Éleveuses de pucerons, cultivatrices de champignons, tisseuses de feuilles, boulangères ou encore chirurgiennes de guerre, les fourmis mènent leur colonie avec une organisation sociale hautement complexe et efficace. Récemment, on leur a découvert un tout nouveau savoir-faire de guerre… Retranscription d'un épisode du podcast family-friendly Bêtes de Science, il s'adresse aux petits comme aux grands. Que vous souhaitiez lire l’histoire ou l’écouter, découvrez l’épisode ci-dessous.
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Découvrez le podcast à l'origine de cette retranscription dans Bêtes de Science.
Elles arpentent la terre depuis des centaines de milliers d'années. Au ras du sol, elles se livrent des guerres féroces, construisent des cités organisées et regorgent d'ingéniosité. L'histoire des fourmis est une épopée. Une épopée évolutive. La plus ancienne représentante connue de cette odyssée a été retrouvée fossilisée dans une résine, l'ambre : elle vivait il y a plus de 100 millions d'années. Depuis, les fourmis n'ont eu de cesse de s'adapter aux défis de la vie sur Terre, avec succès. En dépit de son poids plume (quelques milligrammes à peine !), la fourmi est une championne toute catégorie de la survie. Son corps, constitué des trois parties que l'on retrouve chez les insectes - la tête, le thoraxthorax et l'abdomenabdomen - est recouvert par un exosquelette. Ainsi, contrairement à l'être humain, le squelette de la fourmi ne se trouve pas à l'intérieur de son corps, mais il l'entoure comme une petite armure. C'est de cette carapace que jaillissent ses puissantes mandibulesmandibules. Grâce à elles, la fourmi mord ses proies, mange, déchiquette, ou attrape ce qu'elle trouve. Les deux antennes qui surplombent sa tête sont quant à elles d'incroyables outils de communication. Elles lui permettent d'identifier les odeurs que ses camarades émettent grâce à des glandesglandes, des organes situés à divers endroits de leurs corps et spécialisés dans la production de substances chimiques odorantes. Ces odeurs, que l'on appelle « phéromonesphéromones », sont le moyen d'une communication complexe entre fourmis. Déposées sur le sol ou pulvérisées dans l'airair, les fourmis les utilisent pour signaler un danger, se reconnaître entre elles, ou encore pour marquer un chemin qui mène par exemple au nid. Eh oui, la fourmi n'émet pas de bruit, elle vit dans un monde de senteurs et parle grâce aux odeurs. Et ça n'est pas là la caractéristique la plus étonnante de cette petite bête, car elle est décidément une créature pleine de ressources. En cas d'attaque, la fourmi peut pulvériser de l'acideacide sur son agresseur, ou le piquer grâce à son aiguillon. Et si tu crois qu'une si petite bête ne peut pas faire bien mal, ne t'y trompe pas : la fourmi balle de fusil tient le record de la piqûre la plus douloureuse au monde. Si une fourmi trouve de la nourriture, elle peut la récupérer et la stocker dans une poche située juste à l'avant de son estomacestomac. Grâce à un système de petites portesportes qui s'ouvrent et se fermentferment, elle peut décider de régurgiter la nourriture pour la transmettre à ses camarades ou au contraire la faire glisser dans son estomac pour s'en nourrir. Et les grands yeux de la fourmi lui sont aussi bien utiles. Ils lui permettent de voir une dimension du ciel qui échappe à l'œilœil humain. Grâce à cette faculté, elle est capable de s'orienter en fonction de la lumièrelumière du SoleilSoleil. Le corps de la fourmi concentre donc en quelques millimètres à peine des miracles d'ingéniosité biologique ! Et en plus d'être taillé pour la survie, il l'est également pour la vie en collectivité.
Car la fourmi est un insecte social. Elle vit dans une société matriarcale, constituée uniquement de femelles et où le pouvoir se transmet de mère en fille. Et chez les fourmis on ne rigole pas avec l'organisation ! Chacune a un rôle très précis à jouer au sein de la société, c'est ce que l'on appelle la division du travail. La reine, qui fonde la colonie, s'occupe toute sa vie de pondre des œufs. C'est elle qui donnera naissance à toutes les fourmis qui vivront au sein du nid. Selon la nourriture donnée aux larves, celles-ci deviendront des princesses ou des ouvrières et appartiendront donc à des castescastes différentes. Et c'est en fonction de leur âge ou de leur taille que ces ouvrières auront diverses tâches à accomplir dans et autour de la fourmilière. Parfois, leur rôle au sein de la société se reconnaît à travers leur apparence : on parle alors de polymorphisme. Certaines ouvrières s'occupent de nourrir la reine et ses larves. D'autres ont la responsabilité de ramener de la nourriture pour l'ensemble de la colonie. Les ouvrières soldates sont quant à elles chargées de défendre le nid en cas d'attaque ou d'intrusion. Et il y en a même qui s'occupent de faire le ménage. Eh oui, les fourmis sont très propres ! Elles produisent des substances antibiotiquesantibiotiques (oui, comme les médicaments) et antifongiquesantifongiques (qui empêchent le développement des champignonschampignons) pour garder leur nid dans un parfait état de propreté. Rien n'est laissé au hasard dans le royaume des fourmis ! Pas même la température du nid que celles-ci régulent grâce à des ouvertures qui permettent de le ventiler. Si elle augmente un peu trop ? Aucun souci, on déplace les larves pour les garder au frais. La force des fourmis, c'est leur solidarité. Elle leur permet d'accomplir de véritables exploits dans le monde entier.
