Une nouvelle étude révèle les conditions dans lesquelles seraient apparues les premières biominéralisations il y a 550 millions d’années. Il s’avère que l’apparition des premières coquilles calcaires serait le résultat d’un important stress environnemental.
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Quand on rembobine la longue histoire de la vie terrestre, on se rend compte à quel point certaines étapes ont marqué un tournant majeur dans l'évolution des espècesévolution des espèces. L'apparition d'un processus que l'on appelle la biominéralisation en est une. Sans elle, le monde serait certainement bien différent de ce qu'il est aujourd'hui ! Car la biominéralisation regroupe l'ensemble des mécanismes biologiques permettant la production de tissus minéralisés, comme les coquilles... et les os. L'apparition de la biominéralisation a donc fait basculer le monde du vivant, permettant la transition entre un monde peuplé d'organismes unicellulaires à des organismes bien plus complexes et diversifiés.
Le Big Bang évolutif de l’Édiacarien
Cette transition s'est produite durant la fameuse période de l'Édiacarien (635 à 541 millions d'années). C’est à cette époque qu’apparaissent en effet les premières traces de vie multicellulaires, sous la forme de vers et d'autres organismes à la forme très étranges, comme Dickinsonia. Parmi ces organismes se trouve Cloudina, qui prend la forme de petits cônescônes calcaires empilés les uns dans les autres pour former un tube d'environ 1,5 centimètre de long. Il s'agit à ce jour de la forme de vie la plus ancienne présentant une biominéralisation. L’apparition du genre Cloudina est datée de 551-550 millions d’années, vers la fin de l'Édiacarien. Les plus anciens fossiles ont été retrouvés en Namibie, dans le Parc national de Tsau Khaeb. Si l'importance de cette étape dans l'évolution ne fait aucun doute, les raisons qui ont mené à l'apparition du processus de biominéralisation, en ce lieu et à cette époque, restent toutefois un mystère.
Reconstruire l’environnement dans lequel est apparu Cloudina
Une équipe de chercheurs pourrait cependant enfin avoir trouvé une explication. Dans un article publié dans la revue Earth and Planetary Science Letters, les scientifiques décrivent les analyses conduites sur les roches sédimentaires ayant emprisonné les petits fossiles du genre Cloudina. L'analyse isotopique du carbonecarbone et de l'oxygène a ainsi permis de mettre en évidence les conditions du milieu dans lesquelles ils sont apparus. En effet, lorsque l'eau de mer s'évapore sous l'effet de températures élevées, elle emporte avec elle les isotopesisotopes les plus légers de l'oxygène, soit l'oxygène 16, laissant dans la mer résiduelle les isotopes plus lourds. L’océan se retrouve alors enrichi en oxygène 18, de même que les sédimentssédiments carbonatés qui vont se déposer à ce moment-là. De la même façon, le ratio des isotopes de carbone est impacté par la présence d'une activité photosynthétique. Les organismes photosynthétiques utilisent en effet de préférence le carbone 12 plus léger, laissant l'océan enrichi en carbone 13 (de même que les sédiments).
Des organismes opportunistes soumis à un stress environnemental
De ces analyses isotopiques, les chercheurs ont pu tirer des conclusions sur l'environnement dans lequel sont apparus les tout premiers organismes possédant une sorte de squelette calcaire. Il apparaît ainsi que Cloudina aurait vu le jour dans un contexte bien spécifique, dans un océan ouvert soumis à des taux très fluctuants d'oxygène. Pour les chercheurs, l'oxygénation du milieu ne serait donc pas la cause de l'apparition du processus de biominéralisation. En revanche, les données suggèrent de fortes concentrations en carbonates dans l'océan. Cette supersaturation aurait pu favoriser le développement de tissus minéralisés, en réponse à un stressstress environnemental.
Car à ce moment-là, le bassin océanique est marqué par une importante oscillation du niveau marin. Les variations de la couche d'eau induisent des évolutions rapides des conditions d'oxygénation, notamment dans le domaine profond. Cloudina se serait donc développé de façon opportuniste durant les phases favorables d'oxygénation, en utilisant les carbonates à sa disposition.
Et si la chimie des océans avait engendré squelettes et coquilles ?
