Aux États-Unis, et bien au-delà, le climatoscepticisme trouve un public très large. Alimenté par des figures publiques influentes et amplifié par les médias et les réseaux sociaux, il s’installe dans les discours de nombreux citoyens. Quels sont les mécanismes qui nourrissent la banalisation de cette vision du monde ?
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Depuis 2012, Donald Trump n'a cessé de publier des déclarations climato-sceptiques sur son compte X. « Des températures record et une neige abondante. OÙ EST DONC PASSÉ le réchauffement climatique ? » Ou encore : « Concentrons-nous sur un airair pur et sain, et cessons de nous laisser distraire par ce canularcanular coûteux qu'est le réchauffement de la planète ! » L'autoproclamé « écologiste » a posté plusieurs dizaines de ces messages sur ses réseaux sociauxréseaux sociaux.
RT @realDonaldTrump: Record low temperatures and massive amounts of snow. Where the hell is GLOBAL WARMING?” pic.twitter.com/mriaP7N5K3
— Menelik III (@GurageFirst) February 15, 2015
Bien que les partisans de Trump ne soient pas tous climatosceptiques, son positionnement sur le changement climatique ne semble pas avoir eu beaucoup d'impact sur les résultats de l'élection.
Comment en sommes-nous arrivés à minimiser des propos qui vont à l'encontre de faits scientifiques établis, au point que ceux-ci deviennent banalisés par une large portion de l'opinion publique ?
L’élection de Donald Trump : symbole d’un virage climatosceptique...
Dès son arrivée à la Maison Blanche, Donald Trump a concrétisé ses propos par des actions politiques significatives. Son retrait de l'Accord de Paris en 2017 a été un geste symbolique majeur. Depuis 2021, les États-Unis ont réintégré l'Accord, mais le nouveau président à promis de le quitter à nouveau.
Aux États-Unis, une fraction importante de la population doute, comme Donald Trump, de la réalité du changement climatique. Plusieurs travaux, dont un sondage de université de Yale en 2023 et une étude de l'université du Michigan en 2024, se rejoignent à peu de choses près sur un chiffre quant à la proportion d'étatsuniens climatosceptiques. Ce chiffre s'élève à 15 %, soit environ 49 millions de personnes.
Quant à l'origine de ce changement climatique, un américain sur deux estime que l'activité humaine n'est pas la principale raison du réchauffement de la Terre, selon une étude du PewResearchCenter de 2023.
...qui gagne du terrain dans le monde entier
Et ce n'est pas seulement un phénomène américain : la montée du climatoscepticisme s'est observée dans plusieurs autres pays. Dans le monde, selon un sondage Ipsos, 34 % de la population mondiale en 2021 était climatosceptique. Alors que ce même sondage établissait que 77 % des habitants de la planète ont le sentiment de déjà voir les effets du changement climatique dans leur région.
En France, les chiffres de l’ObsCOP 2022 d’EDF montraient que quand 70 % des sondés admettaient en 2019 qu'« il y a un changement climatique d'origine humaine », ils ne sont plus que 63 % en 2022.
Plusieurs acteurs à l'origine de ces théories
Depuis les années 1970, plusieurs lobbies des énergies fossiles ont alimenté la désinformation sur le climat, cherchant à semer le doute sur les rapports scientifiques.
En 2019, une étude réalisée par le ThinkTank indépendant InfluenceMap avait révélé qu'au « cours des trois années qui ont suivi les Accords de Paris, les cinq plus grandes compagnies pétrolières et gazières cotées en bourse (ExxonMobil, Royal Dutch Shell, ChevronChevron, BP et Total) ont investi plus d'un milliard d'euros dans des campagnes d'information et de lobbying trompeuses sur le climat. » Les lobbies ont donc joué un rôle essentiel dans la diffusiondiffusion du climatoscepticisme en inondant les médias de leurs « contre-expertises ».
La banalisation des idées climatosceptiques facilitée par les médias sociaux
Mais la banalisation du climatoscepticisme ne résulte pas seulement de l'idéologie de certains dirigeants ou de l'influence de puissants lobbies économiques. Elle est également alimentée par les individus sur les médias et les réseaux sociaux.
Aux États-Unis, des chaînes d'information comme Fox News ont invité des climatosceptiques sur leurs plateaux, à l'instar de Tom Harris, qui affirmait « il n'y a pas de crise climatique ».
