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En 1859, un étrange tronc fossile datant du Dévonien (-400 à -300 millions d'années) était découvert. Problème, il n'y avait pas encore d'arbre à cette époque. La Terre était alors parcourue de petits animaux dans un décor de bryophytes (mousses), de ptéridophytes (fougères) et de progymnospermes (groupe-frèregroupe-frère des plantes à graines, disparu aujourd'hui).
Les fossiles de Prototaxites ressemblent à des troncs pouvant atteindre 8,8 m de long pour 1,37 m de diamètre. Ils faisaient donc partie des plus grands organismes du DévonienDévonien. Ces troncs montrent une anatomieanatomie tubulaire, sans embranchementembranchement, ni septes, avec une disposition en cercles concentriques à la manière des cernes des arbres.
La nature isotopique des tissus fossiles suggère que Prototaxites faisait preuve d'hétérotrophiehétérotrophie, ce qui va à l'encontre d'une nature végétale mais soutient l'hypothèse qu'il s'agissait d'un champignon géant. Le rapport des isotopesisotopes 12 et 13 du carbonecarbone apporte en 2007 un argument de plus à cette hypothèse.
Deux problèmes subsistaient, le manque de matièrematière organique sur cette terre dévonienne pour nourrir un champignonchampignon d'une telle taille et l'absence de spores, preuves de sa reproduction. A moins que cela ne soit un lichen géant, qui aurait tiré une partie de ses ressources de la photosynthèsephotosynthèse...
Prendrait-on des matelas de mousses pour des champignons géants ?
L'équipe de Linda Graham de la Botanical Society of America propose une autre hypothèse. Elle suggère que ces fossiles sont des matelas mal décomposés d'une bryophyte de la famille des marchantiales, associée à des champignons et des cyanobactériescyanobactéries.
De tels matelas existent de nos jours et peuvent êtres enroulés par la gravitégravité, le ventvent ou l'eau.
La bryophyte Marchantia polymorpha, une mousse primitive. © Bartomiej Maciej CC by-nc-nd
Pour tester cette hypothèse, les scientifiques ont recréé les conditions environnementales déduites du contexte climatique chaud à influence volcanique dans lesquelles Prototaxites se serait développé. Ils y ont ensuite fait croître un matelas de Marchantia polymorpha avec des champignons et des cyanobactéries sur un milieu à base de glucoseglucose, avant de l'enrouler.
Puis ils ont comparé la structure de ce rouleau avec celle d'une tranche de l'énigmatique fossile. « Nous étions très excités quand nous avons vu à quel point l'ultrastructure de nos rouleaux de rhizoïdesrhizoïdes d'hépatiques était similaire aux images de tubes de Prototaxites publiées en 1976 par Rudy Schmid » déclare Linda Graham.
En effet, les structures anatomiques externes et internes, ainsi que les données nutritionnelles ont de nombreuses similarités :
- Cercles concentriques du rouleau des rhizoïdes de marchantiale (structures des bryophytes évoquant des racines) et du « tronc » fossile ;
- Anatomie tubulaire des hypheshyphes de champignon et des filaments de cyanobactéries et du « tronc » ;
- Présence de polymèrespolymères végétaux ;
- Preuve de mixotrophiemixotrophie (autotrophieautotrophie et hétérotrophie) dans les rapports isotopiques du carbone, dont moins de 20% est d'origine atmosphérique.
Cliquer pour agrandir. Les similarités entre un rouleau de marchantiales et Prototaxites. En A et B, un rouleau partiellement décomposé. En C et D, aperçus de coupes transversales montrant les anneaux concentriques et les tubes de rhizoïdes, hyphes et filaments dont l’apparence est proche des tubes d’une coupe transversale de Prototaxites (en E). © Graham et al.
La démonstration de l'équipe de Graham tend à prouver que Prototaxites était bien un artefact, un matelas enroulé d'une association de mousses hépatiques (marchantiophytes), de champignons et de cyanobactéries et non un champignon ou un lichen géant.
Ces travaux démontrent en outre que les marchantiophytes étaient une composante des écosystèmesécosystèmes du Dévonien et que la mixotrophie et les associations microbiennes sont des caractéristiques végétales anciennes, et non des évolutions récentes.
Ainsi se clôt dans la revue American Journal of Botany un mystère botaniquebotanique de 400 millions d'années...