L'accélération de la fonte des glaciers des Andes tropicales depuis 1976 pourrait provoquer la disparition de la plupart d'entre eux d'ici dix à quinze ans. Or ces glaciers constituent une importante ressource en eau pour les populations locales. Les études menées en Equateur, au Pérou et en Bolivie ont permis aux chercheurs de l'unité Great Ice de l'IRD et à leurs partenaires dans ces pays de montrer que cette déglaciation résulte pour une grande part de l'intensification et de la plus grande fréquence des phénomènes El Niño. Les connaissances acquises, notamment sur les mécanismes physiques qui régissent la réponse des glaciers à l'évolution du climat, contribuent à mieux comprendre l'influence à long terme de la variabilité climatique sur le devenir des glaciers andins.

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(crédit : www.cirs.net)

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Dans les Andes tropicales, le recul des glaciers s'est considérablement accéléré depuis une trentaine d'années. Cette évolution est d'autant plus inquiétante que l'approvisionnement en eau de nombreuses régions andines dépend des glaciers de la Cordillère.

Afin de mieux comprendre les mécanismes qui lient cette fonte au climat, les chercheurs de l'unité Great Ice (UR032) de l'IRD ont mis en place depuis 1991, en collaboration avec leurs partenaires boliviens, équatoriens et péruviens, un réseau d'observation comprenant une dizaine de glaciers le long des Andes entre l'équateur et le 16°sud (Bolivie). Contrairement aux glaciers alpins qui connaissent une longue période d'accumulation en hiver et une courte saison d'ablation en été, les glaciers des Andes tropicales sont soumis toute l'année à un régime d'ablation dans leur partie inférieure, avec un maximum durant l'été austral (octobre-avril) en Bolivie et au Pérou. C'est à cette saison en effet, que coïncident la plus forte insolation et le maximum de précipitations. Les glaciers, qui réagissent fortement aux variations de ces deux paramètres, constituent des indicateurs très sensibles des modifications du climat. Les chercheurs se sont intéressés à deux glaciers représentatifs de ceux qui parsèment la Cordillère, l'Antizana (5760m-4800m) en Equateur et à Chacaltaya (5375m-5125m) au nord de la Bolivie.

Le bilan de masse des glaciers, qui évalue la différence entre l'accumulation de neige et de glace et leur ablation par fusion et sublimation, apparaît étroitement contrôlé par l'ENSO (El Niño-Southern Oscillation). Durant les phases chaudes (El Niño), les bilans sont en effet toujours négatifs, les glaciers perdant dans l'année une lame d'eau de 600 mm à 1200 mm. En revanche, en régime La Niña, plus froid et plus humide, les glaciers s'équilibrent et parviennent parfois à dégager un excédent qui enraye temporairement leur déclin.

Afin d'identifier les processus physiques responsables de la fonte et de la sublimation à la surface des glaciers, les chercheurs ont effectué des bilans d'énergie sur le Zongo (16°S) en Bolivie, un glacier proche de celui de Chacaltaya, et sur l'Antizana (0°28S) en Equateur. Ces bilans permettent de connaître la quantité d'énergie, issue de la radiation solaire et des flux turbulents, reçue et absorbée par le glacier. Ces quantités sont calculées à partir de mesures météorologiques (taux d'humidité, températures, vitesse et direction du vent, etc.) effectuées à la surface du glacier au cours d'années entières. L'étude des bilans d'énergie montre que la fonte des glaciers est contrôlée principalement par le rayonnement net, qui représente la part de l'énergie radiative absorbée par le glacier. Ceci souligne le rôle déterminant du pouvoir réfléchissant de la surface du glacier, l'albedo. La fonte est maximale pendant l'été austral (octobre-avril) en Bolivie et les mois proches des équinoxes en Equateur (avril-mai et septembre), dès lors que l'apport énergétique et l'humidité atmosphérique sont à leur maximum.

Pendant les périodes El Niño, les précipitations baissent de 10 % à 30 % et la limite pluie-neige sur les glaciers s'élève de 200 m à 300 m par suite de l'échauffement de l'atmosphère de 1°C à 3°C. L'albedo est ainsi maintenu à des valeurs basses et la fonte s'accélère. Cependant, alors qu'en Bolivie les processus d'accélération de la fonte résulte de la baisse des précipitations, essentiellement sous forme de chutes de neige (donc à albedo élevé), en Equateur ils sont davantage liés à l'augmentation de la température atmosphérique qui change les précipitations nivales en pluie sur la moitié inférieure du glacier. En revanche, durant les périodes La Niña où l'atmosphère est plus froide et les précipitations fréquentes et abondantes, la surface du glacier reste couverte d'un manteau neigeux protecteur à fort albedo.

L'analyse des bilans de masse effectués sur plusieurs décennies à l'échelle des Andes centrales montre que les glaciers offrent une réponse cohérente au même signal climatique, les périodes de fonte intense coïncidant, avec un décalage de 2 à 3 mois, avec les épisodes El Niño dans le Pacifique. Aussi l'augmentation de la vitesse du recul des glaciers depuis la fin des années 1970 apparaît-elle synchrone avec le changement de phase du Pacifique ("Pacific shift") de 1976, date à partir de laquelle les phénomènes El Niño sont devenus plus fréquents et plus intenses. Le déficit annuel moyen du glacier de Chacaltaya en Bolivie est ainsi passé de 0,6 m d'eau entre 1963 et 1983 à plus de 1,2 m entre 1983 et 2003. À ce taux, il devrait disparaître avant 2015.

À l'échelle séculaire, le mode oscillatoire de l'ENSO se superpose à la tendance au recul qui touche les glaciers des Andes centrales depuis au moins 1880 (fin du Petit Age Glaciaire). Les phases chaudes accélèreraient donc la déglaciation en renforçant cette tendance attribuée au réchauffement global qui, depuis 25 à 30 ans, s'effectue dans la cordillère au rythme accéléré de 0,3°C par décennie.

Les chercheurs de Great Ice travaillent actuellement à modéliser la réponse des glaciers aux scénarios climatiques prévus au XXIe siècle par les modèles de circulation générale pour les Andes tropicales. Ils devraient ainsi offrir aux populations qui vivent de la ressource en eau des glaciers un moyen de prévision efficace de la quantité d'eau disponible à l'avenir.