Si l’on sait que l’oxygénation de la Terre est liée au développement d’algues photosynthétiques et à la saturation des puits d’oxygène, une nouvelle étude montre que le cycle du carbone aurait également joué un rôle majeur, voire décisif, dans cette histoire.


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    Si l'oxygène n'a pas été un élément clé de l'apparition de la vie sur Terre, il a tout de même joué un rôle majeur dans le développement de formes de vie complexes. Aujourd'hui, la majorité des organismes sont en effet aérobiesaérobies, c'est-à-dire qu'ils dépendent de la présence du dioxygène pour vivre. Mais au début de l'histoire de la vie terrestre, cela était bien loin d'être le cas. L'oxygène représentait en effet un élément toxique pour les organismes anaérobies peuplant les océans de la Terre primitive. Un élément dont ils vont toutefois devoir s'accommoder par le biais de l'évolution.

    Les cyanobactéries, responsables de l’oxygénation de l’atmosphère

    La quantité d'oxygène dans les océans, puis, bien plus tard, dans l'atmosphère, va en effet connaître d'importantes augmentations, qui vont d'ailleurs entraîner une crise biologiquecrise biologique. Les coupables de ce chamboulement environnemental ? Les cyanobactéries, des algues photosynthétiques qui, pour croître, consomment le carbonecarbone issu du CO2, en le métabolisant grâce à l'énergieénergie solaire. L'O2 restant, inutile et toxique pour ces bactériesbactéries, est alors relâché dans l'eau. La Terre primitive étant très pauvre en oxygène mais riche en éléments réducteurs, l'O2 délivré par les cyanobactéries va donc tout d'abord être utilisé dans des réactions d’oxydation des roches (puits à oxygène) et ne va donc pas immédiatement impacter les organismes vivants anaérobies. C’est le début de la Grande oxydation, qui se joue entre 2,4 et 2,2 milliards d'années.

    Stromatolites actifs actuellement dans la baie de Shark en Australie. Il s'agit de colonies de cyanobactéries photosynthétiques, les mêmes qui ont produit de l'oxygène sur la Terre primitive il y a 2,2 milliards d'années. © Paul Harrison, <em>Wikimedia Commons</em>, CC by-sa 3.0
    Stromatolites actifs actuellement dans la baie de Shark en Australie. Il s'agit de colonies de cyanobactéries photosynthétiques, les mêmes qui ont produit de l'oxygène sur la Terre primitive il y a 2,2 milliards d'années. © Paul Harrison, Wikimedia Commons, CC by-sa 3.0

    La quantité d'oxygène va cependant commencer à augmenter doucement dans les océans, jusqu'à connaître une hausse drastique il y a 400 millions d’années. Pour expliquer cette augmentation, plusieurs facteurs peuvent être évoqués : soit une hausse de la production d'oxygène par le biais du développement en massemasse des cyanobactéries, soit l'achèvement du remplissage des puits à oxygène, soit une combinaison des deux. S'il est clair que processus biologiques et géologiques ont joué un rôle dans cette évolution (voir article ci-dessous), leur impact respectif reste à déterminer.

    La formation de sédiments carbonatés, moteurs de l’oxygénation ?

    Des chercheurs se sont intéressés à l'influence qu'a pu avoir notamment le cycle du carbone dans cette histoire. Car l'apparition des cyanobactéries n'est pas la seule évolution notable qui se soit produite à l'ArchéenArchéen. Alors que la production de CO2 par dégazagedégazage des volcansvolcans diminue graduellement en raison du refroidissement du manteaumanteau, les continents commencent à sortir de l'eau, mettant ainsi à l'émersion de vastes surfaces de croûtecroûte silicatée. Or, au contact de l'atmosphère chargée en CO2, ces minérauxminéraux silicatés (CaSiO3) vont être altérés. Cette réaction chimiqueréaction chimique va alors produire des ionsions bicarbonatesbicarbonates (2HCO3-) qui vont alors être transportés jusque dans les océans où ils vont réagir avec le calciumcalcium présent dans l'eau pour former du CaCO3, qui va finir par se déposer sur le fond océanique.

