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Stanley Miller vers 1953, un des pionniers des expériences sur la chimie organique qui a initié la vie terrestre. © Dept. of Chemistry & Biochemistry, University of California, San Diego
Les premiers océans de la Terre avaient tout ce qu'il fallait pour que la vie apparaisse. C'est la conviction de Harold Morowitz, de la George Mason University, qui expose ses idées depuis plusieurs années. Selon lui, il doit exister une explication simple à l'apparition des moléculesmolécules complexes qui ont ensuite construit les premiers êtres vivants. Cette chimiechimie prébiotiqueprébiotique pose pourtant à la science une redoutable question qui est celle de l'œuf et de la poule.
La chimie des organismes vivants repose sur des macromoléculesmacromolécules qui se construisent à partir de structures plus simples et plus ou moins répétées : les protéinesprotéines sont des chaînes d'acides aminésacides aminés, ADNADN et ARNARN sont constitués d'éléments accrochés les uns aux autres, les sucressucres simples, comme le fructosefructose ou le glucoseglucose s'assemblent pour former des structures plus vastes (saccharosesaccharose, amidonamidon, glycogèneglycogène...), etc.
Mais ces éléments ne forment pas spontanément des macromolécules. Pour que les réactions chimiquesréactions chimiques nécessaires aient bien lieu, il faut une catalysecatalyse efficace réalisée... par des macromolécules. Dans les cellules, ce sont principalement les enzymesenzymes, c'est-à-dire des protéines, qui jouent ce rôle catalytique. On connaît une seconde voie, celle de certains ARN. Ces cousins de l'ADN montrent parfois une fonction de catalyse et on les appelle alors des ribozymesribozymes. Cette capacité a inspiré une hypothèse sur l'origine de la vie, celle du monde à ARN, dont Harold Morowitz est d'ailleurs un partisan. Dans ce milieu des prémices de la vie, l'ARN jouait deux rôles : il portait l'information, comme l'ADN d'aujourd'hui, et il catalysait les bonnes réactions chimiques, comme nos enzymes actuelles. Cette théorie repose sur de bons arguments, notamment l'activité enzymatiqueenzymatique des ribozymes et l'existence des ribovirus, dont le matériel génétiquematériel génétique est constitué d'ARN.
La biochimie d'hier n'est pas celle d'aujourd'hui
Donc, pour résumer, dans le monde à ARN comme dans la vie telle que nous la connaissons aujourd'hui, il faut des macromolécules pour fabriquer des macromolécules. Alors comment se sont formées les premières macromolécules ?
La réponse semble devoir être cherchée dans des voies métaboliques différentes favorisées par le milieu terrestre tel qu'il était à l'origine de la vie il y a donc environ 4 milliards d'années et qui seraient devenues ensuite impossibles. De nombreuses pistes sont explorées mais aucune théorie globale et consensuelle n'a encore vu le jour.
Pour aboutir à une recette chimique conduisant à la vie, il faut de l'énergieénergie, des composés chimiques et un milieu favorable. De l'atmosphère secouée d'éclairs aux argiles et au mica, de nombreuses hypothèses fleurissent. Avec son collègue Eric Smith, Harold Morowitz avait proposé l'intervention active des volcans, dispersant des polyphosphates, des molécules qui ont pu persister dans l'atmosphère d'alors. Aujourd'hui, elles ne le peuvent plus mais on les trouve au cœur du métabolismemétabolisme de tous les êtres vivants de la Terre. L'ATPATP, notamment joue un rôle primordial comme vecteur d'énergie.
Un scénario possible, seulement possible
Les deux mêmes auteurs, accompagnés de Vijayasarathy Srinivasan, se penchent aujourd'hui sur les fosses océaniques, là où fument les sources hydrothermalessources hydrothermales. Leur hypothèse, qu'ils viennent d'exposer dans le dernier numéro de la revue The Biological Bulletin (sous le titre Ligand Field Theory and the Origin of Life as an Emergent Feature of the Periodic Table of Elements), repose sur la chimie et fait intervenir deux acteurs majeurs : la famille des métauxmétaux dits de transition (comme le ferfer, le nickelnickel, le cuivrecuivre, le zinczinc...) et les ligandsligands, c'est-à-dire des molécules capables d'accrocher des ionsions métalliques.
Du fond océanique, expliquent-ils, diffusaient dans l'eau un certain de nombre de molécules : CO2 (le gazgaz carbonique, ou dioxyde de carbonedioxyde de carbone), H2 (l'hydrogènehydrogène moléculaire), NH3 (l'ammoniacammoniac), H2S (l'hydrogène sulfuréhydrogène sulfuré) et H3PO4 (le phosphatephosphate d'hydrogène). L'eau de mer était riche en métaux de transition et très pauvre en oxygène. Selon les auteurs, ce cocktail devait conduire à la forme de petites molécules organiques avec la propriété de ligands, qui devaient efficacement fixer les métaux. Ces complexes ligands-métaux ont des propriétés catalytiques et seraient à l'origine de la fabrication des premières macromolécules. Dans leur publication, les auteurs se livrent à une analyse des propriétés chimiques des éléments chimiqueséléments chimiques en cause et des travaux déjà réalisés sur ces thèmes. Ils aboutissent à un scénario en plusieurs étapes :
- Dans l'océan primitifocéan primitif se trouvent des métaux de transition sous forme solidesolide ou en solution liés à l'eau, au monoxyde de carbonemonoxyde de carbone (CO), au dioxyde de carbone (CO2), à l'ammoniac (NH3) et à des sulfates.
- A partir du CO2, de H2, de NH3 et de polyphosphates, l'énergie thermiqueénergie thermique ou chimique des sources hydrothermales conduit à la formation de ligands organiques (à plusieurs atomesatomes de carbone, donc) qui se lient aux métaux de transition.
- Quelques-uns de ces complexes ligands-métaux présentent des propriétés catalytiques telles qu'une série de réactions chimiques se met en place.
- Ces réactions chimiques lancent un réseau de réactions autocatalytiques plus vaste. Les auteurs mentionnent ce cycle des Krebs inversé qu'ils ont déjà évoqué dans des travaux antérieurs (ce cycle existe aujourd'hui dans toutes les cellules mais, dans le milieu réducteur de l'époque, aurait tourné dans l'autre sens).
- Les bonnes macromolécules sont là. La suite de l'histoire est induite par les lois de la physiquephysique et de la chimie. La vie est devenue inéluctable.
Quelle preuve de ce scénario ? « Aucune, mais il est testable ! » expliquent en substance les auteurs, qui donnent une feuille de route pour explorer leur théorie. Les biochimistesbiochimistes sont donc invités à rejoindre leurs paillasses et leurs éprouvetteséprouvettes. Si l'hypothèse se confirme, elle donnerait les clés de cette chimie prébiotique qui nous est pour l'instant toujours inconnue.