En brûlant des énergies fossiles, nous émettons du dioxyde de carbone. En éliminant ce CO2, nous pourrions limiter le réchauffement de notre climat. Mais ne croyez pas tenir là LA solution à la crise mondiale que nous vivons. Car le chemin pour y arriver est encore long. Et l’élimination du CO2 ne pourra pas se substituer à l’indispensable atténuation de nos émissions.


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    En juillet dernier, des chercheurs et des entrepreneurs signaient une tribune appelant la France à lancer une politique pour le développement d'une stratégie ambitieuse d'élimination du dioxyde de carbone (CO2) atmosphérique. Parce que les experts s'accordent désormais à le dire : réduire nos émissionsémissions -- même drastiquement -- ne suffira pas à limiter le réchauffement climatique anthropique à +1,5 °C au-dessus de la moyenne préindustrielle.

    Le saviez-vous ?

    Pour le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), le terme élimination du dioxyde de carbone (EDC) — ou carbon dioxide removal (CDR) — regroupe tout ce qui permet de retirer du CO2 de l’atmosphère puis de le stocker durablement dans des réservoirs géologiques, terrestres ou océaniques, ou de le transformer en produits utiles. La restauration des puits de carbone naturels, la captation directe dans l’atmosphère ou encore les amendements minéraux agricoles ne sont donc que quelques exemples de pratiques d’EDC.

    Le Giec, le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climatGroupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat, estime que pour cela, le monde devra, d'ici 2050, éliminer entre 5 et 16 milliards de tonnes de CO2 par an. Le défi est colossal. Ce ne sont aujourd'hui pas plus de 2 millions de tonnes de CO2 qui sont durablement éliminées de notre atmosphère par des pratiques d'élimination du dioxyde de carbone (EDC) chaque année.

    Des projets ambitieux pour l’élimination du dioxyde de carbone atmosphérique

    Des projets émergentémergent toutefois. Il y a un an environ, l'entreprise américaine CarbonCapture présentait même son Bison Project.

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    La plus grande usine de captage de CO2 sur Terre va bientôt ouvrir

    Objectif : capter pas moins de 5 millions de tonnes de CO2 par an d'ici 2030. L'équivalent des émissions d'une douzaine de centrales électriques alimentées au gaz fossile. L'usine devait être mise en service fin 2023. Une bonne nouvelle pour l'EDC.

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    Le captage du CO2, un atout pour atteindre nos objectifs climatiques

    Pourtant, quelques semaines après l'annonce, les responsables reconnaissaient : « Nous avons été un peu naïfs quant à tout le travail nécessaire pour préparer quelque chose qui nous permettra d'évacuer le dioxyde de carbone dans les puits. » L'implantation et l'alimentation en énergieénergie -- une puissance de 1 gigawatt est estimée nécessaire -- de l'usine posait question. Les permis pour transporter et stocker le CO2 en profondeur n'avaient pas été accordés. La mise en service -- des premiers modules d'une capacité de 10 000 tonnes par an -- a été reportée d'une année. Ce qui n'a pas empêché MicrosoftMicrosoft d'acheter d'ores et déjà des crédits d'élimination du carbone. En 2021, le géant de la tech s'estimait avoir été responsable de l'émission de 14 millions de tonnes de CO2 !

    L’élimination de carbone face aux réalités

    Pour encore quelques mois au moins, la plus grande usine de captage de CO2 dans l'atmosphère au monde reste ainsi celle installée par Climeworks en Islande. Avec une capacité de... 4 000 tonnes par an.

    On comprend mieux pourquoi Carbon GapGap, l'organisation à but non lucratif qui travaille pourtant à développer les pratiques d'EDC en Europe, évoque « le mirage de pouvoir éliminer d'importants volumesvolumes de carbone à l'avenir ».

    L’élimination de carbone atmosphérique en France

    Cet été, Carbon Gap avait réuni quelques experts pour discuter des enjeux du développement des filières d'EDC en France. Le constat était clair. Si l'écosystème académique et de recherche semble intéressant, seules quelques start-upsstart-ups se positionnent aujourd'hui sur le sujet. Pour la plupart à un stade très préliminaire de développement, qui plus est. Il y a encore moins de démonstrateursdémonstrateurs. Les investisseurs manquent aussi. D'autant que les experts estiment que pour éliminer 10 milliards de tonnes de CO2 par an à partir de 2050, « il faudrait déployer la même quantité d'actifs que dans les secteurs du pétrolepétrole et du gazgaz réunis, depuis l'extraction jusqu'à nos robinets ».

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    « Le stockage du CO2, c’est bien. La sobriété, c’est encore mieux »

    Et explorer toutes les opportunités. Des approches très technologiques et pour l'instant très chères, mais sur lesquelles les experts s'attendent à des baisses de prix importantes par effet d'échelle aux approches déjà économiquement presque intéressantes, mais pour lesquelles les experts ne s'attendent pas à une baisse des coûts. « C'est sûr, il faudra mobiliser tous les possibles. Et même comme ça, nous n'arriverons pas à éliminer les 10 milliards de tonnes de CO2 par an annoncés pour 2050 », estimait cet été un invité de Carbon Gap.

    L’élimination du carbone de l’atmosphère versus l’atténuation de nos émissions

    L'autre inquiétude en matièrematière d'élimination de dioxyde de carbone, c'est que de nombreux projets en cours sont portés par des entreprises du secteur pétrolier ou gazier. Un peu comme une manière pour eux de gagner du temps. Pour continuer par ailleurs à investir massivement dans les énergies fossiles.

    Alors, le captage du CO2 nous détourne-t-il du vrai problème ? La question est prise au sérieux par Carbon Gap qui vient de publier un rapport à ce sujet. « Nous proposons des indications claires sur la manière dont les décideurs politiques, les entreprises et les négociateurs climatiques peuvent accélérer de manière responsable l'élimination du carbone sans que cela devienne une excuse pour retarder ou ne pas agir sur le climat », explique Robert Höglund, coauteur du rapport, dans un communiqué.

    À l'occasion de la rencontre de cet été sur les enjeux du développement des filières d'EDC en France, Sylvain Delerce, le directeur scientifique associé de Carbon Gap, rappelait que « les portesportes de la compensation par l'élimination du CO2 des émissions évitables doivent être fermées. L'EDC doit être réservé à la diminution des émissions résiduelles [celles qui sont difficiles à réduire par ailleurs, ndlr] et des émissions historiques [celles qui sont déjà dans notre atmosphère, ndlr] et au traitement des émissions accrues des systèmes naturels » car les scientifiques s'attendent à ce que certains systèmes émettent plus de carbone avec le réchauffement climatique. 

    Parmi les 12 recommandations formulées par Carbon Gap pour éviter que le déploiement de pratiques d'EDC nuise à l'action climatique :

    • établir des principes indiquant quand il est approprié de recourir à l'élimination du carbone plutôt qu'à la réduction des émissions ;
    • exiger une compensation à l'identique, comprenez, un stockage permanent du carbone fossile et un stockage « seulement » biologique du carbone biogénique ;
    • fixer des objectifs distincts pour les réductions d'émissions et l'EDC ;
    • réglementer les allégations liées au climat pour éviter le « greenwashing ».

    Des recommandations que Carbon Gap appelle à suivre dès aujourd'hui. Avant que « la dissuasion en matière d'atténuation ne devienne un problème plus vaste ».