À la fin du mois de juin et puis de nouveau la semaine dernière, notre pays a fait face à deux canicules jugées exceptionnelles par les météorologues. Christelle Robert, prévisionniste à Météo France, nous explique les mécanismes naturels qui leur ont donné naissance. De son côté, Alain Gioda, historien du climat de l'IRD, souligne le rôle de l’Humain dans la survenue de ce type d’évènements climatiques.


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    Record absolu de chaleur à Paris où il a été enregistré jusqu'à 42,6 °C ce jeudi 25 juillet 2019 ! La nuit du 24 au 25 juillet a, quant à elle, été la nuit la plus chaude jamais enregistrée en France. Jusqu'à 26,5 °C au lever du jour à Bordeaux ! Avant même le début du mois d'août, notre été a déjà été marqué par deux canicules. Deux canicules relativement courtes, mais d'une intensité qualifiée d'exceptionnelle par les météorologuesmétéorologues.

    Futura : Alain GiodaAlain Gioda, depuis Montpellier, vous avez vécu ces canicules de l'intérieur. Plus encore celle du mois de juin. Quel est votre ressenti ?

    Alain Gioda : À Montpellier, le record de chaleurchaleur a été pulvérisé. 43,5 °C relevés ce vendredi 28 juin 2019 contre 37,7 °C enregistrés le 4 août 2017. Mais n'oublions pas que la station météo qui a enregistré cette température, celle de l'aéroport de la ville de Fréjorques, se situe aujourd'hui dans une zone périurbaine sans rapport avec le contexte de steppe ouverte dans lequel elle a été implantée dans les années 1940, suite à l'inauguration de cette base d'avions en 1938, juste avant la guerre. Et contrairement à ce que nous avions vécu en 2003, cette fois, les températures n'ont atteint des records que sur un seul jour.

    Futura : C'est tout de même dans l'Hérault qu'a été enregistré, ce même vendredi, un nouveau record de température national.

    Alain Gioda : 46 °C à Vérargues. Mais vous savez, c'est une région viticole. La commune forme d'ailleurs depuis le 1er janvier dernier, une nouvelle commune avec Saint-Christol baptisé Entre-Vignes. Le sol est à découvert dans tous les sens du terme et l'environnement est très minéral. Je ne suis pas surpris que des records tombent dans ce type d'endroit.

    Je ne suis pas surpris

    Comme je ne suis pas surpris qu'ils tombent du côté de la capitale. Paris fait aujourd'hui figure de canyon rocheux irrespirable où le bétonbéton est roi et le végétal a à peine le droit de cité.

    Futura : Christelle Robert, pouvez-vous nous expliquer ce qui s'est joué au-dessus de nos têtes en ce mois de juin ?

    Christelle Robert : Précisons d'abord qu'une situation météorologique n'est jamais identique à une autre. Elle se caractérise par le positionnement de ce que nous appelons des centres d'action - à savoir, les anticyclones et les dépressions - et par l'origine des masses d'air en présence. Au mois de juin, nous avons connu une situation de blocage. Une large dépression s'est installée au-dessus de l'Atlantique.

    Nous devons ces canicules à des situations de blocage

    Pendant ce temps, des hautes pressionspressions s'étiraient sur l'Europe de l'Ouest. Le tout a donné naissance à un puissant flux d'air venant du sud. Une masse d'air chaud provenant du Sahara en a profité pour remonter jusqu'à nos latitudes. Et les hautes pressions installées au-dessus de notre pays ont constitué un véritable dôme de chaleurdôme de chaleur bloquant les perturbations. Pourtant, un sol encore relativement humide à cette époque de l'année - favorisant ainsi l'évapotranspiration - et un petit ventvent de nord-est sur une frange nord du pays, ont permis de limiter la hausse des températures au sol. Le potentiel de la masse d'air ne s'est finalement pas exprimé pleinement, sauf sur l'Hérault et le Gard qui ont alors connu des chaleurs extrêmes.

    Futura : Une canicule aussi précoce, c'est du déjà-vu ?

