La biodiversité est en danger. Notre climat aussi. Mais il est une autre entité que nous sommes en train de pousser bien au-delà de ses limites. Et à laquelle nous ne pensons sans doute que trop rarement. Des chercheurs nous alertent aujourd’hui sur l’urgence de redonner vie aux sols qui portent l'humanité.
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Deux Conférences des Parties de la Convention des Nations unies viennent de s'achever : la COP16 sur la diversité biologique, le 1er novembre dernier, et la COP29 sur les changements climatiques, ce 22 novembre. Mais, vous l'ignoriez probablement, une autre de ces conférences vient de débuter à Riyad (Arabie saoudite) ce lundi 2 décembre 2024. La beaucoup moins médiatisée et pourtant également 16e du nom, COP16 CNULD (Conférence des Parties de la Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification). L'occasion rêvée pour des chercheurs de l'Institut pour la recherche sur l'impact climatique de Potsdam (PIK, Allemagne) de publier un rapport majeur sur la question, intitulé « Prendre du recul par rapport au précipice : transformer la gestion des terres pour rester dans les limites de la planète ».
Parce qu'on a parfois tendance à l'oublier, mais les sols jouent un rôle essentiel pour le maintien de la stabilité du système Terre. Et même, pour la survie de l'humanité. Parce que les sols participent à la régulation de notre climat, préservent la biodiversité, entretiennent les réseaux d'eau douce et nous fournissent d'autres ressources vitales comme la nourriture ou des matièresmatières premières. L'ennui, c'est que la déforestation, l'urbanisation et l'agriculture - lorsqu'elle est non durable - dégradent chaque jour un peu plus les terres. À une échelle désormais sans précédent. La superficie touchée est déjà de l'ordre de 15 millions de kilomètres carrés. C'est presque la taille de la Russie. Et chaque année, un million de kilomètres carrés de sols supplémentaire est dégradé.
Les limites planétaires prêtes à voler en éclat
Ainsi, le rapport publié à l'occasion de la COP16 sur la lutte contre la désertification nous apprend que la façon dont l'humanité abuse des terres a un impact direct sur sept des neuf limites planétaires définies il y a 15 ans maintenant. Notamment sur le changement climatique, la disparition des espècesespèces et la viabilité des écosystèmesécosystèmes, les systèmes d'eau douceeau douce et la circulation des éléments naturels (azoteazote et phosphorephosphore).
Le saviez-vous ?
En 2009, des chercheurs ont défini neuf limites planétaires comme autant de seuils critiques essentiels au maintien de la stabilité du système Terre.
Notez que le changement d'utilisation des terres constitue lui-même une limite planétaire. Concernant l'étendue des forêts, par exemple, la référence est celle de sa superficie avant que l'humain ait dessus un impact significatif. Rester au-dessus de 75 % de cette étendue nous maintient dans des limites que les scientifiques jugent sûres. Nous maintiendrait, devrions-nous plutôt dire. Car, selon la dernière mise à jour des chiffres, la couverture forestière mondiale a déjà été réduite à seulement 60 % de sa superficie d'origine. « Nous nous trouvons au bord du précipice et devons décider si nous ferons, ou non, un pas de plus en avant », commente Johan Rockström, auteur principal de l'étude qui a introduit le concept de limites planétaires en 2009.
Comment en sommes-nous arrivés là ?
Pour mettre en œuvre des mesures qui nous éloigneraient du gouffregouffre, il faut d'abord comprendre les causes de cette affolante dégradation des sols. La première, c'est l'agriculture intensive. Elle contribue à la fois à la déforestationdéforestation, à l'érosion des sols et à leur pollution. Ses besoins en irrigationirrigation épuisent les ressources en eau. Alors que le recours excessif aux engrais déstabilise les écosystèmes. Et c'est le cercle vicieux. Les sols se dégradent et les rendements aussi. Alors on convertit toujours plus de terres à l'agriculture. On compte toujours plus sur les intrantsintrants chimiques, pendant que les populations, elles, perdent de leurs moyens de subsistance.
Le réchauffement climatiqueréchauffement climatique, en provoquant des sécheressessécheresses interminables ou de fortes inondationsinondations, n'aide pas les sols à s'équilibrer. En faisant fondre les glaciersglaciers, il perturbe aussi le cycle de l’eau. Et l'urbanisation intensifie encore le tout en détruisant en plus des habitats et accentuant la pollution.
À tout cela, il faut ajouter des causes auxquelles nous ne pensons pas toujours, depuis nos pays développés. La corruption, par exemple, qui favorise la déforestation illégale. Et la peur, dans les pays à faibles revenus les plus touchés par le problème, de perdre sa terre ou son logement. Elle sape les efforts visant à promouvoir des pratiques durables. Tout comme les subventions qui encouragent souvent de mauvaises pratiques agricoles. Le rapport « Prendre du recul par rapport au précipice » estime que 90 % des dollars dépensés dans le monde entre 2013 et 2018 pour soutenir l'agriculture sont allés à « des pratiques inefficaces et déloyales qui nuisent à l'environnement ».
Sauter le pas ou passer à l’action ?
Mais il reste possible de nous éloigner à nouveau du précipice. Pour cela, nous devrons mettre en œuvre, dans l'équité et la justice, des mesures véritablement transformatrices. Parmi celles qui sont citées par le rapport : la régénération avisée des forêts, l'agriculture sans labourlabour, l'irrigation efficace - grâce aux nouvelles technologies, notamment -, les cultures intercalaires ou l'utilisation optimisée des engrais chimiques. Concernant ce dernier point, par exemple, le rapport souligne que seuls 46 % de l'azote et 66 % du phosphore utilisés sont absorbés par les cultures. Le reste s'écoule dans les plans d'eau douce et les zones côtières, avec des conséquences désastreuses pour l'environnement.