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Vue sud-ouest du complexe de moraines Manikala.© Chevalier et al.
Ils ont publiés dernièrement dans la revue «Science », avec leurs collègues américains et chinois, les dernières mesures de la vitessevitesse de glissement de la faille du Karakorum. Cette vitesse, obtenue par une analyse géologique du segment sud-est de la faille, est dix fois plus grande que celle obtenue récemment par une autre équipe utilisant l'interférométrieinterférométrie radar satellitaire.
Cette divergence fait débat, mais alors que l'interférométrie radar mesure le déplacement à l'échelle de la décennie, l'analyse géologique intègre des déplacements sur plusieurs milliers d'années. Les résultats des deux équipes révèlent des variations du mouvementmouvement de la faille au cours du temps.
A gauche, image satellite Ikonos montrant les moraines abandonnées par le glacier Manikala au niveau de la faille du Karakorum. A droite, carte du décalage des moraines au niveau de la faille (ligne rouge). La moraine M1 est décalée de 220m environ par rapport à la vallée glaciaire, la M2 de 1520m.© Chevalier et al.
La catastrophe récente de Sumatra a rappelé de façon dramatique la puissance des forces mises en jeu par la tectonique des plaques. Deux grandes questions mobilisent l'attention des sismologuessismologues, tectoniciens et géophysiciens en science de la Terre. L'une concerne la compréhension du comportement des failles actives : que se passe-t-il entre deux séismes (le cycle sismique) et comment s'amorce un tremblement de terretremblement de terre ? Ce qui est capital pour progresser dans le domaine de la prévision. L'autre concerne l'observation et la mesure du mouvement et de la déformation actuelle de la lithosphère à l'échelle des plaques.
Pour ce type d'études, l'Asie est un laboratoire naturel exceptionnel. Le mouvement de la plaque indienne (4,5 à 5 cm/an) est responsable tout à la fois de la subductionsubduction le long de la côte indonésienne qui a provoqué le récent cataclysme, et de la collision entre l'Inde et l'Asie qui a donné naissance à l'Himalaya et au plateau Tibétain. Au Tibet, la collision a fracturé la lithosphère dans différentes régions sur des milliers de kilomètres et des failles (dites décrochantes) d'échelles continentales apparaissent sur les images satellites comme d'immenses cicatricescicatrices. Elles sont responsables de la plus forte sismicité continentale de la planète. Le dernier séisme de magnitudemagnitude supérieur à 8 a eu lieu au nord est du Tibet sur la faille du Kun Lun en 2001.
Reconstruction des déplacements le long de la faille et de l'histoire des vallées glaciaires et des moraines de Manikala et Tajiang. En bleu les glaciers.
A) : de -180 000 à -150 000 ans : les glaciers traversent la faille et déposent la moraine M2 au nord de la faille. (B) : il y a 120 000 ans : les glaciers se sont retirés derrière la faille. (C) : de -40 000 à -20 000 ans : les glaciers traversent à nouveau la faille et déposent la moraine M1 au nord de la faille. (D) : Aujourd'hui : depuis le début de l'Holocène, les glaciers se sont à nouveau retirés (7 km derrière la faille)© Chevalier et al.
