Il y a 33 millions d’années, les faunes de l’Europe et de l’Asie se mélangeaient à la faveur d’un changement climatique permettant le passage des mammifères asiatiques vers l’ouest. Cependant, certains fossiles attestent de la présence de mammifères d’origine asiatique bien avant cette Grande Coupure. Une équipe de chercheurs a fait le point sur la chronologie des événements.
au sommaire
Il y a plus de 40 millions d'années, la distribution des mammifères sur le continent eurasiatique était principalement divisée en deux grands ensembles faunistiques, associés à deux provinces bien distinctes : l'Europe de l'Ouest et l'Asie. Cette zonation était en grande partie liée à la présence de bras de mer encadrant les zones continentales, qui auraient agi comme des barrières naturelles, empêchant le mélange des deux groupes. Cette évolution séparée entre l'ouest et l'est du continent eurasiatique a cependant pris fin brutalement au début de l'Oligocène, il y a environ 33 millions d'années. À partir de cette date, on observe en effet un déclin des animaux endémiquesendémiques de l'Europe de l'Ouest ainsi que l'apparition rapide d'espèces en provenance d'Asie. Ce changement brusque de la faune européenne est connu sous le nom de Grande Coupure.
L’identification d’un troisième groupe de mammifères sème le trouble
Cependant, plusieurs études paléontologiques font état de la présence de mammifères d'affinité asiatique en Europe 5 à 10 millions d'années avant la Grande Coupure, remettant en question l'idée des deux grands ensembles faunistiques. Certains chercheurs suggèrent donc la présence d'un troisième groupe de mammifères, établi avant la Grande Coupure dans la région couvrant l'actuelle Europe du Sud-Est jusqu'à l'Anatolie. Ce groupe est marqué par un fort endémismeendémisme, avec des caractéristiques qui l'isole des groupes européen et asiatique, jusqu'au moment de la Grande Coupure.
Des chercheurs se sont donc attelés à reconstruire la chronologie de la dispersion des mammifères avant la Grande Coupure, en se basant notamment sur de nouvelles découvertes paléontologiques et sur la révision des âges de certains sites paléontologiques dans la partie sud-est de l'Europe (des Balkans jusqu'au Caucase). Alexis Licht, du Centre de Recherche et d'Enseignement de Géosciences de l'Environnement (Cerege), et ses collègues présentent notamment la découverte des plus vieux fossiles d'ongulés en Anatolie, attestant la présence de mammifères d'affinité asiatique claire dans cette région il y a 38 à 35 millions d'années.
La Balkanatolie : des îles isolées de l’Europe et de l’Asie
Les résultats de l'étude, publiée dans Earth Science Review, suggèrent la présence d'un groupe faunistique isolé, jusqu'à présent non clairement défini. La distribution des fossiles montre en effet que ces mammifères d'origine asiatique étaient présents au niveau d'une province restée longtemps isolée du reste de l'Europe et de l'Asie. Cette province biogéographique, aujourd'hui intriquée au continent eurasiatique par le biais de la collision tectonique, était caractérisée il y a 38 millions d'années par plusieurs blocs continentaux regroupés sous le terme de Balkanatolie. Ces blocs dérivent de la fragmentation des supercontinents Gondwana et Laurasia et se sont assemblés au continent eurasiatique à la fin du Crétacé vers 65 millions d'années. Ils occupaient la partie est et centrale de l'océan Néotéthys alors en cours de fermeture.
Plusieurs études suggèrent que les blocs continentaux de la Balkanatolie formaient durant l'Éocène un ensemble de terresterres faiblement émergées s'étendant de la région alpine jusqu'au Petit Caucase. La Balkanatolie semble avoir connu plusieurs épisodes d'immersion durant cette période et aurait pu ainsi passer de la configuration d'un archipelarchipel très discontinu à celle d'une grande île. Elle serait cependant restée isolée du reste du continent eurasiatique durant la majeure partie de l'Éocène, permettant le développement d'une faunefaune endémique, sans lien avec l'Asie.
Une première colonisation permise par une baisse du niveau de l’eau
Alexis Licht et ses collègues suggèrent cependant que la Balkanatolie, alors peuplée par une faune bien spécifique, aurait été colonisée par des mammifères asiatiques à la fin du Bartonien, il y a 38 millions d'années environ, à la faveur de l'établissement d'un passage émergé entre l'Asie et la Balkanatolie. Cet événement a été suivi par un changement de la faune en Europe de l'Ouest, bien avant la Grande Coupure, indiquant par là l'ouverture probable d'un autre passage, entre la Balkanatolie et l'Europe, cette fois.
La colonisation de la Balkanatolie par les mammifères asiatiques aurait été associée à une régression marine, c'est-à-dire à une baisse du niveau marin. Pour les auteurs, ce changement eustatique est attribué à la combinaison de deux facteurs : un épisode glaciaire engendrant une baisse du niveau de l’eau et un soulèvement en lien avec le début de la collision tectonique entre la plaque africaine et la plaque eurasiatique. Cette collision donnera notamment naissance aux Alpes et entrainera par la suite l'incorporation des terres de la Balkanatolie le long du front de compression.
Ces deux facteurs, climatique et tectonique, auraient permis l'établissement d'un corridorcorridor continu de terres émergées permettant le passage des mammifères asiatiques vers la Balkanatolie, puis vers l'Europe de l'Ouest. Les chercheurs pensent que ce passage aurait été réutilisé durant la Grande Coupure, alors que le climatclimat connaissait une nouvelle glaciationglaciation, il y a 33,5 millions d'années.