Nous ne disposerons malheureusement jamais d'ADN de dinosaures pour les recréer comme dans Jurassic Park et nous devons nous contenter des fossiles pour tenter de reconstituer la biologie et l'éthologie de ces animaux disparus. Mais les techniques modernes de traitement de l'image avec les radios des scanners peuvent s'avérer relativement bavardes, comme le montre une étude de deux crânes de spinosauridés britanniques.


au sommaire


    Comme Futura l'expliquait dans le précédent article ci-dessous, on pourrait croire que les spinosaures révélés au grand public par Jurassic Park III n'existaient qu'en Afrique du Nord car les paléontologuespaléontologues eux-mêmes n'ont fait leur découverte initialement que dans des couches sédimentaires fouillées en Égypte, au Maroc et au Niger.

    Le lecteur pourrait donc être surpris par les communiqués conjoints des universités de Southampton (Royaume-Uni) et de l'université de l'Ohio (États-Unis) faisant état de l'analyse et de la reconstruction de certaines caractéristiques du cerveaucerveau et de l'oreille interneoreille interne de deux spinosaures britanniques. L'article publié par les chercheurs à ce sujet dans Journal of Anatomy est même présenté comme révélant les plus vieux cerveaux de spinosaures connus.


    Un des extraits mythiques de Jurassic Park III. © Universal Pictures

    En fait, tout s'éclaire si l'on sait que l'on parle plus exactement des Spinosaurus quand on fait référence aux espèces de l'Afrique du Nord et que ces espèces font en fait partie d'une famille de dinosaures théropodes découverts sur l'ensemble des continents mis à part l'Antarctique et que les paléontologues appellent les Spinosauridae (« spinosauridés » en français). Cette famille a existé semble-t-il à partir du JurassiqueJurassique supérieur avant de disparaître comme tous les autres dinosaures non-aviensaviens vers la fin du CrétacéCrétacé.

    Le communiqué de l'université de Southampton les décrit comme «  un groupe inhabituel de dinosaures théropodes, équipés de longues mâchoires ressemblant à des crocodilescrocodiles et de dents coniques », ce qui implique très probablement que « ces adaptations les ont aidés à vivre un mode de vie quelque peu aquatique qui impliquait de traquer les berges à la recherche de proies, parmi lesquelles de gros poissonspoissons ».

    Un spinosaure « hippie »

    Des deux spinosauridés étudiés par les chercheurs et passés au scanner, l'un fait partie de deux dinosaures qui ne sont pas des inconnus sur la scène médiatique sur laquelle ils sont montés ces deux dernières années, d'autant plus qu'ils ont été découverts sur la célèbre île de Wight, une île de la Manche, séparée du littoral anglais par un détroit et qui a eu son heure de gloire avec le Festival de l'île de Wight 1970, le plus grand événement musical et hippie de son temps après celui de Woodstock.

    L'annonce de la découverte de Ceratosuchops avait été faite en 2021 et en 2022, un autre spinosauridés défrayait la chronique sur l'île de Wight car c'est depuis le plus grand dinosaure carnassier jamais découvert en Europe, provisoirement nommé « White Rock spinosaurid ».


    Des chercheurs de l'université de Southampton ont reconstruit le cerveau et l'oreille interne de deux spinosaures britanniques, aidant à découvrir comment ces grands dinosaures prédateurs interagissaient avec leur environnement. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © University of Southampton

    Le second fossilefossile de dinosaure étudié par les chercheurs concerne comme spinosauridé un Baryonyx découvert dans le Surrey, un comté du sud-est de l'Angleterre, situé au sud du Grand Londres. Aussi bien l'individu de l'espèce Ceratosuchops que celui de l'espèce Baryonyx vivaient il y a environ 125 millions d'années. Les examens de leurs crânescrânes avec un scanner ont permis de reconstituer grâce à des algorithmes des caractéristiques de leurs cerveaux de leurs oreilles internes.

    Les paléontologues ont ainsi découvert que les bulbes olfactifs n'étaient pas particulièrement développés et que le système auditif ne permettait probablement que l'écoute des sons à basse fréquence. Les parties du cerveau impliquées dans le maintien de la stabilité de la tête et du regard fixé sur la proie étaient peut-être également moins développées qu'elles ne l'étaient chez les spinosauridés plus tardifs et plus spécialisés.

    Plusieurs des membres de l'équipe, auteurs de l'article publié, font également des commentaires comme Chris Barker, doctorant à l'université de Southampton, qui a dirigé l'étude et qui explique que : « malgré leur écologieécologie inhabituelle, il semble que le cerveau et les sens de ces premiers spinosaures aient conservé de nombreux aspects communs avec d'autres théropodes de grande taille - rien ne prouve que leur mode de vie semi-aquatique se reflète dans la façon dont leur cerveau est organisé ».

    C'est une découverte paradoxale comme l'explique un autre des chercheurs, Darren Naish. « Parce que les crânes de tous les spinosauridés sont si spécialisés pour la capture de poissons, il est surprenant de voir de tels cerveaux. Mais les résultats sont quand même significatifs. C'est excitant d'obtenir autant d'informations sur les capacités sensorielles - sur l'ouïe, l'odoratodorat, l'équilibre, etc. - des dinosaures britanniques. En utilisant une technologie de pointe, nous avons essentiellement obtenu toutes les informations liées au cerveau que nous pouvions à partir de ces fossiles. »

    De son côté, Lawrence M. Witmer, professeur d'anatomieanatomie à l'Ohio University Heritage College of Osteopathic Medicine, qui fait passer des radios aux fossiles de dinosaures depuis plus de 25 ans, ajoute : « Cette nouvelle recherche n'est que la dernière en date de ce qui équivaut à une révolution en paléontologiepaléontologie grâce aux progrès de l'imagerie CT des fossiles. Nous sommes maintenant en mesure d'évaluer les capacités cognitives et sensorielles d'animaux disparus et d'explorer comment le cerveau a évolué chez des dinosaures au comportement extrême comme les spinosaures. ».