    Christelle Robert : Absolument et pas plus tard qu'en juin 2017. Les canicules font partie intégrante de la variabilité de notre climatclimat. Cependant, celle du mois de juin 2019 a été exceptionnellement intense pour la période. Et nous estimons que dans un contexte de réchauffement climatique, les évènements caniculaires pourraient se faire de plus en plus précoces - et tardifs -, de plus en plus fréquents et de plus en plus intenses.

    Futura : En intensité, la canicule de juillet semble constituer un bel exemple de ce qui nous attend.

    Christelle Robert : La situation était différente. Le flux d'air venant du sud était moins puissant qu'en juin. Et il provenait de la péninsulepéninsule ibérique. Mais lorsque de hautes pressions se sont installées sur le pays, nous avons subi ce que nous appelons un effet de compression de la masse d'air. Un effet qui a fait monter les températures jusqu'à des valeurs exceptionnelles pour nos latitudes. Plus de régions ont été touchées en France qu'au mois de juin.

    Futura : Ces deux canicules ont été prévues et annoncées par les services de MétéoMétéo France avec plusieurs jours d'avance.

    Christelle Robert : Nos modèles sont de plus en plus fiables et ils nous ont permis de préjuger à la fois de la zone touchée, de l'amplitude et de l'intensité de chacun de ces épisodes de canicule avec une belle précision.

    Futura : Qu'en sera-t-il pour le reste de notre été ?

    Christelle Robert : Aucun signal n'apparaît pour le mois d'août, mais notre véritable visibilité s'arrête aujourd'hui aux alentours du 10 août et nous ne sommes pas à l'abri de nouveaux mouvementsmouvements de masses d'air qui se produiraient sur la seconde moitié du mois.

    Le saviez-vous ?

    Selon les chiffres de Météo France, il y a eu trois fois plus de vagues de chaleur en France entre 1989 et 2019 qu’entre 1947 et 1989. Et plus de la moitié des vagues de chaleur enregistrées ont eu lieu après 2000. Depuis 2010, seule 2014 n’en a pas connu.

    Futura : Et à l'avenir ?

    Christelle Robert : Globalement, le jet-stream - un fort courant de vents de haute atmosphèreatmosphère qui délimite, sur notre planète, les zones d'air froid et d'air chaud - apparaît comme l'agent de circulation qui orchestre le tout. Généralement, il encourage une circulation atmosphériquecirculation atmosphérique rapide et plus ou moins rectiligne. Cependant lorsqu'il s'affaiblit, il ouvre la porteporte à une circulation des masses d'air en méandres, permettant à l'air chaud de remonter plus vers le nord qu'à la normale - ou à l'air froid de descendre plus vers le sud. Provoquant ainsi les fameuses situations de blocage évoquées plus haut. Des situations de blocage qui peuvent donner naissance à des canicules. Ainsi les chercheurs se demandent aujourd'hui dans quelle mesure le réchauffement climatiqueréchauffement climatique affecte le jet-stream. Mais ce que nous savons déjà, c'est qu'avec la hausse globale des températures, les masses d'air qui arrivent sur la France en cas de canicule sont aujourd'hui plus chaudes que par le passé.

    Depuis 2003, rien n’a été fait

    Alain Gioda : Depuis la canicule de 2003, pour ainsi dire rien n'a été fait pour améliorer la situation. Pendant des années les architectesarchitectes ont tout misé sur le béton, un matériaumatériau extrêmement polluant et pas du tout adapté en matièrematière de lutte contre la chaleur. Et ils continuent à être globalement dans l'erreur. Les îlots de chaleur urbains se multiplient. Mais j'ai le sentiment que cette fois, la prise de conscience est réelle. Les Français - et quelques maires de grandes villes avec eux - commencent à s'apercevoir que quelque chose ne va pas. Pourtant nous sommes loin d'avoir gagné. Pour cela, il faudrait d'abord que tout le monde comprenne bien qu'une voiture qui roule, c'est 70 % d'énergieénergie perdue sous forme de chaleur. Et ensuite que les jeunes talents qui sont encore séduits majoritairement par les industries nucléaires (qui retardent le déploiement des énergies renouvelablesénergies renouvelables), pétrolières ou automobilesautomobiles (hors véhicules électriques ou à hydrogènehydrogène), navales ou aéronautiques (hors tentatives autres que propulsion par le pétrolepétrole) se tournent enfin plus volontiers vers des industries plus vertueuses.