Il y a 416 000 ans, un réchauffement climatique modéré a entraîné une fonte spectaculaire — et inattendue — du Groenland. De quoi inquiéter les chercheurs qui comparent cette situation avec celle que nous vivons aujourd’hui d’un réchauffement climatique anthropique rapide et important.
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Une épaisse calotte de glace recouvre aujourd'hui le Groenland. Mais il n'en a pas toujours été ainsi. Le simple terme Groenland, ou Greenland comme l'appellent les anglophones, ne renvoie-t-il pas à un passé plus verdoyant ? Une carotte extraite du nord-ouest de la région pendant la guerre froide avait d'ailleurs révélé des feuilles et de la moussemousse. Comme de potentiels vestiges d'une forêt boréale qui se serait épanouie là il y a longtemps maintenant.
Mais, longtemps, à quel point ? Les scientifiques étaient, jusqu'à récemment, convaincus que la glace couvrait le Groenland depuis des millions d'années. Il y a deux ans, toutefois, des premiers travaux ont suggéré qu'un épisode de fontefonte avait pu se produire il y a quelque chose comme un million d'années. Aujourd'hui, les chercheurs de l’université du Vermont (États-Unis), déjà auteurs de ces études, apportent plus de précisions. Ils avancent que la fonte du Groenland s'est même produite moins loin dans le passé que ccela. Il y a « seulement » 416 000 ans -- avec une marge d'erreur de l'ordre de 40 000 ans.
Pour en arriver à cette conclusion, les chercheurs ont utilisé une technologie de luminescence avancée et une analyse d'isotopesisotopes rares. Ils ont ainsi mis à jour des preuves directes que les sédiments situés juste sous la calotte glaciairecalotte glaciaire du Groenland ont été déposés par l'écoulement de l'eau dans un environnement sans glace, de type toundra, au cours d'une période de réchauffement modéré que les scientifiques appellent le stade isotopique marin 11 (MIS 11). De larges zones de glace ont alors fondu, entraînant une montée du niveau de la mer d'au moins 1,5 mètre.
Des glaces qui fondent et le niveau de la mer qui monte
La découverte fait un peu l'effet d'une bombe. D'abord parce que les chercheurs pensaient encore que la calotte glaciaire du Groenland avait été particulièrement stable depuis au moins 2,5 millions d'années. Ensuite, parce que l'endroit d'où a été extraite la carotte de glace étudiée -- Camp Century, une ancienne base militaire américaine -- est situé à un peu plus de 1 200 kilomètres seulement du pôle Nord. Que la région ait été libre de glace au cours de cette période de l'histoire durant laquelle notre Terre connaissait des températures similaires ou seulement légèrement plus chaudes qu'aujourd'hui a de quoi inquiéter.
Les modèles des chercheurs montrent que la fonte de la calotte glaciaire du Groenland qui s'est produite il y a environ 416 000 ans -- et qui aurait duré quelque 15 000 ans -- a joué un rôle non négligeable dans l'élévation du niveau de la mer à cette époque. Rappelons que les conditions climatiques interglaciaires l'avaient alors fait monter de 6 à 13 mètres au-dessus de son niveau actuel.
Les chercheurs soulignent que, si un réchauffement modéré a pu avoir cet effet, « le réchauffement climatiqueréchauffement climatique anthropique rapide, prolongé et considérable que nous vivons entraînera probablement la fonte de la glace du Groenland, ce qui élèvera le niveau de la mer et déclenchera d'autres rétroactionsrétroactions climatiques dans les siècles à venir ». Il y a 416 000 ans, il n'y avait pas de villes sur les côtes et la concentration en dioxyde de carbonedioxyde de carbone (CO2) dans l'atmosphèreatmosphère était de seulement 280 parties par million (ppmppm). Aujourd'hui, elle atteint les 422 ppm et ne semble pas avoir fini de monter. Alors que New York, Boston, Miami, Amsterdam et la plupart des centres de population du monde sont... au niveau de la mer !
