastique (la production ne peut pas répondre à la demande), qui se traduit par une flambée des prix. Ce qui voudrait dire que nous sommes arrivés à un pic.
Le pic pétrolier, passé ou pas ?
Le pic pétrolier est un concept assez effrayant car il semblerait que notre société n'y soit pas très bien préparée. Mais qu'est-ce que le pic pétrolier exactement, que l'on nomme peak oil (ou oil peak) en anglais, tout en sachant que « oil » ne signifie pas pétrole ? Jean Laherrère, ancien expert chez Total et maintenant président de l'Association pour l'étude du pic pétrolier (Aspo), précise ce problème en répondant aux questions de Futura-Sciences.
Futura-Sciences : Il semble régner un véritable mystère autour du pic pétrolier. Quelles sont les causes des différentes incertitudes ?
Jean Laherrère : Il y a d'abord un problème de définition : il n'existe pas de consensus sur le mot « oil ». Du coup la production (« oil production ») peut varier en fonction de ce qu'on inclut dans ce terme (biocarburants, liquideliquide à partir du charbon, etc.).
Ensuite, il y a un souci d'hétérogénéité des données (volumevolume ou poids) en fonction des pays. Chaque source (AIE, USDOE/EIA, Opec, BP) qui compile ces données prend ensuite des hypothèses différentes concernant la densité pour arriver au total mondial.
Enfin, la production mondiale tous liquides (« oil supply ») est depuis 2005 sur un plateau qui varie avec une oscillation de l'ordre de l'incertitude des mesures. Les affirmations sur un pic pétrolier pour une certaine année sont donc peu fiables (celles pour un jour précis, comme Kenneth Deffeyes qui a prévu le pic pour le 16 décembre 2005, ridicules) car nous sommes dans un plateau et personne ne peut dire quand un déclin significatif va se produire.
Futura-Sciences : Est-ce que d'éventuels progrès concernant les techniques de détection, d'extraction permettront un jour d'augmenter à nouveau la production et d'éviter ce déclin ?
Jean Laherrère : Les grandes avancées de détection sont la sismique grâce à l'utilisation de davantage de sismographes, de 3D et 4D [la quatrième dimension étant le temps, NDLRNDLR], mais seuls les forages peuvent statuer sur la présence de pétrole et préciser les profondeurs et épaisseurs.
De grandes améliorations ont été réalisées concernant la prospection offshore, grâce à l'utilisation du GPSGPS pour déterminer la position exacte des streamers [ou flûtes sismiques, qui analysent le sol marin, NDLR].
Concernant l'extraction, le taux de récupération (variant pratiquement de 0 à 100 %) dépend principalement de la qualité du réservoir.
Futura-Sciences : Dans les prévisions, on voit souvent la mention « crude oil yet to be found ». Sur quoi se fonde-t-on pour évaluer la quantité de pétrole que l'on va découvrir ?
Jean Laherrère : La quantité de pétrole à découvrir est estimée par l'extrapolation des découvertes passées et en estimant l'ultime. Ce qu'il reste à découvrir est l'ultime moins le déjà découvert. La meilleure approche pour estimer l'ultime est la courbe d'écrémage, à savoir l'extrapolation avec plusieurs cycles des découvertes cumulées, en fonction du nombre cumulé de champs ou de puits pas encore explorés.
Par exemple en Algérie, l'ultime est de 33 Gb [milliards de barils, NDLR] avec un modèle à 2 cycles (1910-1992 et 1992-2010) en supposant qu'il n'y en aura pas de troisième. Le total découvert fin 2010 est de 31 Gb. Il reste donc 2 Gb à découvrir.
Futura-Sciences : Est-ce que vous considérez que nous sommes assez préparés à ce déclin ?
Jean Laherrère : Nous ne sommes pas du tout préparés à ce déclin. La société de consommation est basée sur la croissance (du PIB qui est un mauvais indicateur car il représente les dépenses et non la richesse), mais une croissance constante est impossible dans un monde fini. Notre mode de vie doit changer mais ce message, personne ne veut l'entendre. Après le pétrole, c'est le gaz et le charbon qui déclineront.
Futura-Sciences : Est-il possible de prévoir le pic (ou le plateau) de l'ensemble des carburants ?
Jean Laherrère : Cette prévision (oil supply all liquids) peut être modélisée avec les ultimes, sauf les biocarburants pour lesquels il n'y a pas d'ultime : la courbe suit une asymptote, la production étant limitée par la quantité de terre arableterre arable et le rendement.
Mais cette prévision ne tient compte que des contraintes géologiques (below ground) alors qu'en réalité, le plateau sera imposé par des contraintes économiques et financières (above ground), comme l'Aspo l'a présenté en 2008.