Vingt ans après la catastrophe AZF à Toulouse, où en sommes-nous en France ? Nous avons récemment connu l’incendie de l’usine chimique Lubrizol à Rouen et, selon le Bureau des risques et pollutions industriels le nombre d’accidents sur les sites industriels a augmenté de 34 % en deux ans. Combien d’installations sont-elles classées à risque ? Quel constat faire de cette situation ? Explications en quelques chiffres et plans d'action à mener.
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Près de 20 ans après la catastrophe AZF, la France semble toujours insuffisamment préparée au risque d'accidentaccident industriel, au vu des auditions menées par le Parlement sur l'incendie « hors norme » de l'usine chimique Lubrizol à Rouen il y a deux mois.
« On a su passer du tocsin à la sirène au début du XIXe siècle. Je pense qu'au XXIe siècle (...) il faut que nous passions au "cell broadcastbroadcast" », c'est-à-dire à l'alerte de la population par téléphone portable, a relevé jeudi le préfet de Normandie Pierre-André Durand devant la commission d'enquête du Sénat sur l'incendie de l'usine Seveso seuil haut. Car « quand sonne une sirène, il faut rester chez soi [...] mais qui le sait ? », a poursuivi le haut fonctionnaire, expliquant pourquoi il n'a déclenché les sirènes qu'à 8 h 45 pour un incendie qui avait débuté vers 2 h 30. Ce système « Cell Broadcast », pratiqué notamment aux États-Unis et au Japon, et dont Bruxelles demande la mise en place pour juin 2022, permettrait de prévenir tout en donnant une consigne. Et d'éviter que des maires ne soient alertés officiellement par la préfecture que douze heures après le début du sinistre, comme cela fut le cas le 26 septembre dernier.
Mais pour Amaris, l'association des collectivités pour la maîtrise des risques technologiques majeurs, les défaillances vont bien au-delà de sirènes « inaudibles ». Selon un livre blanc qu'elle a publié début novembre et cité par les parlementaires, « la mise en protection des activités riveraines [...] reste une étape à franchir » en France.
Une culture du risque distanciée
Face au « problème très français d'une culture du risque assez distanciée », selon le préfet pour qu'une population ait « les bons réflexes, il n'y a que les exercices ».
“Près de 2,5 millions de personnes vivent à proximité des 1.312 sites Seveso français”
« À ma connaissance à l'échelle des grandes agglomérations, il n'y a aucun exercice », a de son côté constaté le président PSPS de la métropole Yvon Robert, extrêmement réservé quant à de tels exercices. Selon lui, près de 2,5 millions de personnes vivent à proximité des 1.312 sites Seveso français. Dans la foulée de la catastrophe AZF qui avait fait 31 morts en 2001, des mesures avaient été prises comme la création de Plans de prévention des risques techniques (PPRT).
« Le PPRT de Lubrizol fait que l'incendie ne s'est déroulé que sur moins de 10 % du site », a souligné Yvon Robert. Et le sinistre n'a pas fait de victime. Mais cela n'a pas empêché les pompiers de manquer d'eau face à trois hectares de feufeu d'hydrocarbureshydrocarbures. « On s'est aperçu que les pompiers ne sont pas forcément équipés pour aller sur des sites tels que les nôtres », a de son côté affirmé Corinne Adam, déléguée CFTC de l'usine Lubrizol.
En France, le nombre d'accidents a augmenté de 34 % en deux ans
Selon le Bureau des risques et pollutions industriels (Barpi), le nombre d'accidents sur les sites industriels classés a augmenté de 34 % en deux ans en France, et leur impact sur l'environnement est croissant. En 2018, la France comptait 1.312 sites Seveso, dont 705 seuil haut, comme Lubrizol à Rouen, et 607 seuil bas. Fin 2015, lors du dernier recensement, la France en comptait 1.261 (700 en seuil haut et 561 en seuil bas).
Les installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE), sont des « exploitations industrielles ou agricoles susceptibles de créer des risques ou de provoquer des pollutions ou nuisancesnuisances, notamment pour la sécurité et la santé des riverains ». Elles se répartissent en trois catégories selon leur dangerosité potentielle : des moins dangereuses soumises à « déclaration », aux plus dangereuses soumises à « autorisation », comme les Seveso.
La France comptait au total 494.000 installations classées fin 2014, selon le ministère. Les accidents ont « un impact environnemental beaucoup plus fréquent [...] constaté dans 35 % des cas en 2018 au lieu de 25 % en 2017 », précise le Barpi. Les conséquences humaines sont, elles, en retrait avec cinq décès en 2018, selon l'inventaire. Le nombre total de blessés (25 parmi la population dans 11 accidents) est « en retrait sensible par rapport à 2017 au détriment toutefois d'une gravitégravité plus prononcée ».
Moins d'inspections sur les sites classés mais plus de sanctions
Si le nombre d'inspecteurs est resté à peu près constant, le nombre de visites sur les sites classés a « baissé de 40 % » (18.000 en 2018 contre 30.000 en 2006), a assuré David Romieux (CGT) devant la commission d'enquête du Sénat sur Lubrizol mercredi. Le ministère dénombre 18.196 visites d'inspection en 2018, contre 20.000 en 2014. Et une baisse de 34 % des visites entre 2006 et 2014. Le nombre de sanctions administratives a toutefois augmenté, passant de 320 sanctions en 2016, à 433 en 2018, souligne le ministère.
Point souvent évoqué devant les sénateurs, « le recours à la sous-traitance n'est pas neutre en matièrematière de maîtrise des risques, notamment car le prestataire connaît parfois mal les risques associés à des installations non familières. Les salariés du donneur d'ordre ne réalisant plus les gestes techniques peuvent perdre leur capacité à appréhender la qualité des travaux réalisés », souligne le Barpi.