En fouillant dans les archives sédimentaires de l'Édicarien, un groupe de chercheurs en géosciences a découvert des indices qui pourraient permettre de mieux comprendre l'apparition des premiers animaux avec des parties dures en calcaire. Une brusque augmentation de la quantité de calciumcalcium dans les océans aurait favorisé ce bond évolutif.
Article de Laurent SaccoLaurent Sacco, publié le 15 avril 2017
Comment et pourquoi sont apparues les premières formes de vie avec des coquilles et des squelettes calcaires ? Nous ne le savons pas vraiment si ce n'est que cela a dû survenir conformément aux lois de l'évolution et donc par une combinaison du hasard et de la nécessité, c'est-à-dire des mutations aléatoires des génomesgénomes en conjonctionconjonction avec la pressionpression des conditions des milieux où se trouvaient les formes vivantes douées de ces mutations.
La biologie moléculairebiologie moléculaire et l'étude des gènes des animaux construisant des parties dures composées de carbonates de calciumcarbonates de calcium aident bien sûr les géologuesgéologues et les géochimistes à en savoir plus. En outre, les chercheurs peuvent aussi consulter les archives laissées par la TerreTerre, telles les stratesstrates datant de l'Ediacara, il y a environ 550 millions d'années. En effet, c'est autour de cette date que seraient apparues les premières formes de vie avec des parties dures en calcaire. C'est ce que fait notamment Rachel Wood, chercheuse en biogéologie des carbonates et professeure à l'université d'Édimbourg.
Des océans enrichis en calcium à l'origine de la biominéralisation ?
On peut trouver des strates de l'Ediacara en Sibérie, sur les berges de la rivière Youdoma. Rachel Wood les étudie depuis quelque temps déjà avec des collègues russes car elles contiennent la mémoire de certains changements dans la composition chimique des océans de cette période ainsi que des fossiles des animaux qui y vivaient. La géologue a ainsi montré qu'il y a environ 550 millions d'années, les strates qui contenaient en majorité un carbonate riche en magnésiummagnésium, la dolomite, deviennent soudain des calcaires, donc des carbonates nettement moins riches en magnésium, contenant de l'aragonitearagonite et de la calcite. Ces deux minérauxminéraux se forment plus rapidement et avec moins d'énergieénergie que la dolomite. Clairement, ce sont les conditions physico-chimiques des océans qui ont changé à ce moment-là, favorisant la précipitation de ses minéraux. Le phénomène semble concomitantconcomitant d'une augmentation du taux d'oxygène dans les océans ainsi que d'une augmentation de l'érosion des continents qui auraient brutalement fait croître la quantité de calcium présent dans l'eau.
Il est permis de penser que ces conditions favorisant la production de calcaire par rapport à la dolomite ont aussi avantagé l'utilisation du calcium pour faire des parties dures en calcaire chez les animaux dotés du génome capable de permettre la constructionconstruction de coquilles et des squelettes.
Dans un article récent publié avec des collègues de l'université Lomonosov de Moscou dans Proceedings of the Royal Society B : Biological Sciences, Rachel Wood vient d'apporter des éléments supplémentaires appuyant cette thèse. Il était constaté auparavant que les organismes avec des parties dures succédaient aux organismes avec des parties molles pendant l'Ediacara et peu avant la fameuse explosion cambrienne. Cela suggérait une extinction notable de ces organismes qui auraient notamment laissé le champ libre à ceux avec coquilles, lesquels auraient donc occupé des niches écologiques vacantes.
Mais l'équipe de Wood a finalement montré que ces organismes ont coexisté pendant un temps et aussi que plusieurs animaux à partie molle ressemblant à d'autres avec des parties dures peuvent être trouvés. Par contre, ceux avec parties dures se trouvaient exclusivement dans des sédiments qui se sont formés dans les eaux les plus riches en calcium, lesquels sont donc devenus du calcaire et non de la dolomite. Il semble que ce soit bien les changements dans la composition chimique des océans qui a avantagé les animaux qui ont commencé à s'engager sur la voie conduisant par la suite aux vertébrésvertébrés.
Selon Rachel Wood : « La façon dont les animaux ont produit des coquilles et des squelettes est un des événements majeurs de l'évolution de la vie. Nous commençons tout juste à comprendre les processus qui sous-tendent cette révolution ».