La réponse de la France au changement climatique progresse. Elle reste toutefois nettement insuffisante. Voilà pour le constat. Mais le rapport du Haut Conseil pour le Climat (HCC) qui vient tout juste d’être publié va plus loin. Il appelle à enfin mettre en œuvre les solutions dont nous disposons. Comment ? Corinne Le Quéré, climatologue et présidente du HCC, nous donne quelques pistes.


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    Pour respecter les engagements de la loi européenne sur le climat adoptée il y a un an déjà, la France devra faire baisser ses émissionsémissions de gaz à effet de serre (GES) de 4,7 % par an sur la décennie en cours. C'est plus de deux fois plus que le rythme actuel de notre effort. La moyenne de la décennie 2010 étant de l'ordre de 1,7 %. « Deux fois plus, ce n'est pas rien. Mais c'est absolument faisable, nous assure Corinne Le Quéré, climatologueclimatologue et présidente du Haut Conseil pour le Climat (HCC). Les idées sont là. Les outils également. Nous savons ce qu'il faut faire. Il est désormais grand temps de rendre notre réponse au changement climatique opérationnelle. »

    C'est tout l'esprit du quatrième rapport annuel du Haut conseil pour le climat paru aujourd'hui. Il appelle à « dépasser les constats pour mettre en œuvre les solutions ». Depuis plus de dix ans, les émissions de la France diminuent. Sur la période 2019-2021 et malgré un rebond partiel post-Covid, la baisse s'est poursuivie à un rythme de 1,9 %. Voilà où nous en sommes. « Mais l'urgence s'est accélérée. Le dernier rapport du Groupe intergouvernemental d'experts sur l'évolution du climat (Giec) l'a souligné. Les effets du réchauffement climatique s'intensifient », nous fait remarquer Corinne Le Quéré.

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    C’est confirmé, les canicules de 2019 ont été plus intenses à cause du réchauffement climatique !

    Et cela ne se passe pas à l'autre bout du monde. Cela se passe en France. Des extrêmes de chaleurchaleur, des sécheresses, des pluies diluviennes. Pour la première fois, le rapport du HCC présente les événements météorologiques survenus au cours de l'année écoulée et « dont la probabilité d'occurrence ou l'intensité ont été accentuées par le changement climatique anthropique ».

    « Revenir sur ces événements permet de donner une idée de ce à quoi nous allons devoir nous adapter, nous explique la présidente du HCC. Parce que le réchauffement climatique va se poursuivre. Jusqu'à ce que nous ayons atteint la neutralité carboneneutralité carbone. C'est-à-dire, dans le meilleur des cas, pendant encore 20 ou 30 ans. Et les effets de ce réchauffement sont très variables selon les régions. Leur géographie ou leur économie. Il faut en avoir pleinement conscience au moment de mettre en place des solutions opérationnelles. »

    Les températures remarquables enregistrées en France en 2021. © HCC, Météo France, Gaëlle Sutton, 2022
    Les températures remarquables enregistrées en France en 2021. © HCC, Météo France, Gaëlle Sutton, 2022

    Devenir opérationnels

    Le mot revient encore et toujours dans la bouche de Corine Le Quéré. « Nous insistons beaucoup là-dessus, en effet. Pour y arriver, nous devons changer d'échelle. Actionner tous les leviers à notre disposition. » Et la bonne nouvelle, c'est que des leviers, il en existe beaucoup. Par exemple, celui dont il est de plus en plus souvent question depuis quelque temps : la sobriété. « C'est le levier le moins mobilisé par l'État, pour l'instant. Ce n'est pas forcément celui qui a le plus de potentiel. Mais il doit être actionné. Pour venir en soutien des autres. »

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    « Le stockage du CO2, c’est bien. La sobriété, c’est encore mieux »

    Dans le contexte de guerre en Ukraine que nous vivons actuellement, par exemple. « Cette crise force le gouvernement à une réponse urgente qui doit protéger notre société. Mais il faut absolument veiller à ce que, parmi les mesures d'urgence, celles qui vont à l'encontre de la neutralité carbone, restent très temporaires », nous fait remarquer la présidente du Haut Conseil pour le Climat. On pense notamment aux boucliers tarifaires décidés par l'État il y a quelques mois maintenant. Ou au choix de relancer la centrale à charbon Émile-Huchet de Saint-Avold (Moselle) d'ici l'hiverhiver prochain.

    « Il faut aussi être attentif aux mesures qui pourraient entraîner une augmentation des émissions de gaz à effet de serregaz à effet de serre sur le long terme. » Ainsi le remplacement du gaz fossilefossile par du gaz naturel liquéfié (GNLGNL). Car l'usage du second émet plus de dioxyde de carbonedioxyde de carbone (CO2) que l'usage du premier. « Remplacer le gaz fossile par du GNL permet, dans une certaine mesure, de sécuriser les approvisionnements. Mais pour ne pas nuire au climat sur le long terme, la mesure doit nécessairement s'accompagner d'une baisse des consommations. » La fameuse sobriété.

