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Ces animaux anormaux ne survivent pas longtemps à l'état sauvage, car avoir deux têtes, et donc deux cerveaux, provoque de gros problèmes de coordination et de comportement, mais en captivité ils peuvent vivre plusieurs années. La tortue à deux têtes « Janus », visible au Muséum d'Histoire naturelle de Genève, s'y trouve depuis bientôt dix ans.
© Jianjun Li. Eric Buffetaut.
Même si bon nombre de spécimens ont été répertoriés, les reptiles bicéphales sont des cas exceptionnels. Comme d'autre part la fossilisation ne préserve qu'un faible pourcentage des animaux vivant à une période donnée, les chances de découvrir un jour un reptile fossile à deux têtes paraissaient infimes. Pourtant, un tel fossile vient d'être signalé par un groupe de chercheurs français et chinois (E. Buffetaut, J. Li, H. Tong, H. Zhang, "A two-headed reptile from the Cretaceous of China", Biology Letters, doi : 10.1098/rsbl.2006.0580).
© Jianjun Li. Eric Buffetaut.
Il s'agit d'un petit squelette, long de 7 cm, d'un très jeune individu (peut-être embryonnaire) d'un reptile aquatique appartenant au groupe éteint des choristodères, très lointainement apparenté aux lézards. Des spécimens aussi bien adultes que juvéniles de cet animal aquatique à long cou, connu sous le nom de Sinohydrosaurus (ou encore Hyphalosaurus - les deux noms ont été proposés simultanément par des chercheurs différents), ne sont pas rares dans les dépôts lacustreslacustres datant d'environ 120 millions d'années du Nord-Est de la Chine, bien connus pour les magnifiques fossiles qu'ils livrent, dont les désormais célèbres dinosaures à plumes. Bien sûr, ces choristodères sont normalement pourvus d'une seule tête. Mais le petit squelette en question montre deux crânescrânes, portés chacun par un long cou, la bifurcationbifurcation de la colonne vertébralecolonne vertébrale se faisant au niveau des épaules. Cette malformationmalformation est en tous points comparable à celles que l'on observe chez des reptiles actuels. Le fossile acquis par M. He Zhang appartient aux collections du Musée Paléontologique de Shenzhen, dans le Sud de la Chine, où il attira l'attention de Jianjun Li, paléontologuepaléontologue au Muséum d'Histoire Naturelle de Beijing, qui le signala à Eric Buffetaut (CNRS, Paris) et Haiyan Tong (chercheur indépendant, Paris) lors d'une de leurs visites en Chine. Il fut alors décidé de préparer une publication en commun sur cet étonnant spécimen.
Avant de se lancer dans la description, il fallait cependant s'assurer d'un point essentiel : le spécimen était-il authentique ? En effet, la plupart des exceptionnels fossiles provenant des gisementsgisements lacustres crétacéscrétacés du NE de la Chine sont récoltés par des paysans locaux, qui ensuite les revendent, et il n'est pas rare que des spécimens soient « trafiqués » pour augmenter leur valeur marchande. L'exemple le plus connu est le squelette qui reçut le nom d'Archaeoraptor et fut présenté il y a quelques années comme un nouvel intermédiaire entre dinosaures et oiseaux - jusqu'à ce qu'on s'aperçoive qu'il était constitué de l'avant du corps d'un véritable oiseauoiseau primitif assemblé assez habilement aux pattes postérieures et à la queue d'un petit dinosaure ; entre-temps, nombre de paléontologues américains s'y laissèrent prendre...Le reptile à deux têtes ne devait-il pas sa bicéphalie à l'adjonction d'un crâne et d'un cou supplémentaires par quelque fraudeur ? L'examen attentif du fossile et de la plaque de roche sur lequel il repose montre que ce n'est pas le cas : il n'y a pas la moindre trace de fissures ou de colle qui pourrait révéler un tel traitement, le spécimen est bien authentique.
C'est donc là un exemple unique à ce jour de bifurcation axialeaxiale chez un vertébrévertébré fossile. Il montre que cette anomalie du développement embryonnaire était présente aussi dans le groupe totalement éteint des choristodères. Ce type de malformation est donc très répandu chez les reptiles, et attesté depuis plus de 100 millions d'années.