La domination des dinosaures sur tous les écosystèmes terrestres il y a 230 millions d’années a jusqu’ici été attribuée à leur supériorité. Une équipe de scientifiques de l’Université de Bristol balaie cet argument et attribue leur succès... à la chance.
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Les crurotarsiens n'ont pas bénéficié de la même chance que les dinosaures... il n'en reste que les crocodiles ! Crédit Commons
Steve Brusatte, le professeur Mike Benton et leurs collègues ont soigneusement examiné les restes fossilisés de dinosaures afin de déterminer quels traits de caractère ou de morphologiemorphologie, auraient pu justifier une telle supériorité. Pour cela, ils en ont disposé les caractéristiques en parallèle à celles des espèces antérieures, censées avoir été progressivement supplantées. Ils publient leurs conclusions aujourd'hui dans le magazine Science.
Au moment de leur émergence à la fin du Trias, les dinosaures avaient pour principaux concurrents les représentants des crurotarsiens, des sauriens crocodilomorphes, ancêtres disparus des crocodilescrocodiles actuels, et faisant partie, comme les dinosaures et les oiseaux, des archosaures.
Adaptés à tous les milieux
A la différence de leurs descendants, les crurotarsiens montraient une étonnante diversification. Leur groupe comprenait d'énormes prédateurs quadrupèdes, des prédateurs bipèdes agiles, des bipèdes omnivoresomnivores coureurs. Certains se nourrissaient de poissonspoissons, d'autres de racines, d'autres encore étaient herbivoresherbivores. Plusieurs espèces ne ressemblaient en rien aux crocodiles, mais pouvaient se confondre aisément avec les dinosaures, catégorie dans laquelle ils ont été quelquefois classés par erreur. Dinosaures et crurotarsiens se partageaient clairement les mêmes territoires vers la fin du Trias, et entraient ainsi en concurrence pour s'en approprier les ressources alimentaires.
Montage photographique de crânes d’archosaures de type crocodilien, les principaux concurrents des dinosaures au cour du Trias tardif (200-230 millions d’années). Crédit : Université de Bristol
Les chercheurs ont examiné l'arbrearbre d'évolution de ces différentes espèces à cette époque. En utilisant un très grand nombre de caractères anatomiques sur base de quelque 500 éléments de squelettes, ils en ont déterminé avec précision les taux évolutionnaires, c'est-à-dire la rapiditérapidité des changements anatomiques observés dans l'évolution des espècesévolution des espèces, ainsi que les disparités morphologiques. A partir de là, un nouvel arbre phylogénétiquearbre phylogénétique des archosaures a été dressé.
Les conclusions
Ils ont pu établir que dinosauriens et crurotarsiens avaient évolué parallèlement, sans que l'un prenne l'avantage sur l'autre. Autrement dit, s'il y avait réelle concurrence sur le terrain, celle-ci ne s'est pas matérialisée par la domination morphologique d'une espèce sur l'autre. Or, puisque les crurotarsiens avaient été supplantés par les dinosauriens, il serait logique que ceux-ci aient évolué plus rapidement. Au lieu de cela, leurs concurrents gardaient le rythme...
Mais les résultats étaient plus étonnants encore pour l'évaluation des disparités morphologiques. Avec un bien plus grand nombre d'espèces, les crurotarsiens exploraient un nombre beaucoup plus élevé d'écosystèmesécosystèmes, y adaptant un régime et un stylestyle de vie particulier propre à chaque espèce. Autrement dit, ils étaient mieux armés pour supplanter, par le nombre et par l'adaptabilité, leurs cousins dinosaures.
Reconstitution d’un Herrerasaurus, un des plus anciens dinosaures connus, vers -230 millions d'années (Trias supérieur). Crédit Commons
On peut encore ajouter à cela deux constatations aussi surprenantes, mais déjà connues. En premier lieu, les crurotarsiens étaient bien plus abondants, ainsi qu'en témoigne le grand nombre de fossilesfossiles dégagés, largement supérieur à ceux de dinosaures dans les stratesstrates correspondant au Trias. Ensuite, chaque territoire présentait aussi une grande variété de crurotarsiens.
Steve Brusatte en conclut : « si nous revenions sur TerreTerre vers la fin du Trias, il y a quelque 210 millions d'années et devions déterminer qui, par la suite, dominerait l'ensemble des écosystèmes, nous miserions tous sur les crurotarsiens. Il n'y avait aucun indice valable d'une future domination des dinosaures, alors, pourquoi y sont-il parvenus ? ».
Selon le chercheur, cette énigme trouve sa solution dans les périodes d'extinction massive. Les dinosaures n'ont pas seulement eu de la chance, ils l'ont eue à deux reprises.
Une chance de dinosaure…
L'extinction massive de la fin du PermienPermien il y a 228 millions d'années, provoquée vraisemblablement par des évènements d'ordre géologique et qui marque le début du Trias, a atteint indistinctement dinosauriens et crurotarsiens. En revanche, de nombreux autres groupes potentiellement concurrents ont été éliminés, ce qui a renforcé le pouvoir de domination des deux premiers. Mais une autre extinction de masseextinction de masse, dite du Trias-JurassiqueJurassique provoquée par la fracture de la PangéePangée et vraisemblablement les bouleversements climatiques induits voici 200 millions d'années, a été beaucoup plus décisive. Près de 20% des espèces marines, les crurotarsiens les plus importants, une grande partie des thérapsidesthérapsides (ancêtres des mammifèresmammifères) et les gros amphibiensamphibiens ont disparu, tandis que la diversité biologique au niveau mondial a été diminuée de moitié.
Tous les crurotarsiens disparus excepté quelques lignées de crocodilienscrocodiliens, les dinosaures ont ainsi eu le champ libre et se sont rapidement répandus à travers tous les territoires en tant que groupe vertébrévertébré dominant.
Reste une énigme... pourquoi les crurotarsiens ont-ils tous disparu alors que les dinosaures, apparemment moins bien adaptés aux différents écosystèmes, ont survécu ? Peut-on envisager une extinction à la fois massive et sélective ? Nul ne le sait encore. Mais l'équipe de Steve Brusatte pense que l'explication pourrait tout simplement tenir... de la chance.