Dans le cadre de la COP26 qui se tient à Glasgow jusqu’au 12 novembre, Futura vous propose une série d’entretiens avec des experts du climat pour décrypter le réchauffement climatique en cours, ses causes et ses conséquences, les risques auxquels nous devrons faire face si nous ne parvenons pas à maîtriser la hausse des températures et à ne pas dépasser les 1,5 °C, les solutions qui existent et celles à mettre en place. L’urgence climatique n’est pas un vain mot ! Aujourd’hui, nous donnons la parole à Frédéric Hourdin, chercheur du CNRS au Laboratoire de météorologie dynamique.


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    Frédéric Hourdin, chercheur du CNRS au Laboratoire de météorologie dynamique, nous explique l'importance des nuages dans le changement climatiquechangement climatique.

    Futura : Vous coordonnez le développement d’un des deux modèles globaux atmosphériques français, celui de l’Institut Pierre-Simon Laplace (IPSL). Il en existe une vingtaine dans le monde. Pourquoi d’un modèle à l’autre, pour un même scénario d’émissions de CO2, y a-t-il un facteur deux dans les prévisions d’augmentation de température ?

    Frédéric Hourdin : Une grosse partie des incertitudes de nos modèles climatiques vient de la représentation des nuages. Sous l'effet de l’augmentation du CO2 dans l'atmosphère, la température du globe augmente modifiant le climat et en particulier la couverture nuageuse. En retour, le changement de couverture nuageuse a un impact sur la température globale. Dans notre jargon, on appelle cela une rétroactionrétroaction climatique. Cela produit deux effets opposés, plus ou moins importants selon la zone du globe : une plus grande couverture nuageuse réfléchit plus l'énergieénergie du SoleilSoleil et inversement, produit plus d'effet de serreeffet de serre. C'est essentiellement sur ces rétroactions que les modèles divergent.

    Rendu vidéo réaliste d'une simulation de nuages à 8 images par seconde, avec une résolution de 15 mètres (N. Villefranque/Meso-Star, modèle Meso-NH, logiciel High-Tune:Renderer). © CNRS Meso-Star

    Futura : Comment procédez-vous pour représenter les nuages ?

    Frédéric Hourdin : C'est un point clé. Nous résumons l'ensemble des nuages à quelques équationséquations valables à l'échelle des mailles de nos modèles actuels, autrement dit, sa résolutionrésolution. Actuellement, ces mailles sont des sortes de gros cubes de 100 kilomètres de côté sur un kilomètre de hauteur. Or l'échelle à laquelle se passent ces phénomènes est tout autre : les nuages prennent naissance à partir de gouttes d’eau qui se forment sur les impuretés de l'atmosphère, sont transportés par les ventsvents, puis cette eau précipite sous forme de pluie, s'évapore, etc. La physiquephysique des nuages est très complexe. Nous utilisons les mêmes modèles de nuages que pour les prévisions météorologiquesprévisions météorologiques. Nous faisons aussi des simulations très réalistes de formation de nuages à l'échelle de cubes de 50 mètres par 50 mètres. C'est à partir de cela que nous développons les modèles de nuages et que nous calons les paramètres de notre modèle global. Avec des modèles à résolution intermédiaire (typiquement 10 kilomètres) on raffine localement ces simulations globales pour en déduire les conséquences locales du changement climatique.

    Futura : A-t-on clairement établi un lien entre l’augmentation des gaz à effet de serre et la couverture nuageuse ?

    Frédéric Hourdin : On n'en a pas encore une vision très complète mais on sait par exemple que les nuages tropicaux sont particulièrement importants car c'est là que la TerreTerre reçoit le plus d'énergie lumineuse. Et certaines tendances sont claires : la surface couverte par des nuages bas dans les tropiquestropiques se réduit, ce qui limite la réflexion de l’énergie solaire et augmente la température globale.

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    Futura : Qu’attendez-vous de la COP26 ou de décisions politiques ?

    Frédéric Hourdin : Il y a de grosses tensions en ce moment en Europe dans la communauté des sciences du climat car l'Europe envisage de financer des modèles globaux de climat de très haute résolution, typiquement kilométrique, dans le cadre d'un ambitieux projet de modélisationmodélisation numériquenumérique de la Terre baptisé « Destination Earth ». Un article est paru dans la revue Nature à ce sujet, qui est d'une malhonnêteté absolue ! Avec la plupart des modélisateurs, nous pensons que c'est une impasse et que cela n'a aucun sens. Cela montre aussi à quel point les fondements de la modélisation sont encore mal compris. Comme je l'ai dit, pour simuler précisément les nuages afin de les paramétrer correctement dans les modèles de climat, c'est à une échelle de 50 mètres qu'il faut travailler. Des mailles d'un kilomètre ne serviront à rien pour simuler le comportement de certains nuages comme les cumuluscumulus de beau temps. Le modèle global doit rester à des mailles grossières pour pouvoir faire des multitudes de simulations à coût numérique et énergétique raisonnable.