Le directeur exécutif de l'International Climate Science Coalition, Tom Harris, explique sur la chaîne Fox News qu'il a été un alarmiste climatique, mais qu'il considère aujourd'hui qu'il s'agit d'une escroquerie. © Fox News
En France, CNews donne également régulièrement la parole à ceux qui doutent. « Il y a toujours eu des changements climatiques. Il y avait des vignes en Angleterre à la fin du Moyen Age », argumentait fin octobre 2024 le directeur de la rédaction de la revue Capital social, Joseph Thouvenel, qui tient régulièrement des discours visant à décrédibiliser la parole des scientifiques. Ces interventions ont pour effet d'habituer le public à voir le réchauffement climatique comme un débat, plutôt que comme une réalité scientifique. Les réseaux sociaux, avec leur capacité à multiplier rapidement les informations, ont joué un rôle d'agent de propagation des idées climato-dénialistes.
Le Climatoscope, observatoire fondé en 2015 afin d'analyser le débat climatique, avait observé lors d'une étude en 2023, de fortes interactions autour du climatosceptisme sur le réseau social X. « Ils [les groupes climatosceptiques, NDLRNDLR] présentent une suractivité par rapport à ceux qui défendent le consensus climatique. Ils compensent le fait d'être minoritaires par une forte présence en ligne », expliquait David Chavalarias, directeur de recherche CNRS au Centre d'analyse et de mathématiques sociales et cofondateur du Climatoscope. « Autre caractéristique, ces communautés ont un taux de comptes inauthentiques (des robotsrobots ou personnes payées pour relayer des messages) près de trois fois supérieur à celui des autres communautés ».
Sur des plateformes comme X, FacebookFacebook et YouTubeYouTube, des vidéos, des articles et des publications, souvent non vérifiées, se propagent à une vitessevitesse vertigineuse, alimentant la confusion et la désinformation.
L'essor de la désinformation
Dans le cas du climatoscepticisme, la désinformation est souvent construite de manière sophistiquée et s'appuie sur des arguments « scientifiques » mal interprétés ou sortis de leur contexte, explique Olivier Godard, directeur de recherche honoraire au CNRS, dans un article publié dans The Conversation : « bien qu'ils nous parlent de science, les climatosceptiques ont en commun de ne pas participer aux recherches scientifiques concernant le climat : ils n'ont pas publié (ou presque) de travaux originaux ou critiques dans les revues scientifiques reconnues dans ce champ ; ils ne participent pas aux congrès et colloques qui réunissent les spécialistes du domaine. En revanche, ils écrivent des livres pour le grand public, tiennent des blogsblogs où ils font feufeu de tout bois sans tri préalable ».
Affirmations fausses, trompeuses, basées sur des informations biaisées, il existe heureusement des solutions pour repérer la désinformation.
Bien que la #désinformation climatique ait les coudées franches sur les réseaux sociaux reste qu’elle est relativement facile à repérer. Le #DétecteurDeRumeurs propose, pour s’y retrouver, une classification en 4 parties.https://t.co/Ao2nxcBaNR
— sciencepresse (@SciencePresse) December 5, 2023
Pourquoi ces idées perdurent à l'heure où les scientifiques alarment sur l'état du climat ?
Aujourd'hui, il y a plusieurs degrés de climatosceptisme et deux blocs principaux se dégagent, rapporte une récente étude de ParlonsClimat. « Chez les premiers, le doute porteporte essentiellement sur la part de responsabilité de l'activité humaine dans le changement climatique. [...] Tandis que chez les seconds, ce sont tous les aspects de la cause climatique qui sont tenus à distance, avec des justifications politiques, voire complotistes. »
Cette étude s'est penchée sur les raisons qui poussent les personnes à être sceptiques. Parmi elles, ils citent l'idéologie politique anti-écologie, la défiance envers les élites, mais aussi la défense d'un mode de vie.
Cette dernière piste a été explorée par d'autres études depuis des dizaines d'années. Reconnaître pleinement l'ampleur et les causes du changement climatique impliquerait de repenser des habitudes et des modes de vie profondément ancrés, ce qui peut être perçu comme une menace pour le confort, la sécurité, et même l'identité. « Ces effets du réchauffement climatique sont effrayants et l'un des premiers réflexes quand on a peur, quand on est effrayé ou inquiet, c'est d'aller vers des réflexes plutôt conservateurs » expliquait Albin Wagener, enseignant-chercheur en analyse de discours, au micro de RFI.
Aujourd'hui, face à des opinions contrastées, il s'agit moins de condamner les idées et les propos que d'essayer de rassembler autour d'une réalité. Comme disait Jean JouzelJean Jouzel, paléoclimatologue, médaille d'or du CNRS et vice-président du GiecGiec : « il faut absolument agir aujourd'hui, c'était le message il y a 15 ans et il reste d'actualité ».