La nouvelle a fait grand bruit : du sang liquide aurait été conservé sous la carcasse d’un mammouth mort voilà plus de 10.000 ans. D’autres indices laisseraient même penser que l’on pourrait trouver des cellules vivantes utilisables pour un éventuel clonage. C’est tout simplement sensationnel… Un peu trop, même ! Qu’en est-il réellement ?

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    Le mammouth laineux (Mammuthus primigenius) aurait disparu voilà plus de 10.000 ans, mais certains veulent croire que son espèce pourrait être ressuscitée. © Hawkoffire, Flickr, cc by 2.0

    Le mammouth laineux (Mammuthus primigenius) aurait disparu voilà plus de 10.000 ans, mais certains veulent croire que son espèce pourrait être ressuscitée. © Hawkoffire, Flickr, cc by 2.0

    La nouvelle s'est propagée dès hier : au début du mois de mai, des scientifiques russes ont extrait un nouveau mammouth laineux du pergélisol d'une île de l'archipel de Nouvelle-Sibérie, dans l'océan Arctique. Cette femelle âgée de 50 à 60 ans au moment de sa mort, survenue voilà 10.000 à 15.000 ans, avait été localisée en août dernier. Son état de conservation est exceptionnel, car elle serait visiblement tombée dans un marécage ou une flaque d'eau avant de mourir, mettant ainsi une partie de son corps à l'abri des prédateurs

    Pour preuve, si l'on en croit de nombreux organes de presse, « des tissus musculaires préservés, [...] rouges comme de la viande fraîche, et du sang » ont été trouvés dans la carcasse, laissant alors croire que l'on pourrait extraire « des cellules vivantes ». Cette perspective est bien évidemment intéressante, puisqu'une telle découverte permettrait de « réaliser le projet de clonage d'un mammouth ». Qui plus est, le fait que le sang soit resté liquideliquide démontre bien que « le mammouth le mieux conservé de l'histoire de la paléontologie », la « première femelle âgée découverte », contenait « une sorte d'antigel naturel » dans ses vaisseaux, selon Semyon Grigoriev de la North-Eastern Federal University de Iakoutsk... qui doit être étonné en lisant ses propres propos.

    S'il est vrai que des tissus sont rouges et qu'un liquide brunâtre était enfermé dans la glace sous l'animal, certaines affirmations posent tout de même question. Kate Wong, une rédactrice de la revue Scientific American, a ainsi pris soin de contacter des spécialistes avant de nous éclairer sur cette découverte par le biais de son blogblog. Certes, elle est exceptionnelle, mais de nombreuses allégations ont été mal rapportées, ou décrivent des faits non établis à ce jour. Visiblement, scientifiques et journalistes ne se sont pas compris !

    Un bébé mammouth vieux d'environ 10.000 ans, remarquablement conservé, découvert en 2007 dans le sol gelé de la péninsule de Yamal, en Sibérie. © NTV

    Un bébé mammouth vieux d'environ 10.000 ans, remarquablement conservé, découvert en 2007 dans le sol gelé de la péninsule de Yamal, en Sibérie. © NTV

    De l’ADN viable, et non des cellules vivantes

    Par exemple, ce pachyderme n'est pas « la première femelle âgée découverte », mais bien celle qui possède le plus de tissus mous. Par ailleurs, il n'y a aucune chance de trouver des cellules vivantes, mais plutôt de l'ADNADN viable, c'est-à-dire en suffisamment bon état pour être utilisé dans le cadre d’un clonage. Cependant, cette situation paraît improbable, puisque l'ADN se fragmente au cours du temps. Mais qui sait : « Jurassic Park va-t-il bientôt devenir réalité ? »

    Selon un expert, le liquide brunâtre pourrait être du sang, mais seules des observations microscopiques à réaliser pourront l'affirmer. S'il s'avère que c'est bien le cas, de nombreuses questions se poseront alors. Comment l'échantillon a-t-il pu rester liquide plus de 10.000 ans, sachant que le sang gèle par -0,6 °C et que la carcasse était conservée à -10 °C ? Selon ce spécialiste, un cryoprotecteur naturel pourrait avoir coulé dans les vaisseaux du mammouth, comme cela s'observe chez des poissons de l’Arctique. Cependant, aucun mammifèremammifère connu n'affiche cette propriété. 

    Un échantillon toujours liquide à -17 °C

    Autre point troublant au sujet de cet échantillon : il n'a pas gelé dans le congélateur des chercheurs, par -17 °C ! Selon Kevin Campbell de l'université du Manitoba (Canada), plusieurs explications sont envisageables.

    Si l'animal produisait un antigel naturel, celui-ci a pu se concentrer au cours du temps, abaissant alors progressivement le point de fusionfusion du liquide. Par ailleurs, le gelgel de l'eau contenue dans le sang sans cryoprotecteur pourrait également avoir concentré les autres constituants du précieux fluide, tout en l'empêchant de se solidifier. Dernier exemple, la poche contenant le liquide pourrait avoir été contaminée par des bactériesbactéries qui produisent des moléculesmolécules antigel. En définitive, aucune conclusion ne peut être tirée.  

    Une fois de plus, le sensationnel semble avoir pris le dessus, jetant au passage le discrédit sur une découverte qui reste, quoi qu'on en dise, exceptionnelle. Elle pourrait fournir de précieuses informations sur la physiologie des mammouths... lorsque la science aura fait son œuvre.