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Puijila darwini, un cousin disparu des pinnipèdes actuels. © Alex Tirabasso, Canadian Museum of Nature (squelette) ; Stefan Thompson (dessin)
Alors que l'on connaît les ancêtres terriens des cétacés et des lamantins, ceux des pinnipèdes (phoques, otaries, éléphants de mer...) restaient mystérieux. Les plus vieux ancêtres directs connus, vivant entre 20 et 28 millions d'années, étaient déjà adaptés à la vie semi-aquatique et possédaient de véritables nageoires. La phylogénie (l'étude des parentés) avait permis de remonter plus loin dans le passé et de rapprocher les pinnipèdes actuels des ours et des mustélidés (belette, furet, fouine, loutre...). Mais, entre les deux, un chaînon manquait.
Le lieu de la découverte, en été, quand fond la couverture de glace. © Natalia Rybczynski et al. / Canadian Museum of Nature
Pour le trouver, il aura fallu une panne de quad... Durant l'été 2007, une valeureuse équipe du Canadian Museum of Nature, menée par Natalia Rybczynski, explorait un site de la vaste île Devon (la plus grande île inhabitée de la planète), dans l'archipel arctiquearctique canadien, par environ 75° de latitudelatitude nord. « Il faisait exceptionnellement chaud » racontent les membres de l'équipe. Les informations météorologiques sur l'île Devon indiquent que durant les étés, particulièrement courts, la température grimpe au maximum à 10°C.
L'une des équipières, Elizabeth RossRoss, chevauchant un quad, s'est d'abord enlisée dans la boue, avant de s'apercevoir que l'engin n'avait plus d'essence. Tandis que deux autres membres de l'équipe partaient chercher un bidon, Elizabeth Ross et Mary Dawson en profitaient pour travailler, c'est-à-dire fouiller la boue. On ne sait jamais. L'histoire est racontée photos à l'appui (dans la version anglaise) sur le site du Canadian Museum of Nature, que l'équipe a consacré à leur découverte. A lui seul, le récit mérite une visite...
Les ancêtres des phoques préféraient peut-être l'eau douce
Après les premiers ossements recueillis par les deux femmes, l'équipe en a exhumés une grande quantité, qui appartenaient tous au même individu. L'ensemble a ensuite permis de reconstituer un animal, manifestement un mammifèremammifère carnivorecarnivore, ressemblant à une loutre, d'environ 1,10 mètre et doté d'une longue queue. L'analyse minutieuse de ces restes, la dentition notamment, a montré qu'il s'agissait d'un pinnipède, au détail près qu'il marchait sur quatre vraies pattes. La datation du terrain a donné une fourchette de 20 à 24 millions d'années.
Les paléontologistes sont retournés sur le site durant l'été 2008 (la météométéo était moins clémente, expliquent-ils) pour poursuivre les fouilles et les résultats viennent seulement d'être publiés dans Nature. Un site Web complet a été réalisé et montre notamment une reconstitution en 3D.
Les pièces du squelette de Puijila darwini. © Natalia Rybczynski et al. / Canadian Museum of Nature
Les paléontologistes ont créé pour lui un genre nouveau, Puijila, du nom que les Inuits de cette région (le Nunavut) donnaient aux jeunes mammifères marins. Pour l'espèceespèce, l'équipe a choisi darwini, pour rappeler que Charles DarwinCharles Darwin avait prédit l'existence de tels ancêtres terrestres d'animaux aquatiques.
Puijila darwini, donc, n'est pas présenté comme un ancêtre direct des pinnipèdes actuels (il serait d'ailleurs trop récent) mais comme un cousin disparu. Les auteurs suggèrent que la transition entre le milieu terrestre et la vie semi-aquatique a dû se faire en eau douceeau douce et vraisemblablement dans cette région arctique plutôt que plus au sud, selon l'hypothèse communément admise. D'autres études permettront peut-être d'affiner les conclusions sur le degré de cousinage avec les espèces actuelles...