La page de la COP28 est tournée. Y a-t-il des raisons de se réjouir de ce qui s’est joué à Dubaï ? Des raisons, au contraire, de s’agacer ? De s’inquiéter ? Heïdi Sevestre est glaciologue et elle a passé deux semaines à Dubaï au milieu des lobbyistes et des délégués. Son objectif : diffuser le message scientifique. Elle nous raconte.


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    Une semaine désormais que le rideaurideau est tombé sur la 28e Conférence des parties signataires de la Convention-Cadre de l'Organisation des Nations unies sur les changements climatiques. Cette COP28 que certains n'ont pas hésité à qualifier d'historique. Une COP28 que d'autres ont, au contraire, jugée décevante.

    COP28 : un message scientifique qui peine à passer

    Heïdi Sevestre est de ceux-là. Elle est glaciologue et elle rentre juste de 15 jours à Dubaï qui l'ont chamboulée. « Nous étions sur place pour évoquer les difficultés de la cryosphère et faire passer le message scientifique. Pour expliquer pourquoi certaines choses ne devraient pas être négociables. Pourquoi il est capital de se battre pour rester sous les 1,5 °C de réchauffement climatique anthropique. Parce qu'au-delà, une partie de l'Antarctique et peut-être du Groenland risquent de commencer à s'effondrer. Et le niveau de la mer, à monter de manière dramatique. Mais, malgré la présence sur place des meilleurs glaciologues du monde, nous avons eu de la peine à attirer l'attention des négociateurs sur le sujet. »

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    COP28 : le diable se cache dans les détails de l’accord « historique »

    Il faut dire que dans le « brouhaha » de la COP28, il semble de plus en plus difficile de faire entendre sa voix. Surtout lorsque l'on est scientifique. Leur représentation à Dubaï était infime face à celle des lobbyistes. « L'accord final en est le reflet. Il est la preuve que les négociateurs n'ont pas compris ce que sont les points de basculement et les risques qu'ils font planer sur nous », estime Heïdi SevestreHeïdi Sevestre. « Le texte prétend viser les 1,5 °C, mais c'est faux. Il fait la part belle aux énergiesénergies de transition. Et quand on parle d'énergies de transition, on ne parle pas d'énergies renouvelables, mais bien de gazgaz fossile. Sa combustioncombustion émet des gaz à effet de serre. Sur la question du charboncharbon, c'est un échec total, car il n'est question que de "unabated coal" [comprenez : du charbon que l'on brûle à condition d'en capter les émissionsémissions, ndlr]. Et il y a cette phrase sur les subventions aux énergies fossilesénergies fossiles. Elle parle de commencer à diminuer les "subventions inefficaces". Ça ne veut strictement rien dire ! Ce texte ne nous permettra pas d'éviter des conséquences irréversibles liées à l'effondrementeffondrement du Groenland et de l'AntarctiqueAntarctique. La fenêtrefenêtre des 1,5 °C est encore ouverte, mais elle se ferme extrêmement rapidement maintenant. Chaque jour qui passe, c'est une opportunité perdue et on ne peut plus se le permettre. »

    La géoingénierie pour sauver le climat ?

    Parmi les sujets qui inquiètent le plus la glaciologue, celui de la percée des technologies de géoingénieriegéoingénierie. Ces technologies pensées pour influer sur le climatclimat.

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    La géoingénierie climatique : bonne ou mauvaise idée ?

    « Il en a beaucoup été question à la COP28. Capter le carbonecarbone pour continuer à brûler des combustiblescombustibles fossiles. C'est ce que vendent les pétrogaziers. Mais il faut être lucide. Pour cela, il faudrait multiplier les capacités de technologies même pas tout à fait prouvées par un million d'ici la fin de ce siècle. Alors même que si nous arrivions à les multiplier par cent ou par mille, ce serait déjà un miracle. Nous aurons besoin de ces technologies, mais nous ne pouvons pas tout miser sur elles comme voudraient nous le faire croire les pétrogaziers. Nous n'y arriverons pas sans diminuer nos consommations d'énergies fossiles. Multiplier les énergies renouvelables par trois et l'efficacité énergétique par deux, c'est indispensable. Mais ça ne suffira pas. C'est la raison pour laquelle nous nous battions, lors de cette COP28, pour faire apparaître le terme "fossil fuelsfuels phase out" [comprenez « sortie des énergies fossiles », ndlr]. Il y a de vraies raisons scientifiques à cela. Des réalités physiquesphysiques. Ce n'est pas une lubie d'activiste. »

    Demander la sortie des énergies fossiles n’est pas une lubie d’activiste

    « Au lieu de ça, l'accord final nous vend de la géoingénierie. C'est de la poudre de perlimpinpin. Et c'est à nous, scientifiques, de nous montrer plus vigilants à ce sujet. D'autant que beaucoup d'entre nous cherchent aujourd'hui des financements privés pour mener leurs travaux sur le réchauffement du Groenland ou la montée du niveau des mers. Et que ces financements, ils les trouvent justement auprès de l'industrie de la géoingénierie qui reste en manque de données sur les conséquences des solutions qu'elle propose. Les glaciologues sont un peu naïfs. Ils ne se rendent pas compte à quel point ils sont utilisés. »

    Des raisons de continuer le processus des COP

    « Alors oui, le terme "énergies fossiles" apparaît pour la première fois dans le texte d'un accord final de COP. C'est une victoire. Malheureusement, on ne peut plus s'en satisfaire aujourd'hui », insiste Heïdi Sevestre.

    La glaciologue trouve toutefois quelques bonnes nouvelles à partager avec nous. « Malgré l'état fragmenté de notre monde, malgré les divisions, nous sommes arrivés à un accord entre 198 pays. Il faut le souligner. »

    « Et il y a eu quelques moments de grâce. Comme celui où le président de la COP28, Sultan Al-Jaber, a invité les délégués à s'asseoir en cercle. Pour la première fois, le représentant des Fidji a pu regarder celui de l'Arabie saoudite dans les yeuxyeux lorsqu'il a raconté que son pays sera sous l'eau dans quelques années. Les discussions ont été plus franches. Le fait qu'il ait été question aussi de l'importance de la biodiversitébiodiversité et des services rendus par les écosystèmesécosystèmes, les fameuses "nature based solutions", a été positif également. Et puis, on n'y pense pas, lorsque 198 pays sont ainsi réunis, c'est l'occasion pour des processus parallèles de prendre de l'ampleur. J'aime bien l'exemple de la coalition qui défend le traité de non-prolifération des énergies fossiles. Elle a pu avoir de l'écho. La preuve qu'il ne faut pas tout miser sur l'accord final. Les raisons d'espérer viennent aussi de ce type d'initiatives alternatives qui profitent du rassemblement pour se faire entendre. Rien que pour ça, il est important que les COP continuent. »