Les récifs de la Grande Barrière de corail, au nord-est de l’Australie, ont moins souffert en 2017 alors que l’eau était encore plus chaude que l’année précédente. Un phénomène d’accoutumance qui cache pourtant un bien mauvais signe.


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    En avril 2018, une équipe de chercheurs avait sonné l'alerte sur la disparition catastrophique des récifs de la Grande Barrière de corail, longue de 2.300 km. Ils avaient relevé une perte de couverture de 30 % à 50 % des coraux, entre mars et novembre 2016, en raison du stress thermique. « Les coraux sont morts en quelques semaines dans les eaux où la température a augmenté de plus de 3 °C », avaient-ils alors constaté.

    Mais en 2017, la tendance semble ralentir, constatent les chercheurs dans une nouvelle étude publiée dans Nature Climate Change, ce 10 décembre. « Nous avons été stupéfaits de trouver moins de blanchissement en 2017, alors même que les températures étaient encore plus extrêmes que celles de l'année précédente », rapporte Terry Hughes, l'un des coauteurs. Lors de la première vague, les coraux exposés à une hausse de température de 8-9 °C avaient ainsi 90 % de chance de mourir, comparé à seulement 14 % de probabilité en 2017.

    Différence de température de l’eau entre 2016 et 2017 (a), la couleur indique l’intensité du réchauffement. Et probabilité de blanchissement en 2016 et 2017 (b), en fonction de la température. © <i>Terry Hughes et al, Nature Climate Change, 2018.</i>
    Différence de température de l’eau entre 2016 et 2017 (a), la couleur indique l’intensité du réchauffement. Et probabilité de blanchissement en 2016 et 2017 (b), en fonction de la température. © Terry Hughes et al, Nature Climate Change, 2018.

    Spécifiquement, la mortalité est beaucoup plus faible pour les récifs précédemment exposés au stressstress thermique. Pour les chercheurs, c'est la preuve d'une « mémoire écologique » des écosystèmes. « Une fois que les espèces les plus fragiles ont disparu, il subsiste les plus résistantes au réchauffement », explique Terry Hughes.

    Une forêt tropicale transformée en garrigue

    Faut-il en conclure que le réchauffement n'aura finalement aucun impact sur les coraux ? Pas du tout, mettent en garde les chercheurs, car cette adaptation se fait au détriment de la biodiversité. « Un peu comme si une forêt tropicale humide se transformait en garriguegarrigue méditerranéenne », illustre Denis Allemand, directeur scientifique du Centre scientifique de Monaco et spécialiste de la biologie des organismes marins (qui n'a pas participé à l'étude). De plus, les épisodes de blanchissement trop fréquents risquent de ne pas laisser le temps au récif de se régénérer. Depuis 1998, 61 % des coraux de la Grande Barrière de corail ont subi au moins un épisode de blanchissement.


    Coraux : l'hécatombe annoncée a bien lieu

    Article de Laurent SaccoLaurent Sacco publié le 20/04/2018

    La célèbre Grande Barrière de corail, en Australie, va mal. Environ 30 % de ses récifs sont morts au cours de l'année 2016 en raison du réchauffement climatiqueréchauffement climatique. Son avenir semble compromis ainsi que celui des autres récifs de coraux dans le monde. L'évènement avait été prédit pour l'horizon 2020 dès 2000 par un expert australien, le professeur Ove Hoegh-Guldberg.

    Au cours des cinquante dernières années, la TerreTerre a perdu entre 40 et 50 % de ses récifs coralliens. Véritables « poumonspoumons des océans », ces vastes structures sont aussi vitales pour la planète que les forêts vierges. En effet, même s'ils ne représentent que 0,1 % de la surface des océans (lesquels produisent 50 % de l'oxygène que nous respirons), les récifs coralliensrécifs coralliens hébergent 25 % de toute la vie marine existante. Surtout, ils permettent à plus de 500 millions de personnes de vivre.

    L'annonce faite récemment par une équipe de chercheurs dans un article publié par le célèbre journal Nature est particulièrement inquiétante : elle fait état d'une véritable hécatombe dans la fameuse Grande Barrière de corail (GBC), au large de l'Australie. Elle officialise, par une publication scientifique, ce qui était déjà connu depuis presque un an, à savoir que 30 % des coraux de la GBC sont morts au cours de l'année 2016 des suites d'une vague de chaleurchaleur directement liée au réchauffement climatique global.