En Amérique, les fourmis Atta cultivent ainsi un champignon dans les sous-sols de leur nid pour s'alimenter. Elles le plantent, nettoient le sol où il pousse et l'enrichissent de gouttes fécales qui servent d'engrais. Pour entretenir la croissance du précieux champignon, c'est un ballet d'une infinie précision qui se met en place : des ouvrières s'occupent de couper les végétaux dont il a besoin pour grandir, d'autres de les transporter jusqu'à la fourmilière, pendant que des soldates protègent le convoi. Ce sont d’extraordinaires jardinières et ce depuis 50 millions d'années. En Europe, les fourmis rousses des boisbois élèvent des puceronspucerons en véritables bergères. Elles se nourrissent de leur miellatmiellat, une substance sucrée dont elles raffolent. En échange du miellat, les fourmis protègent les pucerons contre de potentiels prédateurs. Les fourmis ont développé ces formes de coopération avec toutes sortes d'organismes sur la planète. C'est ce que l'on appelle le « mutualismemutualisme ». Dans les arbresarbres des forêts africaines, on peut observer les fourmis tisserandes. Ces fourmis utilisent la soie de leurs larves qu'elles tiennent entre leurs mandibules pour « coudre » les feuilles de leurs nids entre elles. Et les fourmis moissonneuses peuplent quant à elles le bassin méditerranéen et unissent leurs efforts pour récolter des graines que certaines d'entre elles mâchent et recrachent. Elles fabriquent ainsi ce que l'on nomme du « pain de fourmi ». La coopération chez les fourmis est si spectaculaire que les chercheurs parlent de super sociétés et même de superorganisme. Ils s'inspirent de leur intelligenceintelligence sociale pour créer des algorithmes et des robotsrobots autonomes. Tout cela est déjà très étonnant, mais si tu crois être arrivé au bout de tes surprises concernant ce petit insecte, détrompe-toi ! Tout comme pour l'ensemble de ses capacités, l'intelligence de la fourmi est loin d'être proportionnelle à sa taille. Pour nous en rendre compte, décollage immédiat pour la Côte d'Ivoire. Nous allons observer l'un des phénomènes les plus fascinants du règne animal : une guerre terrible entre termites et fourmis.
L'intelligence de la fourmi
Nous voici dans le parc naturel de la Comoé, traversé par le fleuve du même nom. Sur les rives du fleuve s'étend une savane humide et boisée. La faunefaune y est exceptionnelle et préservée, grâce au travail assidu des conservateurs, mais l'homme qui marche d'un pas décidé entre les herbes hautes n'est pas là pour observer les chimpanzéschimpanzés, les éléphants, ou les autres animaux extraordinaires qui vivent ici. Ce qui l'intéresse, c'est une fourmi, qui peut mesurer jusqu'à 2 centimètres de long et compte parmi les plus grandes de la planète : Megaponera analis. Car Erik Frank est myrmécologuemyrmécologue, les fourmis, c'est sa spécialité. Alors qu'il conduisait dans le parc l'autre jour, il a roulé par mégarde sur une colonne de fourmis. Tu sais, cette file à la queue leu-leu qu'elles forment pour se déplacer. En s'arrêtant pour voir les dégâts causés, Erik s'est aperçu avec surprise que les fourmis sauvaient certaines de leurs congénères blessées et pas d'autres. Il n'en fallait pas plus pour qu'une idée d'expérience germegerme dans son esprit scientifique. Aujourd'hui, il s'est donc donné pour mission d'observer un raid de fourmis. Il cherche à savoir comment les blessées sont traités sur le champ de bataille. Car les fourmis qu'il étudie, les fourmis Matebele, se nourrissent uniquement de termites. Une seule colonie peut en engloutir jusqu'à 2.000 par jour ! Mais ce régime alimentaire n'est pas sans risques car les termites sont de redoutables guerriers qui ne se laissent pas croquer sans rien dire. La journée promet donc d'être mouvementée. À quelques pas, il y a justement une colonie qu'il connaît bien. Erik s'approche du nid et après quelques minutes d'attente, il ne tarde pas à apercevoir une colonne de fourmis se frayer un chemin au ras du sol. Elles partent en chasse !