Stupéfaction chez les scientifiques avec la découverte de plantes sous la glace au Groenland
Un Groenland libre de glace. Vous pouvez l'imaginer ? C'est en tout cas ce que suggère l'étude d'une carotte de glace perdue depuis longtemps. Elle apporte aujourd'hui une preuve directe de la grande sensibilité du Groenland au réchauffement climatique.
Article de Nathalie MayerNathalie Mayer, paru le 21/03/2021
Il vous arrive de perdre vos clés ou votre téléphone portable ? Cette histoire pourrait vous rassurer. Parce que vous n'êtes pas seul à perdre des choses. Et certains les perdent pendant longtemps. Pendant plus de 50 ans, même parfois... Comme cette carotte qui a été extraite sur une profondeur de près de 1.400 mètres de la glace du nord-ouest du Groenland par des scientifiques de l'armée américaine en 1966. Puis déplacée de congélateur en congélateur. Et finalement retrouvée... en 2017 !
Le saviez-vous ?
Dans les années 1960, au cœur de la guerre froide, l’armée américaine avait pour projet de cacher sous la glace du Groenland, pas moins de 600 missiles nucléaires au plus près de son ennemi soviétique. Pour couvrir cet objectif secret, le camp militaire était présenté comme une base scientifique. C’est depuis ce camp qu’a été extraite la carotte de glace qui révèle aujourd’hui l’histoire du Groenland.
Une heureuse (re)découverte. Parce que les chercheurs de l’université du Vermont qui l'ont alors examinée ne s'attendaient pas à trouver sur les quelques mètres de terre qui la terminaient, autre chose que du sablesable et de la roche. Mais ils y ont observé des brindilles et des feuilles parfaitement préservées. « Ce sont des fossilesfossiles, mais on dirait qu'ils sont morts hier », commente même Andrew Christ, chercheur, dans un communiqué.
C'est grâce à des analyses isotopiques que les scientifiques accèdent à des informations sur la fenêtrefenêtre de temps durant laquelle les roches ont pu être exposées au soleilsoleil ou enfouies sous la glace. Certaines formes rares de bérylliumbéryllium, en effet, ne se forment dans le quartzquartz que lorsque le sol est frappé par les rayons cosmiquesrayons cosmiques. Des techniques de luminescence permettent, quant à elles, d'estimer le temps écoulé depuis que des sédiments ont été exposés à la lumièrelumière pour la dernière fois. La datation au radiocarbone et d'autres techniques encore ont permis de venir compléter le tableau. Et d'apporter la preuve -- directe alors que le passé du Groenland était jusqu'alors plutôt connu par des indices indirects, recueillis au large -- qu'à la place du paysage glacé que nous connaissons aujourd'hui, s'est dressé là un paysage végétalisé. Pourquoi pas une véritable forêt boréale ? Dans un passé relativement récent. Géologiquement parlant en tout cas.
Un Groenland libre de glace
L'étude de cette carotte prélevée à quelque 120 kilomètres à l'intérieur des terres -- et à moins de 1.300 kilomètres du pôle nord -- montre ainsi aujourd'hui que la majeure partie du Groenland -- si ce n'est la totalité -- a connu au moins deux périodes libres de glace au cours du dernier million d'années. Peut-être même des quelques dernières centaines de milliers d'années. Dans un climatclimat à peine plus chaud que celui d'aujourd'hui. Une donnée importante pour les scientifiques qui veulent comprendre comment la calotte glaciaire réagira au réchauffement climatique anthropique.
“C’est un problème urgent”
Rappelons qu'il est modélisé que la fonte de la glace du Groenland mènerait à une élévation du niveau de la mer d'environ six mètres. De quoi engloutir un certain nombre de grandes villes côtières. Parmi lesquelles Dhaka, la capitale du Bangladesh, Miami ou encore New York. « Ce ne sera pas le problème des générations futures. C'est un problème urgent pour les 50 prochaines années », souligne Paul Bierman, géoscientifique.
Dans les années 1960, les chercheurs voyaient encore le Groenland comme une région « gelée en permanence ». Mais ces nouveaux travaux font la preuve que le Groenland est en réalité plus sensible au réchauffement climatique que le pensaient les scientifiques. Même lorsque ce réchauffement est naturel. Et bien plus lent que le réchauffement climatique anthropique en cours.