    Au fil du temps, cette suite de réactions va entraîner la formation d'une épaisse couche de sédimentssédiments carbonatés sur la croûte océaniquecroûte océanique. Ce processus, toujours actif aujourd'hui, va ainsi mener à la formation de gigantesques réserves de carbone dans le fond des océans. Mais quel lien avec l'augmentation de l'oxygène ? Pour comprendre, il faut observer la suite de l'histoire. Ces importants réservoirs de carbone qui se constituent durant l'Archéen vont en effet terminer leur course dans le manteau, via le processus de recyclagerecyclage de la croûte océanique au niveau des zones de subductionzones de subduction qui se mettent en place. Là, le carbone va être remobilisé par la production de magmamagma et renvoyé vers la surface via le volcanismevolcanisme d'arc. Les taux de CO2 émis par les volcans auraient donc augmenté suite à la formation des épaisses couches de sédiments carbonatés au fond des océans, permettant le maintien d'une altération importante des continents. Or, les carbonates ne sont pas les seuls produits de l'altération des sols. De nombreux minéraux sont également transportés vers les océans, comme le phosphorephosphore, qui s’avère être un nutriment particulièrement important pour les organismes vivants, dont les cyanobactéries.

    Le cycle géologique du carbone. © John Garrett, <em>Wikimedia Commons</em>, CC by-sa 3.0
    Le cycle géologique du carbone. © John Garrett, Wikimedia Commons, CC by-sa 3.0

    Impact pour la recherche d’une vie extraterrestre intelligente et aérobie

    En résumé, l'émergenceémergence des continents et leur altération auraient entraîné la formation d'épaisses couches de sédiments carbonatés au fond des océans. Grâce au processus de subduction qui débute alors, le recyclage de ces carbonates aurait permis le maintien d'un important dégazage de CO2 au niveau des volcans, malgré le refroidissement du manteau. Ce cycle du carbone aurait ainsi assuré un apport constant et important de nutrimentsnutriments dans les océans, favorisant le développement des algues photosynthétiques productrices d'oxygène. Dans l'article publié dans la revue Nature Geoscience, les auteurs supposent que cet unique processus de formation, enfouissement et recyclage des carbonates aurait mené à la formation d'une atmosphère riche en oxygène, même sans le développement des plantes terrestres, à qui l'on attribue généralement la hausse soudaine et massive d'O2 il y a 400 millions d'années.

    Approximation de l'évolution du taux d'oxygène dans l'atmosphère terrestre au cours du temps. © Ariel Provost (adaptation de la version anglaise), <em>Wikimedia Commons</em>, CC by-sa 4.0
    Approximation de l'évolution du taux d'oxygène dans l'atmosphère terrestre au cours du temps. © Ariel Provost (adaptation de la version anglaise), Wikimedia Commons, CC by-sa 4.0

    Ces résultats ont de fortes implications pour la recherche de vie aérobie extraterrestre. Ils montrent qu'il serait plutôt facile de produire des mondes riches en oxygène grâce à de simples organismes photosynthétiques. Par contre, étant donné la lenteur des processus géologiques (le recyclage de la croûte océanique, et donc des carbonates, suit des cycles de 200 millions d'années environ), une vie complexe associée à une oxygénation massive de l'atmosphère ne peut être attendue avant plusieurs milliards d'années après la formation d'une planète de taille similaire à la Terre. Les auteurs concluent que dans ce contexte, une vie intelligente ne pourrait donc être restreinte qu'à des mondes anciens, où caractérisés par des cycles du carbone plus courts.


    Du nouveau pour expliquer le mystère de l’oxygénation de l’atmosphère terrestre

    Article de Morgane GillardMorgane Gillard, publié le 13 mars 2023

    Si la photosynthèsephotosynthèse semble avoir été le facteur primordial dans la phase d'oxygénation de l'atmosphère terrestre, elle n'est pas le seul processus à être intervenu. L'action des minéraux, en empêchant la dégradation de la matièrematière organique, aurait semble-t-il joué un rôle tout aussi important.

    Si la vie a pu évoluer comme elle l'a fait sur Terre, c'est certainement grâce à la présence d'un fort taux d'oxygène dans l'atmosphère. L’oxygénation de l’atmosphère représente donc une étape cruciale dans l'histoire de notre Planète. Une étape pourtant encore mal comprise.

