Face aux défis énergétiques actuels et à l’urgence de trouver des sources d’énergies propres et renouvelables, une entreprise américaine veut donner à l’humanité un accès illimité à la chaleur interne de la Terre via des forages de 20 kilomètres de profondeur ! Est-ce réalisable ?
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Dans la course aux énergies renouvelables, il en est une particulièrement prometteuse : la géothermie. Notre Planète est en effet une formidable centrale énergétique, totalement inépuisable, du moins à l'échelle humaine. La chaleurchaleur issue du refroidissement du noyau interne se diffuse vers l'extérieur, alimentant au passage les mouvementsmouvements de convectionconvection du manteaumanteau qui soutiennent les grands processus terrestres, comme le volcanisme et la tectonique des plaques. Si en surface ce flux d'énergie se fait peu ressentir au jour le jour, il suffit de creuser un peu pour se rendre compte de son existence. Plus on descend, plus la température augmente. Cet état de fait est illustré par le gradientgradient géothermique, qui est en moyenne de 3 °C tous les 100 mètres, soit 30 °C par kilomètre. Cette augmentation de la température avec la profondeur est cependant extrêmement variable géographiquement, avec des zones où elle sera plus faible (comme au niveau des cratons continentaux), ou plus forte (comme dans les zones de rift).
La promesse d’une énergie propre et illimitée
Il est rapidement apparu que l'humanité pouvait tirer profit de cet état de fait. L'énergie géothermique représente en effet une source énergétique inépuisable, disponible là, directement sous nos pieds. En théorie, il suffit de forer et de faire circuler un liquideliquide qui se réchauffe au contact des roches en profondeur et remonte pour alimenter soit des turbines, soit un réseau de chaleur. Bien sûr, plus l'on fore profondément, plus l'énergie récupérée est importante. Sur les dernières décennies, l'objectif a ainsi été de forer de plus en plus profond, jusqu’à quatre voire cinq kilomètres. C'est ce que l'on appelle la géothermie profonde. À cette profondeur, l'eau est en effet à plus de 150 °C. En forant dans des zones à fort gradient géothermique, il est même possible de récupérer des fluides à 200 °C. De quoi alimenter de petites villes en électricité 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, car contrairement à l’éolien ou au solaire, l'énergie géothermique n'est pas dépendante de facteurs environnementaux. Une vision idyllique, qui se heurte cependant à de nombreuses contraintes techniques. Car forer dans la croûte continentale sur plusieurs kilomètres s'avère être un véritable défi : cela nécessite une fine connaissance du sous-sol afin d'éviter de malheureux accidentsaccidents (présence de failles actives ou instables, d'un aquifèreaquifère, de couches de sels...), équipements et capteurscapteurs capables de résister à la chaleur et à la pressionpression, maintenance des équipements soumis à la circulation du fluide géothermique fortement minéralisé, maintien d'un réseau de porositéporosité et de faillesfailles ouvertes qui permettent la circulation du fluide... sans compter la réalisation du puits en lui-même, une opération longue et très coûteuse.
Le pari fou d’un forage à 20 kilomètres de profondeur
C'est dans ce contexte que la société Quaise Energy, fondée par des ingénieurs du MIT (Massachusetts Institute of Technology), propose un projet fou : faciliter et accélérer considérablement l'opération de forage grâce à une nouvelle technologie issue de travaux sur la fusion nucléairefusion nucléaire et réaliser un puits géothermique de... 20 kilomètres de profondeur, soit le puits le plus profond jamais réalisé.
Un projet extrêmement ambitieux sachant qu'actuellement, le record du forage le plus profond est de 12 kilomètres. Il a été réalisé sur la péninsulepéninsule de Kola, en Russie. Commencé en 1970, il se terminera 24 ans plus tard face aux insurmontables problèmes techniques : difficulté d'extraction des matériaux excavés, torsiontorsion et fracture de l'axe de forage dû à sa longueur et une température de 180 °C faisant fondre les capteurs. S'il s'agissait là d'un défi scientifique, il apparaît que les techniques de forage conventionnelles ne sont pas du tout adaptées à un but industriel.
Faire fondre la roche au lieu de la broyer
Quaise Energy mise ainsi sur une tout autre technique. Au lieu de broyer la roche grâce à des têtes de forage traditionnelles, l'entreprise propose tout simplement de la vaporiser grâce à des faisceaux lumineux à micro-ondes. Une sorte de perçage sans contact, appelée gyrotrons, qui vitrifie la roche au fur et à mesure de la descente et pourrait ainsi permettre de forer bien plus facilement et rapidement sur de grandes profondeurs, voire jusqu'à 20 kilomètres.
Un objectif bien séduisant : à cette profondeur, les températures atteintes seraient à plus de 500 °C ! Le fluide géothermique, qui se trouve alors dans un état dit supercritique, serait alors aspiré dans le trou et transformé en vapeur en surface, puis de là, en énergie électrique. Pour les fondateurs de Quaise Energy, cela donnerait pour la première fois accès à une source d'énergie propre quasi infinie.
L'état supercritique se définit comme un 4e état de la matièreétat de la matière, après l'état solideétat solide, liquide et gazeux. On peut le comparer à un fluide aussi dense qu'un liquide qui se comporte comme un gazgaz. Or, lorsqu'il est à l'état supercritique, un fluide contient jusqu'à 10 fois plus d'énergie par unité de massemasse qu'un fluide sous-critique. Le rendement énergétique est alors très important.
Actuellement, les gyrotrons sont déjà utilisés, mais pour chauffer du matériel lors des essais de fusion nucléaire. Le but est désormais d'adapter et d'appliquer cette technologie au forage d'un puits profond. Les anciennes centrales à charboncharbon et à gaz seraient réutilisées pour héberger et exploiter ces nouveaux forages. De tels forages pourraient de plus être réalisés un peu partout sur le globe, donnant ainsi un accès à une énergie propre, décarbonée, renouvelable et illimitée à tous.
Réalité… ou fiction ?
Un concept extrêmement ambitieux et séduisant, qui n'en reste pas moins qu'un concept à l'heure actuelle. Car si la société avance la date de 2026 pour ses premiers essais, pour l'instant rien ne prouve que cet objectif est réalisable. Quaise Energy avoue elle-même qu'il reste de nombreuses considérations techniques à résoudre. Parmi elles, la gestion des énormes pressions et températures régnant à ces profondeurs et la résistancerésistance des matériaux utilisés. Autre question, et pas des moindres : la stabilité du puits et le maintien de son ouverture sous la pression lithostatique phénoménale qui règne à 20 kilomètres de profondeur et qui aura tendance à refermer immédiatement la moindre fracture.
Comment un puits dont les parois sont vitrifiées (et donc imperméables) pourra-t-il également drainer le fluide et comment sera-t-il remonté en surface ? Pour l'instant, la société ne présente aucune solution à ce type de questions pourtant cruciales.
Alors, réalité ou fiction ? Il faudra certainement attendre le début des premiers essais à moyenne profondeur pour envisager la faisabilité du projet. Quoi qu'il en soit, la nouvelle technologie de forage développée par Quaise Energy pourrait être certainement appliquée à des forages moins ambitieux, permettant ainsi une réduction drastique des coûts et donc de l'énergie produite. L'utilisation des gyrotrons pour réaliser des forages de cinq kilomètres de profondeur pourrait en soit déjà représenter une véritable révolution dans le domaine de la géothermie profonde.