Comme le soldat Ryan, il faut sauver les calottes glaciaires. Le sujet ne fait plus débat. La solution portée par la communauté scientifique, en revanche, ne semble pas vouloir convaincre tout le monde. Heïdi Sevestre est glaciologue. Elle nous explique.
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Les glaces de l’Antarctique et du Groenland - et pas seulement... - fondent à une vitessevitesse inquiétante. En cause, le réchauffement climatique provoqué par nos émissionsémissions de gaz à effet de serre. Il n'y a aujourd'hui plus grand monde - à part quelques climatosceptiques - pour discuter ce triste constat. Mais est-il trop tard pour inverser la tendance ? C'est la question qui se pose aujourd'hui. Et entre le Groenland et l'Ouganda (oui, il y a des glaciers, là-bas aussi), Heïdi SevestreHeïdi Sevestre, glaciologue, nous rassure. Oui. Nous pouvons encore sauver les calottes glaciairescalottes glaciaires !
Que sait-on de l’état des calottes glaciaires aujourd’hui et des effets qu’aurait une réduction de nos émissions de gaz à effet de serre (GES) ?
Heïdi Sevestre : Cela fait des décennies que les scientifiques préviennent. Si nous continuons à émettre de grandes quantités de gaz à effet de serre, nous mènerons les calottes glaciaires à des points de basculement. Mais la science est tout aussi catégorique, il n'est pas trop tard pour inverser la tendance.
Le saviez-vous ?
Le dernier rapport d’évaluation du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) définit un point de basculement comme un « seuil critique au-delà duquel un système se réorganise, souvent de manière abrupte et/ou irréversible ». C’est ce qui vaut aux points de basculement, le surnom de points de non-retour. Et ce qui explique qu’une fois le point de basculement franchi, les conséquences sur l’environnement, la vie et nos sociétés peuvent devenir incontrôlables.
Si nous réussissons à stabiliser puis à réduire nos émissions de GES, nous pouvons encore sauver au moins une partie des calottes polaires. Et au-delà, le permafrost, la banquise ou encore les glaciers de nos montagnes. Parler de réduction de nos émissions pour sauver la glace de nos pôles, ça a vraiment du sens. Si nous voulons leur donner une vraie chance dans l'avenir, c'est même de loin la meilleure solution qui s'offre à nous.
Pourtant, certains avancent que réduire nos émissions de gaz à effet de serre ne suffira pas…
Heïdi Sevestre : Aujourd'hui, il y a débat au sein de la communauté scientifique. Certains estiment qu'une partie du Groenland - l'ouest de la région - et de l'AntarctiqueAntarctique - les fameux glaciers de l’apocalypse, le glacier Thwaites et le glacier Pine Island - a déjà franchi son point de non-retour. D'autres ajoutent que compte tenu de la persistance du dioxyde de carbonedioxyde de carbone (CO2) dans l'atmosphèreatmosphère et des émissions déjà réalisées, même les réductions les plus optimistes de nos émissions futures de gaz à effet de serre, n'empêcheront pas la fontefonte de la calotte glaciaire et l'élévation du niveau de la mer qui en découle NDLRNDLR : pour ne parler que de cette conséquence dramatique là]. Derrière les rapports qu'ils publient, se cachent souvent des puissances financières qui cherchent à imposer l'idée que le recours à la géoingénieriegéoingénierie est devenu incontournable.
C’est ce qu’avance justement le rapport publié en ce mois de juillet par l’université de Chicago (États-Unis) Glacial Climate Intervention : a research vision : « En l’absence de géoingénierie à une échelle suffisante, nous n’empêcherons pas la fonte de la calotte glaciaire. »
Heïdi Sevestre : Ceux qui disent ça se trompent. Leur erreur, c'est d'abord de poser sur la calotte glaciaire un regard d'ingénieur. De la considérer comme une machine que nous pourrions réparer en remplaçant simplement une ou deux pièces. Mais le problème est bien plus complexe que ça. Pour trouver des solutions, il faut enlever ses œillères. Adopter une vision holistique. Se limiter à dire que la glace fond en partie parce qu'elle est attaquée par des eaux devenues trop chaudes, ça permet de croire que nous pourrons arrêter le processus en tirant un rideaurideau sous-marinsous-marin qui empêchera ces eaux profondes d'approcher la glace. C'est extrêmement simpliste. Il n'y a pas que ça qui fait fondre la calotte polaire. Les mécanismes sont plus complexes. Un simple rideau, fût-il long de plusieurs dizaines de kilomètres, ne suffira pas à protéger la glace et ses interactions avec l'océan et l'atmosphère.
Leur autre erreur, c'est de circonscrire notre problème à la fonte de la calotte polaire. Même si la géoingénierie pouvait être une solution pour l'éviter, tirer un rideau dans le fond de l'océan Austral ne nous mettrait pas à l'abri des autres effets de la combustioncombustion des énergies fossilesénergies fossiles.
On en revient à la nécessité de réduire rapidement et drastiquement nos émissions de gaz à effet de serre…
Heïdi Sevestre : Absolument. Parce que ce n'est pas seulement la meilleure solution pour les calottes polaires et les glaciers du monde entier. C'est aussi la meilleure chose à faire pour la biodiversitébiodiversité ou pour la santé de nos océans, mais également pour notre propre santé et même pour nos économies [NDLR : de plus en plus d'études le montrent ; la dernière en date, publiée dans le Journal of Environmental Studies and Sciences, évoque la somme astronomique de 164 milliards de livres de cobénéfices rien que pour six centres urbains britanniques si le net zéro est atteint d'ici 2037]. Et si nous voulons que notre lutte contre le réchauffement climatique coche toutes les cases du développement durable, nous ne pouvons pas faire autrement que d'en passer par la décarbonation. C'est dans la décarbonation que du temps et les dizaines de milliards de dollars doivent être investis. Pas dans la géoingénierie.
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La suite de cet entretien avec Heïdi Sevestre se poursuivra sur le thème de la géoingénierie. La glaciologue nous expliquera un peu plus de quoi il retourne et pourquoi elle estime important de lutter contre ces idées technosolutionnistes.