    Jusqu'à présent, il était établi que les taux d'oxygène auraient augmenté de manière significative suite à l'apparition de la photosynthèse, il y a environ 2,4 milliards d'années. Alors que les continents étaient encore vierges, la vie était déjà bien présente dans les océans, qui étaient peuplés d'algues et autres organismes marins. Des organismes qui ont développé un mécanisme permettant de tirer parti de l'énergie solaire, tout en consommant le CO2 présent en grande quantité dans l'atmosphère : la photosynthèse. Or, cette réaction chimique produit de l'oxygène, qui est alors relâché dans l'atmosphère.

    Tout comme aujourd'hui, les algues ont joué un rôle majeur dans la production d'oxygène et la séquestration du carbone. © Camilla Gustafsson, <em>Tvärminne Zoological Station</em>, Finlande
    Tout comme aujourd'hui, les algues ont joué un rôle majeur dans la production d'oxygène et la séquestration du carbone. © Camilla Gustafsson, Tvärminne Zoological Station, Finlande

    La photosynthèse, oui, mais pas uniquement

    De ce point de vue, l'oxygénation de l'atmosphère serait donc le résultat d'un processus purement biologique. Mais s'il apparaît que la photosynthèse a joué un rôle majeur dans la production d'oxygène, certains scientifiques doutent qu'elle soit le seul et unique processus qui ait été à l'œuvre.

    La photosynthèse à elle seule ne permet en effet pas d'expliquer les taux d'oxygène observés. De plus, ce modèle néglige une autre étape qui, elle, consomme de l'oxygène et qui est intimement liée à la vie des plantes. Ou plutôt à leur mort.

    Car lorsque les organismes meurent, la matière organique qui les compose est dégradée par les bactéries. Et cette dégradation de la matière organique est un processus qui consomme du dioxygène pour former... du CO2. Le bilan apparaît donc plus complexe, car si les plantes produisent de l'oxygène, leur mort en consomme. En prenant en compte ces deux réactions, il s'avère difficile d'expliquer les taux d'oxygène observés au moment de la phase d'oxygénation de l'atmosphère, sauf si l'on considère que le processus de dégradation de la matière organique, qui repose sur une oxydationoxydation, a été ralenti, ou altéré.

    L’action des minéraux pour préserver le carbone organique

    Or, il existe des interactions chimiques entre des minéraux et la matière organique qui permettent de préserver la matière organique, empêchant sa décomposition avant son enfouissement dans les sédiments océaniques. Le carbone organique est donc stocké au lieu de réagir avec l'oxygène. Les taux de CO2 baissent, et celui d'O2 monte. Il existe plusieurs minéraux capables de préserver le carbone organique. Le ferfer pourrait avoir ainsi joué un rôle important. Il s'agit plus précisément des ions fer, qui ont la capacité à se lier aux algues et plantes mortes. Les ions fer peuvent en effet séquestrer le carbone organique de multiples façons, notamment par absorptionabsorption du carbone organique dans une surface minérale.

    Cette association entre minéraux et matière organique fait que les débris végétaux sont moins susceptibles d'être attaqués par les microbesmicrobes. Ce processus, bien connu à l'heure actuelle, n'avait cependant jamais été testé dans le cadre de l'oxygénation de l'atmosphère terrestre.

    Un lien avec la production de croûte continentale

    Tester l'action des particules de fer était donc judicieux. Ce minéralminéral, qui provient essentiellement de l'altération des surfaces continentales, était de plus présent en grande quantité dans les océans durant cette période primitive de l'histoire de la Terre, alors que les continents étaient en train de se former. L’épisode de la Grande Oxygénation, il y a 2,4 milliards d'années, coïncide justement avec la période de formation des continents. L'arrivée de particules minérales en grande quantité dans l'océan aurait donc pu ralentir significativement la décomposition des algues mortes, permettant au taux d'oxygène de monter rapidement.

    La formation des premiers continents a certainement produit de grandes quantités de minéraux dans les océans qui ont pu aider à la préservation du carbone organique et à l'augmentation des taux d'oxygène dans l'atmosphère. © Fognmaa, Pixabay
    La formation des premiers continents a certainement produit de grandes quantités de minéraux dans les océans qui ont pu aider à la préservation du carbone organique et à l'augmentation des taux d'oxygène dans l'atmosphère. © Fognmaa, Pixabay

    Les résultats ont été présentés dans la revue Nature Geoscience. Cette étude ouvre de nouvelles pistes de réflexion en ce qui concerne les conditions les plus favorables au développement d'une vie complexe et intelligente, notamment sur d'autres planètes.


