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L'ancêtre des marsupiaux (comme ce didelphidé) était-il social ? © Dawson, Wikimedia, CC by-sa 2.5
Apparus il y a 220 millions d'années, et au départ probablement évincés par les dinosaures, les mammifères sont aujourd'hui présents sur tous les continents. Si l'on en sait beaucoup sur les comportements des animaux contemporains, il n'en est pas de même sur ceux de leurs ancêtres. Vivaient-ils en groupe comme les rats ou les troupeaux d'herbivores des plaines africaines ? Ou, au contraire, préféraient-ils la solitude, à l'image de la plupart des marsupiaux modernes (koala, kangourous...) ?
Le manque de fossiles permettant de répondre à la question vient d'être pallié par la découverte sur le site de Tiupampa dans les Andes centrales de Bolivie de trente-cinq petits mammifères, datés de l'époque du Paléocène (il y a 64 millions d'années pour être précis). Il s'agit d'une trouvaille exceptionnelle, puisque des crânescrânes et des squelettes, parfois presque complets, ont été mis au jour, là où l'on ne retrouve habituellement que des dents ou des fragments d'os.
Les fossiles des opossums ont été retrouvés très près les uns des autres, indiquant probablement une vie en groupe. © Lemzaouda/MNHN, Fernandez/MNHN
Des animaux sociaux
Les fossiles correspondent à un type d'opossumopossum primitif à longue queue, appelé Pucadelphys andinus et appartenant à la famille des marsupiaux. Retrouvés sur deux zones de moins d'un mètre carré chacune, les douze individus de l'une et les vingt-trois de l'autre ne sont séparés que d'une distance de 3 mètres. Cette forte proximité des animaux suggère qu'ils ont certainement succombé à un même événement catastrophique (qui pourrait être une crue soudaine d'un fleuve tropical), mais surtout qu'ils appartenaient probablement à une même population.
Cette exhumation apporte donc un élément essentiel permettant d'imaginer un mode de vie grégairegrégaire des marsupiaux primitifs, ou au moins une haute tolérance sociale et de fréquentes interactions entre les animaux d'une même espèceespèce. Cette proximité géographique n'est pas une preuve en soi, puisque les corps sans vie auraient pu être transportés par le courant vers un lieu où ils se seraient accumulés, mais le bon état des squelettes rend cette dernière hypothèse peu probable.
Grâce à la conservation exceptionnelle de ces fossiles, les scientifiques disposent d'autres informations intéressantes concernant leur mode de vie. En effet, selon l'article paru dans la revue Nature, ces opossums présentent un fort dimorphisme sexueldimorphisme sexuel. Cela a pu être démontré par l'analyse des vingt-deux individus les mieux conservés, parmi lesquels six mâles ont été identifiés, ainsi que douze femelles et quatre jeunes (dont le sexe n'a pas pu être déterminé).
Les crânes des femelles (à gauche) et ceux des mâles (à droite) possèdent de grandes différences, dont la taille et la longueur des canines. © Lemzaouda/MNHN
Des compétitions entre mâles
Les mâles possèdent un crâne plus grand et plus long, une crête occipitaleoccipitale plus développée et des canines beaucoup plus grandes que celles des femelles. Ce dimorphisme sexuel marqué, associé au mode de vie grégaire, suggère l'existence d'une compétition entre les mâles et d'une polygyniepolygynie (lorsqu'un même mâle peut féconder plusieurs femelles).
Selon les auteurs (des chercheurs du Muséum national d'histoire naturelleMuséum national d'histoire naturelle, du CNRS et du Museo de Historia natural Alcide d'Orbigny de Cochabamba), la vie en groupe de Pucadelphys andinus n'a jamais été observée chez les représentants actuels des didelphidés (les opossums, seuls marsupiaux vivant sur le continent américain), qui ont toujours été considérés comme solitaires. Les ancêtres des marsupiaux étaient-ils donc tous sociaux et ont perdu cette caractéristique au fil de l'évolution, ou cet opossum primitif était-il une exception ? La question reste ouverte !