Sais-tu quel oiseau noir au bec rouge vif, qui voltige dans les airs, est l’emblême d’un comté et d’un roi légendaire ? Aujourd’hui, on va parler du crave à bec rouge dans Bêtes de Science.


au sommaire


    Ça y est ! C'est l'automne ! Les températures rafraîchissent, et les feuilles des arbres se parent de mille couleurscouleurs. Le moment parfait pour s'enrouler dans un plaid douillet en sirotant un bon chocolat chaud. Et qui dit automne, dit HalloweenHalloween ! Je ne résiste donc pas au plaisir de te parler à nouveau de mes oiseaux de malheur préférés, les corbeaux ! 

    Découvrez le podcast Bêtes de Science à l'origine de cette retranscription. Cliquez sur le bouton Play et laissez-vous porter ou cliquez ici pour vous abonner sur votre application de prédilection. © Futura

    Tu te souviens, je te racontais dans l'épisode dédié au corbeaux calédoniens que ces oiseaux noirs ont plutôt mauvaise réputation. Aujourd'hui encore, des légendes inquiétantes leurs collent toujours aux plumes et on les accuse de tous les maux... comme de manger tous les œufs des petits passereaux, ce qui a bien sûr été démenti par les scientifiques. Même si c'est tentant, je ne vais pas te parler du grand corbeau, familier des sorcières. Non, aujourd'hui, on part à l'aventure dans la lande, sur les falaises bretonnes battues par le vent, pour rencontrer l'un des membres les plus méconnus de la famille des corvidés : le crave à bec rouge

    Le fantôme des falaises

    J'espère que tu as prévu un bon coupe-vent, parce que ça souffle ! Garde bien ta casquette enfoncée sur la tête si tu ne veux pas qu'elle s'envole ! Il y a un peu de brume et quelques gouttes de pluie... mais pas assez pour nous décourager. Car, nous y sommes !

    Voici l'entrée de la réserve du Cap Sizun, dans le Finistère. Cet endroit aménagé est protégé depuis 1959, afin d'offrir aux oiseaux marins les meilleures conditions pour se retrouver et élever leurs petits. Au printemps, ça fourmille de bébés emplumés ! Mais pour l'heure, on a un peu une sensation de fin du monde. Les falaises de granit, majestueuses, ont les pieds éclaboussés d'écume. Et le vent du large nous balaye le visage ! Au premier poste d'observation, on voit nettement sur la falaise, quelques traînées blanches bien reconnaissables ! Ce sont des fientesfientes, laissées par les fulmars qui nichaient là, l'été dernier. Leurs bébés ressemblent à des boules de plumes grises, et leur becbec a un aspect rigolo, surplombé de narinesnarines en forme de tube, qui leur permettent d'éternuer du sel. Sur notre droite, on voit un petit îlot, tout près de la côte, sur lequel se reposent quelques cormorans huppés. Tu les vois aux jumelles ? Ils n'ont pas leur huppehuppe en ce moment car elle n'apparaît qu'au moment où ils se courtisent, entre décembre et mars. 

    Cet oiseau noir qui pousse des cris aux abords de la falaise est le crave à bec rouge. © Philippe Paternolli, Adobe Stock
    Cet oiseau noir qui pousse des cris aux abords de la falaise est le crave à bec rouge. © Philippe Paternolli, Adobe Stock

    Oh ! Là ! Tu as vu cette boule noire qui vient de passer devant nous ! Elle tourbillonne dans les courants d'airair et en poussant un cri fantomatique. Regarde ! Elle a filé se percher sur un petit repli de falaise, là bas. Pas de doute, c'est notre crave. Et là, un deuxième. C'est un autre crave qui rejoint à toute vitessevitesse le premier. C'est très probablement son partenaire de couple. Les craves sont extrêmement fidèles, que ce soit envers leur partenaire ou l'endroit où ils installent leur nid. Ils patrouillent et défendent même un territoire. Et en dehors de la période des amours, ils se regroupent avec plusieurs autres individus, pour passer la nuit ensemble et chercher leur nourriture.

