Les témoins géologiques permettant de documenter une crise hydrologique majeure en Méditerranée entre 5,97 et 5,33 millions d’années sont nombreux. En raison de la fermeture du détroit de Gibraltar, la mer aurait en effet vu son niveau baisser inexorablement, entraînant le dépôt massif de sel. Une nouvelle étude révèle ainsi qu’au total, la Méditerranée aurait perdu 70 % de son eau !


au sommaire


    Dans les années 1970, plusieurs forages dans le fond de la Méditerranée dévoilent l'existence d'énormes dépôts de sel, certains pouvant atteindre trois kilomètres d'épaisseur ! La datation de ces dépôts évaporitiques, entre 5,97 et 5,33 millions d'années, va ainsi permettre d'affirmer que la Méditerranée a connu une crise hydrologique majeure à la fin du Miocène, durant l'étage du Messinien. La formation de ces dépôts de sel implique en effet que la mer se soit considérablement concentrée en sel, au point de devenir une véritable saumure.

    Il y a 5,6 millions d'années, la mer Méditerranée avait la même concentration en sel que la mer Morte ! © Mathis, Adobe Stock
    Il y a 5,6 millions d'années, la mer Méditerranée avait la même concentration en sel que la mer Morte ! © Mathis, Adobe Stock

    Les témoins d’une chute drastique du niveau de la mer

    Depuis, de multiples études se sont penchées sur ce que l'on appelle la Crise de salinitésalinité messinienne. Et il se trouve que cet épisode est corrélé à pas mal d'autres observations réalisées dans le bassin méditerranéen : perte de biodiversité soudaine et brutale, érosion aérienne des marges, creusement de profonds canyons fluviatiles... L'ensemble suggère alors que cette crise a été associée à une baisse importante du niveau marin.

    Les reconstructions tectoniques ont ensuite permis d'en expliquer l'origine : la remontée du continent africain vers le nord aurait entraîné la fermeture du détroit de Gibraltar il y a environ 6 millions d'années, isolant la mer Méditerranée de l'océan Atlantique. L'évaporation aurait alors fait son œuvre, abaissant progressivement le niveau de la mer et permettant l'augmentation de sa concentration en sel.

    Quantifier l’ampleur de la baisse du niveau marin

    Un scénario qui semble bien ficelé, mais qui conserve des zones d'ombre. Si l'on sait que le niveau marin a baissé, la quantificationquantification de l'ampleur de ce phénomène restait à déterminer. Car la formation d'évaporites (sel et gypsegypse) ne nécessite pas forcément une évaporation totale de l'eau. Ces minérauxminéraux peuvent en effet cristalliser à partir d'une eau sursaturée en sel. Leur présence, même en très grandes quantités (les scientifiques estiment que les dépôts évaporitiques messiniens représentent 1 million de km3), ne donne donc pas d'indication sur le niveau réel de la Méditerranée il y a 5,6 millions d'années environ.

    Une équipe de chercheurs menée par Giovanni Aloisi (CNRS, Institut de Phyisque du Globe de Paris) a cependant trouvé un moyen d'estimer cette baisse. Les scientifiques ont en effet utilisé les isotopesisotopes du chlorechlore comme marqueurs du niveau d'eau. Le chlore (Cl), entre dans la composition du sel, mais certains isotopes plus lourds, comme le 37Cl, vont précipiter préférentiellement. L'évolution du ratio entre le 37Cl et le 35Cl au cours du temps dans les dépôts de sel a ainsi permis, grâce à un modèle mathématique, de préciser le scénario de la Crise de salinité messinienne. Il est présenté dans un article publié récemment dans la revue Nature communications.

    Une perte de 70 % du volume global d’eau

    Les résultats suggèrent en effet que cette crise hydrologique s'est divisée en deux étapes. La première, entre 5,97 et 5,6 millions d'années, n'aurait pas été associée à une baisse significative du niveau marin. Il semble que des échanges avec l'océan Atlantique aient continué durant cette période, permettant de maintenir le niveau global mais sans réussir à stabiliser l'équilibre chimique de la mer, qui aurait commencé à se saturer en sel.

    Le scénario de la Crise de salinité messinienne comporte deux étapes. Durant la première, le niveau marin est maintenu, alors que la seconde est marquée par une baisse rapide et dramatique. © Aloisi et<em> al.</em> 2024, <em>Nature communications</em>
    Le scénario de la Crise de salinité messinienne comporte deux étapes. Durant la première, le niveau marin est maintenu, alors que la seconde est marquée par une baisse rapide et dramatique. © Aloisi et al. 2024, Nature communications

    On voit en effet les premiers dépôts apparaître durant cette période. L'isolement total du bassin méditerranéen se serait produit vers 5,6 millions d'années. Coupé de l'apport en eau de l'Atlantique, la Méditerranée se serait alors mise à s’assécher rapidement. En seulement 10 millions d'années, elle aurait ainsi perdu 70 % de son volumevolume global. Par endroits, la baisse aurait notamment pu atteindre 1,7 à 2,1 kilomètres ! Une situation hydrologique qui a entraîné le dépôt massif d'évaporites. Il est probable que de vastes zones du fond marin aient d'ailleurs été totalement asséchées, permettant la colonisation de certaines îles, comme les Baléares, par de nouvelles espècesespèces. La perte d'une si importante massemasse d'eau est d'ailleurs en accord avec certaines observations géologiques, qui montrent le déclenchement d’éruptions volcaniques dans le bassin durant cette seconde phase, en raison de la décompression rapide du manteau terrestremanteau terrestre.

    Cette crise a cependant eu une fin. Les résultats de l'article montrent en effet clairement un re-remplissage rapide du bassin il y a 5,33 millions d'années.

    La rupture du seuil de Gibraltar il y a 5,33 millions d'années a provoqué le remplissage brutal et rapide du bassin méditerranéen. © Pibernat & Garcia-Castellanos
    La rupture du seuil de Gibraltar il y a 5,33 millions d'années a provoqué le remplissage brutal et rapide du bassin méditerranéen. © Pibernat & Garcia-Castellanos

    Une observation qui corrobore l'idée d'une rupture du seuil de Gibraltar et le déversement soudain des eaux de l’Atlantique dans la Méditerranée.