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C'est dans le New York Times que Diana H. Wall a lancé son cri d'alarme. La directrice du Natural Resource Ecology Laboratory de l'université du Colorado est une spécialiste reconnue de l'écologie des sols. « Mais quand on parle de la dégradation des écosystèmes du sol, les gens répondent : ˝ Quoi les sols ? Qui s'en soucie ? ˝.
» Alors, elle raconte l'histoire d'un petit vers vivant dans les terres gelées de l'Antarctique.
Il s'appelle Scottnema lindsayae. C'est un nématode, c'est-à-dire un de ces vers ronds, vaguesvagues cousins des arthropodesarthropodes, dont beaucoup sont parasitesparasites tandis que d'autres s'enfouissent dans le sol, dont ils constituent, un peu partout sur la planète, la biomassebiomasse la plus importante.
Scottnema lindsayae n'est pas parasite. Il mesure un millimètre de long et crapahute dans les terres antarctiques qui ne sont pas perpétuellement recouvertes par la glace. C'est même l'animal le plus abondant des terribles Vallées sèches de McMurdo, l'un des désertsdéserts les plus arides de la planète (car les déserts ne sont pas toujours chauds !). Quand il ne fait pas trop froid, il se nourrit de toute la microfaune du sol, depuis les bactériesbactéries jusqu'aux moussesmousses. Quand la terre gèle, il entre dans un état que l'on appelle l'anhydrobioseanhydrobiose. Quelques animaux sont ainsi capables de se dessécher presque complètement, faisant quasiment cesser leur métabolismemétabolisme. Un tel état évite la congélation et ses dommages et permet de supporter des conditions épouvantables (des tardigradestardigrades ont ainsi survécu à une sortie dans l'espace).
Mais malgré cette résistancerésistance peu commune, ces petits vers voient leur population chuter. C'est ce qu'observent le docteur Wall et son équipe qui visitent cet endroit régulièrement depuis dix ans. La population de Scottnema lindsayae a diminué de 65 % depuis 1993. Cette hécatombe serait due à un refroidissement. Alors que le reste de l'Antarctique voit sa température monter, les Vallées sèches, elles, se refroidissent et s'assèchent.
Discret, Scottnema lindsayae broute une flore microscopique. Mais les nématodes comme lui jouent un rôle crucial dans tous les sols du monde.
Déforestations invisibles
Pourquoi faut-il se préoccuper de la destinée de ces petits vers ? Parce qu'ils représentent un rouage crucial du cycle du carbonecycle du carbone et que ces déserts antarctiques témoignent du rôle énorme que jouent les sols sur la quantité de gaz carboniquegaz carbonique dans l'atmosphèreatmosphère terrestre. Partout sur la planète, les nématodes recyclent massivement le carbone en broutant littéralement les micro-organismesmicro-organismes enfouis dans la terre. Leurs déjections renvoient une partie du carbone dans le sol tandis que leur respiration relargue du gaz carbonique, exactement comme le font tous les herbivoresherbivores avec les plantes. Les sols jouent donc un double rôle vis-à-vis de ce gaz : fixation et émissionémission. Côté relargagerelargage, le petit peuple enfoui fait mieux que les hommes : il émet dix fois plus de gaz carbonique que l'humanité.
Pour la fixation du gaz carbonique, les océans sont en tête mais, derrière eux, les sols retiennent davantage de carbone que les forêts et l'atmosphère réunies. Or, une étude publiée en septembre 2005 montre que l'augmentation du taux de gaz carbonique dans l'atmosphère réduit la capacité du sol à stocker le carbone.
Diana Wall explique que ce désert antarctique fonctionne comme tous les déserts du monde, qui forment un tiers de la surface des continents terrestres et que tous sont affectés par le réchauffement globalréchauffement global. Conclusion générale : les sols renferment des écosystèmes mal connus mais pourtant essentiels au cycle du carbone. Des modifications apparemment peu importantes pourraient avoir des conséquences de grande ampleur, semblables à celles des déforestationsdéforestations.