    Un corvidé dépendant d'un milieu bien particulier

    Si tu observes en détail, tu remarqueras que le crave ne ressemble pas du tout à un corbeau classique. Au niveau taille, il ressemble un peu à son cousin le choucas des tours, et possède une envergure comparable à celle de nos pigeons des villes. Même si on retrouve chez lui un plumage noir, légèrement irisé comme chez les autres corbeaux, il est muni d'un long bec, fin et courbé vers l'avant. Et ce bec, comme ses pattes, sont d'un rouge éclatant ! Il ne passe vraiment pas inaperçu ! On retrouve d'ailleurs cette particularité colorée dans son nom latin : Pyrrhocorax pyrrhocorax, de pyros en grec qui évoque la couleur d'une flamme et korax, qui est un mot qui copie le cri des corbeaux et des corneilles. On dit que c'est une onomatopée. Tout comme chough, son nom anglais ! Bien que membre de cette sombre famille, le crave à bec rouge fait un peu figure d'exception. Il est le seul de son genre, avec son cousin le chocard qui, lui, est muni d'un bec et de pattes d'un beau jaune vif, et que l'on retrouve plutôt en haute montagne. 

    Le crave est attaché à un milieu bien particulier. Il aime beaucoup les prairies d'altitude, mais il se plaît aussi dans les landes de bruyère battues par les vents, que l'on retrouve le long des chemins côtiers et au bord des falaises et que l'on peut voir ici ! Ce qui compte, c'est que la végétation ne soit pas trop haute ! Tiens d'ailleurs, revoici notre oiseau qui décolle de son point d'observation. Il plonge vers la mer, en suivant la paroi abrupte de la roche, avant de remonter en chandelle et de passer sous notre neznez. On dirait qu'il joue avec le vent ! On peut le voir étendre ses ailes et se laisser littéralement porter par les courants. C'est comme s'il prenait l'ascenseurascenseur, aucun effort, les ailes au repos.

    Le crave à bec rouge (<em>Pyrrhocorax pyrrhocorax</em>) est reconnaissable à son bec courbé et coloré. © Guillermo Blanco
    Le crave à bec rouge (Pyrrhocorax pyrrhocorax) est reconnaissable à son bec courbé et coloré. © Guillermo Blanco

    Tiens, le voilà, qui repasse devant nous. Et hop, le voilà qui change de direction et qui, d'un mouvementmouvement d'aile rapide, pique vers un autre rebord rocheux. Ah, je crois qu'il va profiter d'un petit casse-croûtecroûte. Le voilà qui se pose au sol en un petit bond élégant. Tu le vois ? Il perce le sol de son long bec rouge. Et hop, un scarabé avalé ! Il raffole des insectesinsectes de toutes sortes, des araignéesaraignées et des larveslarves juteuses. D'ailleurs son nom gallois palores veut dire « creuseur ». C'est bien ce qu'on voit ! 

    Une drôle d'association entre le crave et certains rapaces

    On retrouve le crave à bec rouge sur une bonne partie des côtes ouest de la façade atlantique des pays européens : au Royaume-Uni, en France et en Espagne. On en trouve également dans les hauteurs, en Grèce et en Italie, mais aussi de l'autre côté de la Planète, en Asie, sur la côte Pacifique.

    En Espagne, quand vient le moment de nicher, les craves forment de drôles d'associations. Ils cherchent des recoins de falaises, des creux où construire leurs nids, et ils choisissent des voisins bien particuliers : des faucons crécerellettesfaucons crécerellettes ! Tu pourrais te dire que c'est une drôle d'idée de se rapprocher de ces rapacesrapaces, qui sont des chasseurs redoutables.