    Des microbes et des minéraux pourraient avoir déclenché l’oxygénation de la Terre

    Article de Nathalie MayerNathalie Mayer, publié le 20 mars 2022

    À ses débuts, notre Terre était pauvre en oxygène. Et les chercheurs se demandent toujours ce qui a fait basculer notre atmosphère de cet état pourtant stable à celui tout aussi stable que nous connaissons aujourd'hui. Pour la première fois, une étude relie désormais la coévolution des microbes et des minéraux à l'événement connu des chercheurs sous le nom de Grande oxygénation.

    Quelque part il y a environ 2,3 milliards d'années, notre Terre a basculé, au moment que les chercheurs qualifient d'événement de Grande oxygénation. Jusqu'alors, il n'y avait pratiquement pas d'oxygène dans l’air. Même si certains microbes avaient commencé à en produire par photosynthèse. Et soudain - à l'échelle géologique, s'entend -, les niveaux ont augmenté pour atteindre ceux que nous connaissons aujourd'hui. Notre atmosphère est passée d'un état stable de faible teneur en oxygène à un état stable de teneur en oxygène beaucoup plus élevé. Pourquoi ? Comment ? C'est l'un des grands mystères de la science.

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    Il n'y a pas eu de « bouffées d’oxygène » sur Terre avant la Grande oxygénation

    « Il n'y a pas eu d'augmentation progressive. Ce saut doit être le fait d'une boucle de rétroaction qui a provoqué un changement radical de stabilité », commente Gregory Fournier, chercheur au Massachusetts Institute of Technology (MIT, États-Unis), dans un communiqué. Avec ses collègues et se reposant sur des analyses mathématiques et évolutives, il propose aujourd'hui une explication. Les chercheurs suggèrent ainsi que la Grande oxygénation est le résultat d'interactions entre des microbes marins et des minéraux contenus dans les sédiments. Ces interactions ont empêché la consommation d'oxygène et déclenché un processus d'autoamplification qui a permis à l'oxygène de s'accumuler dans l'airair.

    Pour comprendre, il faut savoir que dans l'océan, les microbes utilisent l'oxygène pour décomposer la matière organique. Par oxydation, donc. Et les chercheurs se sont demandé si quelque chose, juste avant la Grande oxygénation, avait pu rendre une partie de cette matière organique indisponible auxdits microbes. Ce qui aurait provoqué une baisse de la consommation d'oxygène.

    Une matière organique partiellement consommée

    Les chercheurs ont ainsi construit un modèle mathématique qui prévoit que si les microbes n'avaient la possibilité de consommer que partiellement la matière organique, cette matière organique partiellement oxydée - ou POOM pour partially-oxidized matter - se lierait chimiquement aux minéraux présents dans les sédiments marins. De quoi la protéger alors d'une oxydation supplémentaire. Et permettre à un oxygène qui aurait pu être consommé pour dégrader cette POOM de rester libre et de s'accumuler dans notre atmosphère.

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    La quantité d’oxygène sur Terre aurait longtemps stagné à des taux très bas

    Il ne restait plus qu'à savoir s'il existait alors dans l'océan des microbes qui n'oxydent que partiellement la matière organique. Les chercheurs en ont identifié dans les profondeurs d'aujourd'hui. Dans un groupe baptisé SAR202. Leur oxydation partielle est le fait d'une enzymeenzyme qu'ils appellent monooxygénase Baeyer-Villiger. Et une analyse phylogénétiquephylogénétique montre que le gènegène de cette enzyme se trouvait déjà dans des microbes vivant avant l'événement de Grande oxygénation.

    Les chercheurs montrent même que le nombre d'espècesespèces qui ont acquis ce gène augmente de manière significative pendant les périodes où notre atmosphère connaît des pics d'oxygénation. De quoi soutenir leur théorie. Mais il faudra encore d'autres expériences de laboratoire et des enquêtes sur le terrain pour confirmer le lien entre l'évolution des microbes et des minéraux et l'oxygénation de notre Terre.