    Une vue d'artiste de <em>Ceratosuchops</em> avec l'orientation de l'endocaste dans le crâne. © Anthony Hutchings
    Une vue d'artiste de Ceratosuchops avec l'orientation de l'endocaste dans le crâne. © Anthony Hutchings

    Les terribles spinosaures mangeaient plutôt des poissons

    Article de Laurent SaccoLaurent Sacco publié le 09/02/2010

    L'une des scènes de Jurassic Park 3 montre un spinosaure en partie immergé dans un lac. Est-elle vraiment réaliste ? Oui, si on en croit un groupe de paléontologues français et chinois qui ont démontré, par analyse isotopique, que ces animaux avaient bien un mode de vie semi-aquatique.

    Dans Jurassic Park 3, la scène de combat entre un spinosaure et un tyrannosaure est devenue culte. Ce redoutable dinosaure se fait briser la nuque, tordant littéralement le cou à l'image du plus terrible prédateur ayant jamais foulé le sol de la TerreTerre, le TyrannosaurusTyrannosaurus rex.

    La réalité est probablement plus nuancée car s'il est vrai que les spinosaures étaient des animaux de tailles imposantes, puisque certaines estimations leur donnent une longueur comprise entre 16 et 18 mètres pour un poids de 11 tonnes, les squelettes découverts depuis 1912 montrent des animaux évoquant des piscivorespiscivores.

    De fait, les sédimentssédiments dans lesquels des restes fossiles ont été extraits, en Egypte, au Maroc et au Niger, sont typiquement ceux de zones fluviales (deltaïques ou lagunaires). En outre, des contenus stomacaux et des traces de prédation avaient déjà confirmé que des spinosauridés se nourrissaient de poissons. Mais la comparaison avec le menu de certains autres dinosaures apparentés laissait suspecter qu'ils pouvaient aussi se nourrir de petits dinosaures et de reptilesreptiles volants, comme le prouve une vertèbre cervicalevertèbre cervicale de ptérosaure perforée par une dent de spinosauridé découverte dans la formation de Santana au Brésil.

     

    Une reconstitution en images de synthèse de Spinosaurus aegyptiacus. Crédit : www.hox.fr - Marc Boulay et Sylvia Lorrain

     

    La question restait donc posée. Ces dinosaures carnivorescarnivores ayant vécu durant une partie du MésozoïqueMésozoïque sur trois continents, l'Amérique du Sud, l'Afrique et l'Eurasie, entre la fin du Jurassique et le milieu du Crétacé (-150 à -90 millions d'années environ) étaient-ils semi-aquatiques ? En effet, leurs squelettes, bien que montrant des signes d'adaptation à la vie aquatique, ne permettaient pas d'affirmer qu'ils passaient l'essentiel de leur temps dans l'eau.

    En l'absence d'une machine à remonter dans le temps ou d'informations directes sur le régime alimentaire des spinosaures, la résolutionrésolution de cette énigme semblait impossible. C'était sans compter sur la puissance des techniques de la chimiechimie isotopique...

    Dent de <em>Siamosaurus</em>, spinosaure du Crétacé inférieur de Thaïlande (environ 120 millions d'années) mesurant 60 mm de haut. Crédit : CNRS-Eric Buffetaut
    Dent de Siamosaurus, spinosaure du Crétacé inférieur de Thaïlande (environ 120 millions d'années) mesurant 60 mm de haut. Crédit : CNRS-Eric Buffetaut

    Vie terrestre ou aquatique laissent des traces dans le corps de l'animal, même fossilisé, sous la forme de différences dans les taux des isotopesisotopes de l'oxygène. En effet, l'évaporation transcutanée et la quantité d'eau ingérée et excrétée ne sont pas les mêmes chez les animaux terrestres et aquatiques. Il suffit donc de mesurer ces rapports d'abondances dans des restes fossiles pour répondre à la question.

    Mais pour réaliser une telle mesure, il faut disposer d'un grand nombre d'échantillons. Or, justement, les dents de spinosaures sont assez fréquemment retrouvées dans les gisements fossilifèresgisements fossilifères présents un peu partout sur la planète. Pour que cette étude puisse être réalisée, la communauté des paléontologues s'est mobilisée. Les chimistes ont reçu le matériaumatériau nécessaire d'un grand nombre de scientifiques, anglais, brésiliens, chinois, français, marocains et thaïlandais.

    Les résultats viennent d'être publiés dans la revue Geology. Ils montrent une grande similitude avec les abondances trouvées chez les crocodiles et les tortuestortues de l'époque mais de grandes différences avec ce qui est mesuré dans les dinosaures terrestres contemporains des spinosaures et vivant dans leur voisinage. Les spinosaures passaient donc bien l'essentiel de leur vie dans l'eau, à la manière dont on se représentait il y a un siècle les grands dinosaures herbivoresherbivores à long cou.