    Mais en réalité, ces minuscules faucons ont les mêmes prédateurs que les craves, c'est-à-dire de plus grands rapaces, comme le faucon pèlerinfaucon pèlerin ou l'aigle botté, qui essaient de les croquer, mais aussi certains rongeursrongeurs comme le lérot ou encore la couleuvre à échelons qui s'en prennent à leurs œufs. Les faucons crécerellettes qui nichent en colonie détectent les menaces et les chassent vigoureusement ! Les craves y gagnent donc de super protecteurs et peuvent ainsi élever plus de petits ! Plus amusant encore, une étude parue en janvier 2023 montre que les craves vont même jusqu'à partager un même nichoir avec des chouettes effraies ! Elles, dedans, et eux, sur le toittoit. En mangeant les rongeurs, les chouettes diminuent le risque que les œufs et les oisillons des craves ne se fassent manger. Tout bénef' ! Mais, dans les deux cas, les rapaces n'ont pas l'air d'y gagner grand-chose dans ce voisinage partagé, ce sont les craves qui profitent clairement de l'association !

    Craves en danger !

    Si je t'ai emmené aujourd'hui au Cap Sizun, c'est que je savais que ce couple s'y était installé et que l'on avait de bonnes chances de l'apercevoir. Mais il faut s'estimer chanceux de croiser de nouveau des craves à bec rouge sur nos falaises, car ils reviennent de loin ! Leur population s'est effondrée de manière alarmante et ce, dès le XIXe siècle. D'abord chassés comme des oiseaux de malheur que l'on accusait de manger les récoltes, ils ont ensuite peu apprécié la cohabitation forcée avec le gibier introduit par les chasseurs comme les faisans, les perdrix et les lièvres, entre autres à Belle-Île, dans les années 1960. Mais les principales causes de disparition des craves découlent directement des activités humaines, et de leurs changements dans le temps.

    Comme je te l'ai dit, ils ont besoin d'un environnement particulier pour trouver de quoi se nourrir : des pelouses sèches, des prairies, des landes.... Et il ne faut pas que ces zones soient envahies par des plantes trop hautes, pas plus de 5 cm de haut ! Si, par exemple, les fougèresfougères se développent, les craves n'arrivent plus à fouiller le sol. Or, en arrêtant de faire pâturer les moutons dans certaines zones, que ce soit dans les alpages, ou en bord de mer, la végétation a commencé à grandir... et les craves ont commencé à disparaître ! En changeant de pratiques agricoles, les humains ont remodelé le paysage, ce qui a eu des conséquences importantes sur certaines espècesespèces spécialisées comme notre héros du jour. Et pas qu'un peu... Au cours de la première moitié du XXe siècle, ils avaient totalement disparu d'Angleterre, de Cornouailles, d'Écosse, des îles Jersey et Guernesey, et des populations entières se sont volatilisées au Portugal, en Suisse et en Italie. 

    Le crave à bec rouge trouve sa nourriture dans un environnement particulier, avec des plantes peu hautes, comme des pelouses sèches, des prairies, des landes de bruyère. © Sandra Standbridge, Adobe Stock
    Le crave à bec rouge trouve sa nourriture dans un environnement particulier, avec des plantes peu hautes, comme des pelouses sèches, des prairies, des landes de bruyère. © Sandra Standbridge, Adobe Stock

    Mais alors, comment faire pour sauver ce petit corbeau des falaises ? 

    Des côtes silencieuses... ça se remarque ! Et peu à peu, les humains se sont rendu compte du déclin du crave à bec rouge. Les Britanniques se sont inquiétés de la disparition d'un de leurs oiseaux emblématiques et ont lancé plusieurs programmes de réintroduction. L'un d'eux, baptisé Birds on the EdgeEdge, « oiseaux sur le fil du rasoir », en anglais, date de 2010 et vise à ramener des craves sur l'île de Jersey. Plusieurs équipes sur le terrain veillent à ce que l'environnement local corresponde aux besoins de notre petit corbeau, notamment en enlevant toutes les fougères trop hautes qui les empêcheraient de trouver leur nourriture et en réintroduisant le pastoralisme, la pratique qui consiste à laisser des moutons brouter en liberté surveillée dans certaines zones de l'île.