Pour comprendre et modéliser la manière dont s'opère le raccourcissement de la lithosphère au niveau du Tibet, les chercheurs cherchent à mesurer le plus précisément possible le mouvement de ces grandes failles (Altyn Tagh, Kun Lun, Hayhuan, Karakorum) et leur vitesse de glissement. Les derniers résultats publiés par la revue Science concernent le segment sud-est de la faille du Karakorum qui borde, à l'Ouest, le nord de la chaîne himalayenne. Mesurer la vitesse d'une faille n'est pas chose aisée. Il y a une trentaine d'années, c'était impossible pour les mouvements récents, les techniques restaient insuffisantes. En effet pour mesurer une vitesse il faut mesurer un déplacement et un temps avec précision. La méthode employée pour cette étude est une méthode géologique. Les déplacements sur la faille, sont mesurés avec une précision métrique à partir des images satellites (IkonosIkonos). Il suffit pour cela de remettre en coïncidence des objets géologiques décalés par la faille (lits de rivières, cônescônes de déjection, morainesmoraines glaciaires), et de dater des échantillons de roches qui ont été déposées, puis décalées par le déplacement de la faille par la méthode du BérylliumBéryllium 10. Cette méthode date le temps depuis lequel une roche est exposée aux rayons cosmiquesrayons cosmiques (ici les galets et blocs depuis leur dépôt). Son applicationapplication aux situations terrestres s'est beaucoup développée durant la dernière décennie.
En ce qui concerne la faille du Karakorum, les chercheurs ont mesuré le décalage de moraines latérales formées par le glacierglacier Manikala lors des épisodes glaciaires majeurs du quaternairequaternaire (entre -140 et -20 000 ans) puis abandonnées à cause du recul du glacier en amont de la faille du fait des réchauffements climatiquesréchauffements climatiques successifs. Le décalage mesuré intègre des déplacements dus à de nombreux séismes survenus depuis des milliers d'années. C'est pourquoi la vitesse de glissement de la faille (10 mm/an avec une précision de 1.4 mm/an) que les chercheurs déduisent de ces mesures, est une vitesse moyenne. Elle est dix fois plus grande que celle obtenue (1 ± 3 mm/an) pour le mouvement récent (depuis 8 ans seulement) de l'ensemble de la faille par interférométrie radar satellitaire par WrightWright et al., Science (Juillet 2004).
L'image de gauche a été prise par le satellite Ikonos. L'accumulation de rochers et de débris (moraines) est décalée par rapport à la vallée glaciaire (cercle). L'image de droite a été obtenue en décalant le coin supérieur droit le long de la faille, de manière à faire coïncider la vallées glaciaire et les moraines (cercle), et le maximum d'autres objets géologiques. Le déplacement (double) flèche est ainsi mesuré avec précision.© Chevalier et al.
Avec les nouvelles méthodes satellitaires, GPSGPS et interférométrie-radar, le rêve des géologuesgéologues et des géophysiciens de mesurer en temps réel les déplacements des failles et de la lithosphère muesmues par la tectonique des plaques, devient réalité. On entre dans une ère nouvelle d'observation à long terme de ces mouvements. Le sens des écarts des mesures obtenues par ces premières mesures interférométries, instantanées au regard des temps géologiques, et celles, obtenues par les auteurs sur des périodes de temps beaucoup plus longues, fait actuellement débat dans la communauté scientifique. Mais il n'y a pas nécessairement contradiction, et ces écarts peuvent être une source essentielle d'information dynamique. Il est probable que le mouvement d'une faille ne soit ni uniforme, ni continu. On sait également que des segments différents d'une même faille peuvent avoir des comportements différents. L'interférométrie modélise un mouvement sur une grande surface et un temps court (la faille reste bloquée, et la technique révèle essentiellement les déformations élastiques de part et d'autre) tandis que la mesure géologique relatée ici intègre le mouvement sur un temps long et concerne strictement les déplacements non élastiques sur la faille. En ce qui concerne l'observation radar, on ne sait pas comment ces 8 dernières années de déplacement se situent par rapport au dernier grand séisme. Ces deux types de données indiquent en fait que la vitesse de glissement d'une faille dépend du temps sur lequel s'intègre la mesure (décennies, siècles, millions d'années) car la vitesse même du mouvement varie au cours du temps. Voici un élément qui devra être pris en compte pour les modélisationsmodélisations de failles et de déformation de la lithosphère. Il faut attendre encore quelques années pour bien cerner le mouvement actuel de la faille du Karakorum et des autres grandes failles tibétaines par les méthodes satellitaires. Une affaire à suivre !