Il y a 2,72 milliards d’années, dans des lacs volcaniques très salés, des micro-organismes étaient capables d’utiliser l’arsenic pour leur métabolisme. Cette information étonnante est issue des travaux de chercheurs de l’Institut de physique du globe de Paris (CNRS/IPGP/Univ. Paris-Diderot), du Synchrotron Soleil et du laboratoire Bioénergétique et ingénierie des protéines (CNRS/AMU), en collaboration avec l’université du Connecticut (États-Unis), qui ont été publiés sur le site de Nature Geoscience le 26 octobre 2014.

Même s'il ne représente que 0,0001 % de la composition de la Terre, l'arsenic est un élément largement répandu dans la croûte terrestre, les roches volcaniques altérées et certains sols et sédiments marins. Bien que l'arsenic soit toxique pour la plupart des êtres vivants, il existe des micro-organismes non seulement y résistant, mais qui en outre le métabolisent de manière active via des réactions de méthylation, déméthylation, oxydation et réduction.

Les études phylogénétiques des enzymes impliquées dans les métabolismes de l'arsenic suggèrent que l'arsénite-oxydase était présente dans le dernier ancêtre commun universel ou Luca (Last Universal Common Ancestor) et a donc pu émerger avant la divergence entre les archées et les bactéries il y a plus de 3,4 milliards d'années.

Imagerie par microfluorescence X des stromatolites de Tumbiana à différentes échelles, du centimètre (a) à la centaine de nanomètres (c). (a) Carte de distribution du calcium montrant l’organisation en bulbes carbonatés des stromatolites étudiés. (b) Carte de distribution de l’arsenic dans l’encart (b) de la figure (a) montrant que l’un des bulbes carbonatés est particulièrement enrichi en arsenic. (c) Image RVB de la zone (c) indiquée en (b) montrant la présence de globules de matière organique enrichis en arsenic (As, rouge) associés à des sulfures (Fe, bleu) et des micro-grains de cuivre (Cu, vert). Archées et bactéries représentent deux domaines distincts de micro-organismes unicellulaires. © CNRS-Insu, Pascal Philippot

Imagerie par microfluorescence X des stromatolites de Tumbiana à différentes échelles, du centimètre (a) à la centaine de nanomètres (c). (a) Carte de distribution du calcium montrant l’organisation en bulbes carbonatés des stromatolites étudiés. (b) Carte de distribution de l’arsenic dans l’encart (b) de la figure (a) montrant que l’un des bulbes carbonatés est particulièrement enrichi en arsenic. (c) Image RVB de la zone (c) indiquée en (b) montrant la présence de globules de matière organique enrichis en arsenic (As, rouge) associés à des sulfures (Fe, bleu) et des micro-grains de cuivre (Cu, vert). Archées et bactéries représentent deux domaines distincts de micro-organismes unicellulaires. © CNRS-Insu, Pascal Philippot

L'arsenic et l'origine de la vie

Cette évolution précoce et le fait que l'arsenic devait être particulièrement abondant sur la Terre primitive, du fait d'une forte activité volcanique, suggèrent que des métabolismes utilisant l'arsenic ont dû se développer très tôt. Pourtant, jusqu'à aujourd'hui, aucune trace de ces métabolismes n'avait été observée dans le registre sédimentaire.

Une équipe pluridisciplinaire regroupant des géologues, des physiciens, des biologistes moléculaires et des microbiologistes a étudié la distribution des métaux et de la matière organique au sein de stromatolites fossiles, âgés de 2,7 milliards d'années (formation de Tumbiana, craton des Pilbara, Australie occidentale). Ces stromatolites fossiles, récoltés en 2004 dans le cadre de campagnes de forage financées par l'INSU, l'IPGP et le Labex UnivEarthS de l'université Sorbonne Paris-Cité, sont particulièrement bien préservés.

Des fossiles de tapis microbiens sous les rayons X

En utilisant des méthodes d'imagerie à différents niveaux de résolution spatiale (de quelques centimètres à la centaine de nanomètres), les scientifiques ont analysé des petits globules de matière organique attribués à des restes de cellules microbiennes et montré que ceux-ci contenaient presque exclusivement de l'arsenic. Or, un cycle complet d'oxydo-réduction de l'arsenic en conditions anaérobies a été décrit dans les tapis microbiens de lacs hypersalins de Californie et des Andes qui se développent à proximité de volcans et qui sont considérés comme d'excellents analogues de la Terre primitive.

Grâce à ces résultats, les chercheurs confirment que l'arsenic a pu jouer un rôle important dans l'évolution des premiers organismes vivants et que sa forme oxydée, l'arséniate (As(V)), a pu être disponible dans l'environnement plusieurs centaines de millions d'années avant l'oxygénation de la Terre. Parus dans Nature Geoscience, les résultats de l'étude menée par des chercheurs français et américains auront d'importantes implications pour la recherche de traces de vie sur d'autres planètes.