    La sobriété à tous les niveaux

    Celle qui permet aussi d'éviter ce que les spécialistes appellent l'effet rebond. « Il y a eu beaucoup d'efforts  de rénovationrénovation énergétique des bâtiments, souligne pour nous Corinne Le Quéré. Des efforts qui auraient porté plus de fruits encore s'ils avaient été, d'une part, menés avec une vision plus globale, et d'autre part, accompagnés de conseils de sobriété. » Car si l'on s'attendait à des consommations de chauffage moindre grâce à des maisons mieux isolées, la réalité est tout autre. Certains préfèrent en effet profiter de températures intérieures plus élevées. Quitte à toujours consommer autant d'énergieénergie qu'avant. L'effet rebond.

    Le saviez-vous ?

    En France, les émissions de gaz à effet de serre sont assez équitablement réparties sur l’ensemble des grands secteurs de l’économie : 19 % pour l’agriculture, 18 % pour le bâtiment, 19 % pour l’industrie. Un peu moins pour l’énergie, qui profite d’un important parc nucléaire pour ne pas dépasser les 11 %. Un peu plus pour les transports qui atteignent les 31 %. D’où l’importance de viser tous les secteurs et d’impliquer l’ensemble de la société.

    « Des mesures de sobriété, on peut en prendre dans tous les secteurs. Le gouvernement pourrait, par exemple, encadrer les publicités qui incitent à une consommation excessive. Ainsi la publicité pour les SUV. Ces véhicules émettent beaucoup de CO2 et la plupart d'entre nous n'a pas besoin d'une voiturevoiture de cette dimension pour ses déplacements du quotidien. Les publicités pourraient, au contraire, inciter à des choix plus sobres en carbone. »

    En France, la baisse des émissions de gaz à effet de serre (GES) depuis 1990 est légèrement inférieure à celle enregistrée au niveau de l’Europe : 23 % au sein de l’UE-27 en 2019 contre 20 % pour la France. Parce que certains pays disposent de leviers peut-être plus faciles à actionner. La sortie du charbon, en Allemagne, par exemple. <em>« Les actions sont concentrées sur quelques infrastructures. En France, elles sont bien plus distribuées. Cela complique les choses »</em>, nous explique Corinne Le Quéré, climatologue et présidente du Haut Conseil pour le Climat (HCC). Et malgré tout, les émissions moyennes des Français restent inférieures à celles des Européens. Un effet, notamment, de notre parc nucléaire. Ici, l’évolution des émissions de GES de la France par secteur. © HCC, Météo France, Gaëlle Sutton, 2022
    En France, la baisse des émissions de gaz à effet de serre (GES) depuis 1990 est légèrement inférieure à celle enregistrée au niveau de l’Europe : 23 % au sein de l’UE-27 en 2019 contre 20 % pour la France. Parce que certains pays disposent de leviers peut-être plus faciles à actionner. La sortie du charbon, en Allemagne, par exemple. « Les actions sont concentrées sur quelques infrastructures. En France, elles sont bien plus distribuées. Cela complique les choses », nous explique Corinne Le Quéré, climatologue et présidente du Haut Conseil pour le Climat (HCC). Et malgré tout, les émissions moyennes des Français restent inférieures à celles des Européens. Un effet, notamment, de notre parc nucléaire. Ici, l’évolution des émissions de GES de la France par secteur. © HCC, Météo France, Gaëlle Sutton, 2022

    Un pouvoir d’injonction

    Pour mettre en œuvre toutes ces idées, le Haut Conseil pour le Climat avait appelé à placer la question sous la responsabilité directe du Premier ministre. « Depuis quelques semaines, c'est chose faite. Et cela devrait permettre enfin de planifier les solutions qui existent dans tous les secteurs. Pour pénétrer l'ensemble de notre société de manière beaucoup plus exhaustive. Mettre la machine en branle. Que tous les acteurs -- qu'ils soient publics ou privés, qu'ils se situent à l'échelon national ou très local -- sachent quel rôle ils ont à jouer, quelles options s'ouvrent à eux, quelles sources de financement ils peuvent solliciter, etc. »

    Le HCC attend aussi que le nouveau secrétariat général à la Planification écologique ait, non seulement les moyens financiers et humains de travailler, mais aussi, « les moyens de demander, d'exiger, même, des actions de la part des autres bras de l'administration. Qu'il dispose d'un réel pouvoir d'injonction. Parce que nous n'avons pas besoin d'une équipe de plus pour informer le Premier ministre, nous avons besoin d'une équipe qui a le poids suffisant pour faire bouger les choses », conclut Corinne Le Quéré.