L’Homme et les grandes singes sont proches, oui mais jusqu’à quel point ? Antoine Balzeau, et plusieurs de ses collaborateurs, se sont intéressés à la forme des cerveaux en quantifiant des asymétries nommées pétalias. Il présente ses résultats à Futura-Sciences, de nature à changer quelques idées sur l’évolution des hominidés.  

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    La tomographie à rayons X a été utilisée pour réaliser des copies virtuelles en 3 dimensions des crânes analysés. Il s'agit ici d'un crâne de Cro-Magnon. Cette méthodologie est couramment employée en médecine. Les empreintes laissées par les pétalias sont observées au niveau de l'endocrâne (en jaune). © Antoine Balzeau (CNRS/MNHN)

    La tomographie à rayons X a été utilisée pour réaliser des copies virtuelles en 3 dimensions des crânes analysés. Il s'agit ici d'un crâne de Cro-Magnon. Cette méthodologie est couramment employée en médecine. Les empreintes laissées par les pétalias sont observées au niveau de l'endocrâne (en jaune). © Antoine Balzeau (CNRS/MNHN)

    Des études récentes ont montré que les deux hémisphères du cerveau ne fonctionnent pas de la même manière. Par exemple, le côté droit aurait moins de capacités cognitives que son homologue. Le cerveaucerveau n'est en effet, à l'évidence, pas symétrique. La plupart de ses déformations ont été décrites de manière qualitative mais peu de mesures ont été effectuées. Leurs fonctions, leur physiologie et leurs implications comportementales ont déjà été étudiées afin de comprendre leurs relations possibles avec la latéralisation manuelle, le langage et les capacités cognitives.

    Les pétalias correspondent à la disposition des lobes frontaux et occipitaux respectivement les uns par rapport aux autres. Le fait d'avoir un lobe frontallobe frontal droit et un lobe occipital gauche proéminents par rapport à leurs homologues a été attribué aux espèces du genre Homo, et plus spécifiquement aux droitiers.

    Antoine Balzeau, paléoanthropologue au Muséum national d'histoire naturelleMuséum national d'histoire naturelle (CNRS/MNHN, Paris), et ses collaborateurs ont développé un nouveau protocoleprotocole permettant de quantifier ces asymétries avec des données chiffrées. « Il est difficile de mesurer les pétalias car le cerveau est lui-même une structure asymétriqueasymétrique. Nous avons voulu trouver un protocole qui s'affranchisse de ce problème. Nous avons donc utilisé le crâne comme référentiel. »

    Illustration du protocole utilisé pour quantifier les « pétalias », exemple pour Cro-Magnon 1 (le crâne et l'endocrâne de chaque spécimen sont reconstruits virtuellement en 3 dimensions grâce à des données d'imagerie, puis des points repères sont positionnés sur ces surfaces pour mesurer la position relative des points antérieurs des lobes frontaux et postérieurs des lobes occipitaux). © A.Balzeau (CNRS/MNHN)

    Illustration du protocole utilisé pour quantifier les « pétalias », exemple pour Cro-Magnon 1 (le crâne et l'endocrâne de chaque spécimen sont reconstruits virtuellement en 3 dimensions grâce à des données d'imagerie, puis des points repères sont positionnés sur ces surfaces pour mesurer la position relative des points antérieurs des lobes frontaux et postérieurs des lobes occipitaux). © A.Balzeau (CNRS/MNHN)

    Un scanner médical à rayons Xrayons X a été utilisé pour réaliser des copies virtuelles en 3 dimensions de 199 crânescrânes, appartenant à des Hommes modernes, à ses ancêtres et à des grands singes (bonobos, chimpanzés et gorilles).

    Les résultats sont publiés dans la revue Plos One. Tous les hominidéshominidés  partagent les asymétries étudiées, et pas seulement les homininéshomininés. L'ancêtre communancêtre commun aux grands singes et aux Hommes devait posséder ce caractère. Nos idées doivent donc changer sur le rôle joué par ces protubérances et sur les capacités cognitives de nos ancêtres...

    Hommes et grands singes, des caractères en communs

     « En quantifiant et comparant des asymétries, certaines apparaissent fluctuantes tandis que d'autres sont vraiment dirigées vers un côté. Nous avons observé les pétalias aussi bien chez les Hommes actuels que chez les grands singes. »

    Ce résultat invaliderait la discontinuité reconnue pour ce caractère (sur base de simples observations) entre son évolution chez les Hommes et chez leurs cousins. « Il y avait une relation mathématique chez les Hommes qui montrait que les droitiers avait majoritairement le même schéma : un lobe frontal droit plus en avant et un lobe occipital gauche plus en arrière. Nous pensions que c'était un caractère qui était propre à l'Homme et qu'il apparaissait avec le genre Homo. »

    Les résultats de cette étude perturbent donc les idées reçues et les théories reconnues jusqu'à présent. « Ils montrent que le support anatomique des asymétries est présent chez les grands singes actuels et chez l'Homme. C'est un même support anatomique qui est partagé, mais il n'a pas permis la même fonction. Donc ce ne sont pas ces asymétries qui permettent la latéralité manuelle. » Il n'y a donc pas de relation aussi simple entre le caractère anatomique et la fonction. La présence des pétalias chez un individu ne signifie pas qu'il soit droitier.

    L'ancêtre commun devait également posséder ces déformations. « Les asymétries très prononcées dans un sens sont qualifiées de directionnelles. Elles ont de l'intérêt car elles sont héritables. Quand on en trouve cela veut dire qu'on les a portées dans l'histoire de l'espèce. Si on trouve ce caractère sur deux branches, l'ancêtre commun devait forcement le posséder. »

    Arbre évolutif simplifié des hominidés et asymétries neuroanatomiques partagées. © A. Balzeau (CNRS/MNHN) et dessins de O.M. Nadel

    Arbre évolutif simplifié des hominidés et asymétries neuroanatomiques partagées. © A. Balzeau (CNRS/MNHN) et dessins de O.M. Nadel

    Changeons les idées reçues

    Ces résultats pourraient avoir une grande implication sur notre compréhension des capacités cognitives des Hommes préhistorique.

    « Au départ, nous avons interprété les capacités des Hommes un peu à l'envers. Pour utiliser les outils et parler, il faut être intelligent. Pour ce faire, il faut avoir un gros cerveau. Donc nous nous sommes d'abord dit que les australopithèquesaustralopithèques ne pouvaient pas faire d'outils, que c'était forcement propre au genre Homo. »

    D'autres erreurs similaires ont été commises concernant les capacités de langage. Seul Homo sapiens aurait été capable de parler. Il aurait été le seul à posséder un cerveau suffisamment grand.

    Plusieurs découvertes récentes ont montré que les australopithèques et les paranthropesparanthropes fabriquaient des outils. Au final, la taille du cerveau n'a pas un lien direct avec ces capacités. 

    « Nous montrons maintenant que tous les ancêtres de l'Homme possédaient des cerveaux asymétriques. Ils ont donc tous au moins un support anatomique dont on sait qu'il joue un rôle dans les capacités manuelles et dans les capacités de langage. Cela enlève cette idée très simplificatrice voulant que seul Homo sapiensHomo sapiens ait été capable de parler et d'utiliser des outils. »