La fourmi que tu vois en tête, c'est l'éclaireuse, elle a déjà examiné les environs et repéré la termitière qui subira leur terrible attaque. Derrière elle, près de 500 fourmis guerrières marchent d'un bon pas. Elles parcourent ensemble les 50 mètres qui les séparent de leur cible. Dès qu'elles arrivent à destination, la division du travail opère : chaque fourmi a un rôle précis à jouer. Tandis que les plus grandes brisent les parois de la termitière, les plus petites se faufilent à l'intérieur pour attaquer les termites, s'en emparer et les sortir de leur nid. Une fois dehors, les grandes fourmis prennent à nouveau le relais et se chargent de ramener les termites jusqu'à la fourmilière. Au nid comme à la guerre, les fourmis sont organisées et capables de mettre en place des stratégies redoutables. Durant l'attaque néanmoins, les batailles sont féroces : les termites mordent, grimpent sur le dosdos des fourmis, leur arrachent des pattes et les blessent sérieusement. Les fourmis guerrières n'en ressortent pas indemnes. Pour répondre à sa question d'origine "pourquoi certaines soldates blessées sont-elles ramenées au nid et pas d'autres ?", Erik ne s'est pas contenté d'étudier le comportement des fourmis revenant de la chasse dans leur milieu naturel. Il a également reproduit l'expérience en laboratoire en déplaçant des fourmilières entières ! Et ce qu'il a découvert a dépassé toutes ses attentes.
Lorsque les fourmis reviennent de la chasse, nombreuses sont celles à avoir perdu plusieurs pattes dans la bataille. Mais chez les fourmis, on n'abandonne pas une soldate à terre : on la ramène jusqu'à la fourmilière. Cependant, celles dont l'état est le plus grave ne se laissent pas transporter par leurs camarades. Elles se débattent et ne montrent aucun signe de coopération ; les autres fourmis ne peuvent ainsi rien faire d'autre que les laisser sur place. Ce comportement étonnant, de sacrifice personnel pour le bien collectif, a déjà pu être observé sous d'autres formes, lorsqu'une ouvrière atteinte d'un parasiteparasite quitte la colonie pour ne pas l'infecter ou lorsqu'une fourmi se sachant en fin de vie part de la même façon rendre son dernier souffle loin du nid. Les soldates légèrement blessées agissent quant à elles de façon tout à fait différente. Elles appellent à l'aide grâce à une odeur, une phéromone qui indique aux autres qu'elles sont en détresse. Erik a même pu observer un comportement assez cocasse de leur part. Les blessées tentant de retourner au nid, peinent à marcher et claudiquent lentement si elles sont à proximité d'autres fourmis. Alors que loin de toute camarade, elles reprennent un rythme de marche tout à fait normal. À dire vrai, elles cavalent tout aussi vite que si elles n'étaient pas mal en point.
Alors, est-ce que les fourmis font du cinéma pour apitoyer leurs camarades ? Eh bien, pas tout à fait ! Selon Erik, c'est là une stratégie plutôt maligne adoptée par la fourmi blessée pour augmenter ses chances d'être repérée par des congénères susceptibles de l'aider. Et puis lorsqu'on émet un appel à l'aide, mieux vaut ne pas avoir la bougeotte pour être facilement repérable. Lorsque ses comparses repèrent le signal et viennent à sa rencontre, la fourmi fait alors tout ce qu'elle peut pour faciliter son propre sauvetage. Elle replie ses pattes et reste immobile pour pouvoir être transportée sans difficulté. Le tri qu'Erik avait pu observer lorsqu'il a roulé sur une colonne de fourmis a donc bel et bien lieu. Mais c'est un tri collectif : les fourmis blessées décident elles-même d'être sauvées ou non en fonction de la gravitégravité de leur état. Le fait de les transporter loin du champ de bataille permet aux guerrières d'échapper aux prédateurs qui pourraient profiter de leur situation de faiblesse. Mais ça n'est pas tout ! Une fois arrivées au nid, l'incroyable répartition des tâches se remet en place. On s'occupe des blessées, seules ou à plusieurs, selon la nature des dégâts subis. Si un termite est resté accroché sur le dos d'une fourmi, pas d'inquiétude ! Une équipe spécialisée s'occupe de le déloger. Et c'est en observant cette formidable organisation dans la prise en charge des patientes fourmis qu'Erik a fait sa découverte la plus étonnante. Les fourmis soignent directement les plaies ouvertes de leurs coéquipières. Certaines lèchent en effet les plaies, pendant que d'autres maintiennent les membres blessés grâce à leurs mandibules ou leurs pattes avant. Un vrai travail de médecine d'urgence ! Les chances de survie des fourmis ainsi soignées augmentent considérablement. Les fourmis ne s'échinent donc pas pour rien. Leurs traitements donnent des résultats. Erik pense que ces soins limitent le risque d'infection des plaies et les risques de transmission de microbesmicrobes au reste de la colonie. La fourmi soigne donc ses congénères. Cette faculté à soigner les autres n'avait jamais été observée chez un autre animal que l'être humain. Incroyable n'est-ce pas ? La prochaine fois que tu croiseras une colonne de fourmis, n'hésite pas à y regarder d'un peu plus près : elles marchent sur cette terre depuis 100 millions d'années et n'ont visiblement pas fini de nous étonner.