    Voilà à quoi ressemblent des récifs de coraux en bonne santé. Il s'agit d'images de Ribbon Reefs, une chaîne de dix grands récifs formant le bord extérieur de la Grande Barrière de corail, en Australie. Ces récifs abritent certains des sites de plongée les plus populaires : Steve's Bommie, Lighthouse Bommie et Cod Hole. © Undersea Productions

    L'inquiétant blanchissement des coraux

    Ces décès sont produits par le blanchissement des corauxblanchissement des coraux. Ces derniers sont des animaux vivant en symbiose avec une alguealgue responsable de leur couleurcouleur et d'une grande partie de leur nourriture. Or, cette algue les abandonne sous l'effet d'un stress thermique. Certaines parties des récifs touchés peuvent se rétablir mais cela n'a rien d'évident et cela prend du temps. Comme il y a eu deux épisodes graves de blanchissement en 2016, les récifs endommagés de la GBC n'ont aucune chance de se rétablir. La perte s'est effectuée au cours d'une période de neuf mois entre mars et novembre 2016.


    Voilà ce que sont devenus certains récifs de la Grande Barrière de corail. Le blanchissement ayant conduit en novembre 2016 à la mort des coraux est spectaculaire à Zenith Reef (nord de la Grande Barrière de corail). © ARC Centre of Excellence for Coral Reef Studies

    « La Grande Barrière de corail est certainement menacée par le changement climatique, mais elle n'est pas condamnée si nous réagissons très rapidement aux émissionsémissions de gaz à effet de serregaz à effet de serre. Notre étude montre que les récifs coralliens se modifient déjà radicalement en réponse à des vagues de chaleur sans précédent », a déclaré le professeur Terry Hughes, directeur de l'ARC Centre of Excellence for Coral Reef Studies, l'un des auteurs de l'article de Nature.

    Malheureusement, on peut avoir de bonnes raisons d'être pessimistes. Il y a quelques années, Futura avait consacré plusieurs articles au Catlin Seaview Survey. L'un des plus grands spécialistes mondiaux des coraux travaillait en étroite collaboration avec les membres du Catlin Seaview Survey en tant que responsable scientifique : il s'agit du professeur Ove Hoegh-Guldberg (voir article ci-dessous). Il avait prédit une catastrophe à l'horizon 2020.


    Catlin Seaview Survey : les coraux sont précieux mais menacés

    Article publié par Laurent Sacco le 21/02/2014

    Les récifs coralliens sont présents dans toutes les régions tropicales du monde. Mais que sont exactement les coraux et comment fabriquent-ils des récifs ? Responsable scientifique du Catlin Seaview Survey et directeur du Global Change Institute, le professeur Ove Hoegh-Guldberg nous répond sur ces questions, tout en nous expliquant que leur préservation nous concerne directement.

    L'importance et la beauté des récifs coralliens restent généralement méconnues du grand public qui n'a pas l'occasion de plonger à l'autre bout du monde sur les récifs frangeants, les récifs barrières ou dans les atollsatolls. Pourtant, l'avenir de centaines de millions de personnes est menacé à très court terme si l'on ne fait rien pour les préserver. Comme Futura-Sciences l'expliquait dans un précédent article, les membres du Catlin Seaview Survey ont entrepris de faire bouger les choses en utilisant les moyens modernes de communication et le médium incontournable qu'est aujourd'hui la Toile mondiale.

    Christophe Bailhache, le directeur des opérations du <em>Catlin Seaview Survey</em>, en plein travail sur la Grande Barrière de corail en Australie en 2012. Les opérations pour 2014 sont sur le point de débuter aux Philippines dans le cadre de la campagne de l’Asie du Sud-Est. © <em>Catlin Seaview Survey</em>, Jayne Jenkins
    Christophe Bailhache, le directeur des opérations du Catlin Seaview Survey, en plein travail sur la Grande Barrière de corail en Australie en 2012. Les opérations pour 2014 sont sur le point de débuter aux Philippines dans le cadre de la campagne de l’Asie du Sud-Est. © Catlin Seaview Survey, Jayne Jenkins

    L'équipe réalise actuellement une extraordinaire banque de données visuelles concernant tous les récifs coralliens de la planète. Disponible pour tous les membres du village planétaire, elle est aussi précieuse pour les biologistes marins soucieux de mieux comprendre et de mieux préserver ces écosystèmes qui contiennent un tiers des espèces marines, soit près de 100.000. L'un des plus grands spécialistes mondiaux des coraux travaille d'ailleurs en étroite collaboration avec les membres du Catlin Seaview Survey puisqu'il en est le responsable scientifique. Il s'agit du professeur Ove Hoegh-Guldberg.


