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De nos jours, certaines espèces de grands mammifères herbivores grégairesgrégaires adoptent des comportements complexes lorsqu'il s'agit de déféquer. Ainsi, les éléphants ont pour habitude de déposer leurs excréments sur des zones précises de taille relativement modeste, que les anglophones appellent communal latrines (latrines communautaires). Cette pratique n'est pas dénouée d'avantages, puisqu'elle limite la propagation des parasites intestinaux tout en servant d'outil de communication, par exemple dans le but de marquer un territoire.
Jusqu'à présent, ce comportement était considéré comme relativement récent. Il serait apparu voici 20 millions d'années au maximum. Jusqu'à présent... car les choses viennent de changer. En effet, lors de fouilles paléontologiques effectuées en Argentine, des chercheurs menés par Lucas Fiorelli du National Scientific and Technical Research Council (Conicet) ont dernièrement découvert plusieurs milliers d'excréments fossilisés de taille variable (jusqu'à 35 cm de diamètre) sur huit sites présentant une surface de 400 à 900 m2 (densité moyenne de 66,6 coprolithes au mètre carré).
Or, les roches de la formation géologique de Chañares datent du Ladinien, ce qui signifie qu'elles ont entre 237 et 242 millions d'années ! Le record des plus vieilles latrines communautaires connues vient donc de reculer d'approximativement 220 millions d'années. Qui déféquait sur ces sites distants d'environ 1,5 km ? La taille de certaines déjections ainsi que le fait qu'elles ne contiennent que des végétaux laissent peu de doutes : elles ont été produites par des Dinodontosaurus, donc par des reptiles. Ainsi, les chercheurs argentins ont également découvert les premières latrines communautaires de vertébrés non établies par des mammifères.
Représentation artistique d'un Dinodontosaurus turpior, un reptile mammalien qui a vécu en Amérique du Sud au Trias. Ce mégaherbivore possédait un bec cornu ainsi que de longues canines supérieures. © Dmitry Bogdanov, Wikimedia Commons, cc by 3.0
Des excréments de reptiles conservés par des cendres volcaniques
Il est particulièrement difficile d'étudier les comportements sociaux d'espèces dont seuls des enregistrements fossilesfossiles nous sont parvenus. Habituellement, les paléontologuespaléontologues le font lorsqu'ils découvrent des pistes fossilisées ou des gisementsgisements de squelettes, ce qui est assez rare. Ici, la présence de ces latrines et le nombre de coprolithes qu'elles renferment (environ 30.000 au total, selon l'article paru dans Scientific Reports) permettent de confirmer avec une quasi-certitude que les Dinodontosaurus étaient des animaux grégaires qui formaient d'imposants troupeaux.
Ces vertébrés ont donc vécu durant le TriasTrias, durant l'apparition des premiers dinosaures. L'airair de rien, ils sont apparentés aux mammifères, puisqu'ils appartenaient au groupe des dicynodontes, des reptiles mammaliens. Ils sont également considérés comme des mégaherbivores, car ils pouvaient peser jusqu'à trois tonnes à l'âge adulte, pour une longueur de 2,4 m. Malgré leurs dimensions, ces animaux dotés d'un becbec cornu et de deux longues canines supérieures devaient craindre un imposant prédateur : le Luperosuchus, un archosaurien de 8 m de long. Il appartenait au groupe qui inclut les crocodilescrocodiles actuels.
Comment de telles quantités de déjections ont pu traverser les ères géologiquesères géologiques sans se décomposer ? L'explication est simple : elles ont rapidement été recouvertes de cendres volcaniques après leur dépôt. Les coprolithes en disent long sur les animaux qui les ont émis, mais aussi sur l'environnement et les conditions climatiques qui régnaient en Argentine au Trias moyen, notamment grâce aux débris végétaux qu'ils renferment. Ils vont faire l'objet d'analyses plus approfondies qui permettront très certainement de préciser et mieux comprendre l'évolution de la flore sud-américaine durant cette période.