    Des craves, vivant en captivité à la fois au zoo de Jersey et au Paradise Park en Cornouailles, sont élevés avec le moins de contact possible avec des humains, pour être relâchés dans leur milieu naturel. Mais ça ne se fait pas du jour au lendemain ! Les oiseaux sélectionnés pour le relâcher sont regroupés avec des individus du même âge et installés dans de très grandes volières, directement sur le site où ils vivront. Et, on ne les laisse pas se débrouiller tout seuls tout de suite ! Une période de transition est prévue, pour leur fournir de la nourriture le temps qu'ils s'adaptent. Pour les garder à l'œilœil et s'assurer de leur bonne santé, les craves sont aussi équipés de radio-transmetteurs qui permettent de les suivre en continu. C'est un travail long et difficile, mais aujourd'hui, on compte, une quarantaine de craves à bec rouge sauvages à Jersey ! Les premiers oiseaux ayant été relâchés en 2013 sur l'île, c'est une belle victoire pour leurs protecteurs !

    En Bretagne, et sans réintroduction, le crave se porteporte un peu mieux qu'au siècle dernier. Alors qu'on ne comptait qu'une cinquantaine de couples nicheurs dans toute la Bretagne au début des années 2000, les derniers comptages de 2021 ont révélé que 57 couples vivaient sur le seul site de Belle-Île-en-Mer alors qu'ils n'étaient qu'une petite vingtaine entre 2004 et 2008 sur cette même île ! Sacrée remontée !

    L'emblème légendaire des Cornouailles

    Mais la région emblématique du crave à bec rouge, c'est bien celle des Cornouailles, chez nos voisins britanniques, la pointe ouest de l'Angleterre. Il trône même fièrement au centre de leur blason ! Alors qu'il y était très répandu, le crave a petit à petit disparu des falaises jusqu'à complètement s'éteindre après 1952, date à laquelle le dernier couple nicheur a été observé. Imagine le désespoir des habitants, qui ont perdu leur oiseauoiseau symbole ! 

    Armoiries de Thomas Becket (environ 1120-1170). © Domaine public, <em>Wikimedia Commons</em>
    Armoiries de Thomas Becket (environ 1120-1170). © Domaine public, Wikimedia Commons

    Il faut dire que cette région d'Angleterre est, au même titre que notre Bretagne, riche de mythes et de légendes. On y croise des menhirsmenhirs, des dolmensdolmens, et, en regardant bien, quelques farfadets malicieux. En Cornouailles, on trouve notamment le château de Tintagel, la résidence d'origine du célèbre roi Arthur ! On dit qu'à la toute fin de sa vie, alors qu'il a été mortellement blessé lors de la terrible bataille qui l'oppose au traître Mordred, il aurait été transporté en secret par la fée Morgane sur la mystérieuse île d'Avalon pour y être soigné, avec la complicité d'autres puissantes enchanteresses. Certaines versions de l'histoire racontent que son âme se serait envolée sous la forme d'un crave à bec rouge, dont la couleur du bec et des pattes rappellent ses blessures ensanglantées. A-t-il péri ? Est-il toujours vivant ? Personne ne le sait.

    Mais on raconte que si les craves venaient à disparaître, puis à réapparaître, alors le roi Arthur reviendrait en Angleterre, pour restaurer la gloire passée de son royaume. Et devine quoi... en 2001, après cinquante ans d'absence, quatre craves se sont installés sur les falaises de Cornouailles ! Ces petits voltigeurs sont revenus chez eux. Est-ce que le légendaire Roi Arthur les accompagnait ? Mystère.