    Dans un reportage diffusé sur France 3 datant du 28 novembre 2000, le professeur Ove Hoegh-Guldberg se joignait à un membre de Greenpeace pour annoncer que, du fait du réchauffement de la planète, l'océan Pacifique pourrait perdre la majorité de ses barrières de corail d'ici à la fin du siècle et que les dommages causés dévasteront les industries de la pêche et du tourisme de la région. Les îles les plus vulnérables sont Tuvalu et Kiribati, la Polynésie Française, les îles Cook, la Nouvelle-Calédonie, le Vanuatu et les Fidji. © Ina.fr

    Comme le montre la vidéo ci-dessus, au début des années 2000, ce biologiste australien tirait déjà la sonnettesonnette d'alarme avec les membres de Greenpeace. Il prévoyait une catastrophe écologique d'ici 2020 entraînant une catastrophe économique. La survie même des récifs coralliens à la fin du XXIe siècle pouvait être questionnée.

    Futura-Sciences a choisi d'accompagner les membres du Catlin Seaview Survey pendant leurs aventures aux quatre coins du globe afin d'aider à la prise de conscience planétaire nécessaire à la préservation des coraux pour les générations futures. Nous donnerons régulièrement des nouvelles de ce projet (vous pouvez aussi suivre les aventures du Catlin Seaview Survey sur Google+, Twitter et Facebook). Mais pour comprendre les enjeux, il est indispensable de se familiariser avec les récifs coralliens. C'est ce que nous vous proposons de faire grâce à Ove Hoegh-Guldberg.

    Ove Hoegh-Guldberg est le directeur de l'institut Global Change. Préoccupé par l'impact du changement climatique sur l'avenir des écosystèmes que constituent les récifs coralliens, il est aussi soucieux de partager ses connaissances sur le sujet avec le plus grand nombre. Ce biologiste australien est l'un des experts mondiaux des coraux. © <em>The University of Queensland</em>
    Ove Hoegh-Guldberg est le directeur de l'institut Global Change. Préoccupé par l'impact du changement climatique sur l'avenir des écosystèmes que constituent les récifs coralliens, il est aussi soucieux de partager ses connaissances sur le sujet avec le plus grand nombre. Ce biologiste australien est l'un des experts mondiaux des coraux. © The University of Queensland

    Laissons la parole au professeur Ove Hoegh-Guldberg lui-même pour le reste de l'article.

    « Les coraux, qui sont au cœur des récifs coralliens, sont des organismes simples apparentés aux anémones de mer et aux médusesméduses, mais qui ont développé une symbiose intime avec des micro-algues appelées zooxanthelleszooxanthelles. Ensemble, le corail et les zooxanthelles piègent l'énergieénergie de la lumièrelumière du soleilsoleil et la convertissent en sucressucres et autres composés organiques, qui offrent une importante source de nutrition et d'énergie pour les coraux. Cette symbiose entre des animaux et des micro-algues est un tel succès que les coraux sont également capables de précipiter de grandes quantités de carbonate de calciumcarbonate de calcium.

    Celui-ci forme un matériaumatériau calcairecalcaire, comme ceux que de nombreux autres organismes tropicaux produisent, et qui s'accumule au fil du temps dans les structures familières associés aux récifs coralliens. En plus des coraux, de nombreux autres organismes, y compris des méduses, des palourdes, des nudibranches, des vers plats, le varech et de minuscules créatures appelées foraminifèresforaminifères ont également développé des relations symbiotiques avec les zooxanthelles.


    Dans cette vidéo, le professeur Hoegh-Guldberg explique que les coraux sont essentiels aux récifs coralliens. Ils croissent de générations en générations sur les restes calcaires construits par leurs prédécesseurs en exploitant la lumière du soleil. Ces structures permettent alors à d'autres espèces, comme les poissons, de proliférer. © Catlin Seaview Survey, YouTube

    Les récifs coralliens, des écosystèmes complexes et riches

    Alors que les récifs coralliens sont les seules structures vivantes visibles depuis l'espace, ils n'occupent qu'une fraction infime des océans (moins de 0,1 %). Malgré cette petite taille, les récifs coralliens sont les écosystèmes les plus diversifiés des océans. Certains scientifiques estiment qu'au moins un million d'espèces vivent dans et autour des récifs coralliens. Dans la Grande Barrière de corail de l'Australie, par exemple, il existe plus de 500 espèces de coraux, près de 1.500 espèces de poissonspoissons et près de 3.000 espèces de mollusquesmollusques.

    Bien que ces créatures charismatiques soient les organismes les plus visibles des récifs coralliens, la liste des espèces présentes sur la Grande Barrière de Corail en contient des centaines de milliers d'autres si l'on tient compte des nombreux organismes souvent cryptiques tels que des crabes, des crevettes, des vers, des échinodermeséchinodermes, des algues, des microbesmicrobes et les bactériesbactéries marines. À une extrémité de cet écosystème complexe se trouvent les producteurs primairesproducteurs primaires qui piègent l'énergie du soleil, tandis qu'à l'autre extrémité on trouve les prédateurs tels que les requins. Ensemble, ces organismes constituent un écosystème dynamique et interdépendant. Les récifs coralliens ont été une caractéristique persistante des régions tropicales de notre planète depuis des centaines de millions d'années.

    Les nudibranches sont des animaux marins caractérisés par leurs branchies nues. Ils forment un ordre de mollusques gastéropodes (<em>Nudibranchia</em>). Celui présent sur cette image vit sur la Grande barrière de corail. © Catlin Seaview Survey, Jayne Jenkins
    Les nudibranches sont des animaux marins caractérisés par leurs branchies nues. Ils forment un ordre de mollusques gastéropodes (Nudibranchia). Celui présent sur cette image vit sur la Grande barrière de corail. © Catlin Seaview Survey, Jayne Jenkins

    Alors que certains organismes ont subtilement changé au cours du temps, la preuve de l'activité des écosystèmes des récifs coralliens a été figée dans le temps sous la forme des énormes gisementsgisements de calcaire à travers la planète. Tout au long de cette période, les récifs coralliens ont dominé les mers chaudes et peu profondes, s'étendant ou régressant en fonction des changements lents dans leur environnement. La Grande Barrière de corail, par exemple, s'est formée pendant les périodes chaudes et a disparu au cours des périodes glaciairespériodes glaciaires, lorsque le niveau des mers était 180 m plus bas qu'aujourd'hui. Ces flux et refluxreflux des récifs coralliens le long des côtes du monde font partie d'un cycle naturel dans lequel la distance de la Terre au soleil varie légèrement en raison d'une oscillation de l'excentricitéexcentricité de son orbiteorbite au cours des milliers d'années.

    Les récifs coralliens, des acteurs vitaux de l'économie

    Bien que n'occupant qu'une petite fraction de la surface de la Terre, les récifs coralliens sont extrêmement importants pour l'humanité. Plus de 500 millions de personnes tirent leur nourriture et leurs revenus des récifs coralliens qui bordent les côtes de nombreux pays tropicaux. Cette contribution à la subsistance de ces populations est essentielle, quand il n'y a guère d'alternative pour trouver nourriture et revenus. Dans les pays développés, les récifs coralliens jouent également des rôles économiques importants. Par exemple, la Grande Barrière de corail d'Australie génère chaque année environ 4 milliards d'euros et fournit de l'emploi à 63.000 personnes, et de façon durable à partir du tourisme et des fruits de mer. Au niveau mondial, les récifs coralliens apportent des centaines de milliards d'euros chaque année aux économies nationales. À cet égard, les récifs coralliens ne sont pas seulement beaux et précieux du point de vue de la biologie, ils contribuent de façon importante au bien-être de centaines de millions de personnes à travers le monde.


    La Grande barrière de corail s'étend sur plusieurs centaines de milliers de kilomètres carrés, le long de la côte est de l'Australie. Comme l'explique cette vidéo, son existence est menacée à très court terme. © Euronews, YouTube

    Malgré leur importance, les récifs coralliens se dégradent rapidement sous la pressionpression des activités humaines. À l'échelle locale, la destruction de la végétation côtière par l'exploitation minière, la déforestationdéforestation et l'agricultureagriculture polluent les eaux côtières avec des sédimentssédiments, des toxinestoxines et des substances nutritives. Dans de nombreux pays, les récifs coralliens sont également surexploités, si bien que des espèces de poissons et d'autres organismes clés disparaissent, entraînant des changements écologiques à grande échelle. Les récifs régressent alors, laissant la place à d'autres organismes tels que le varech et les cyanobactériescyanobactéries, qui deviennent dominants.

    À l'échelle mondiale, l'augmentation dans l'atmosphèreatmosphère des concentrations de gaz à effet tels que le dioxyde de carbonedioxyde de carbone conduit à des changements rapides des températures de la mer et à l'acidification des océans. Le changement de l'environnement produit est des centaines de fois plus rapide que les transitions des âges glaciaires du passé, lesquels sont fondamentalement différents de tous ceux que nous connaissons au cours des 40 derniers millions d'années. Ces changements à grande échelle ont déjà eu des impacts sur les récifs coralliens : blanchissement des coraux, apparition de maladies et ralentissement de la capacité des coraux à former leur squelette de carbonate de calcium.

    Quant à l'avenir, les changements prévus concernant la température de la mer et sa chimiechimie laissent penser que les récifs coralliens pourraient bien disparaître avant la fin de ce siècle si nous ne prenons pas des mesures d'urgence pour réguler l'utilisation des combustiblescombustibles fossilesfossiles et la libération du dioxyde de carbone dans l'atmosphère de la Terre que leur combustioncombustion entraîne ».