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Des sources hydrothermales d'exception, connues depuis des dizaines d'années, sont étudiées depuis peu dans la baie de Prony, au sud de la Nouvelle-Calédonie. Cet écosystème marin sensible et très fragile a été reconnu par l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICNUICN) dans le cadre de l'inscription au patrimoine mondial des récifs et lagons de Nouvelle-Calédonie. En 2011, la campagne océanographique Hydroprony a été lancée, financée par l'Institut de recherche pour le développement (IRD) et une équipe de scientifiques issus de différents laboratoires français (IRD Nouméa, Institut Méditerranéen d'Océanologie (MIO), Geosciences Environment Toulouse et Institut de PhysiquePhysique du Globe de Paris). Cela a permis de débuter un vaste projet visant à étudier l'ensemble du système hydrothermal de Prony de manière multidisciplinaire en associant la géochimie, la minéralogie et la biologie.
Contrairement aux sources hydrothermales, plus connues sous le nom de « fumeurs noirs » et qui émettent des fluides chauds (avoisinant 350 °C) et acidesacides (pH faible inférieur à 3) au niveau des dorsales océaniques, les sources sous-marines de Prony, situées à moins de 50 m de profondeur dans le lagon, libèrent des fluides alcalins (pH élevé supérieur à 11) très peu salés avec des températures plus modérées (inférieures à 40 °C). (Voir l'article publié dans BioGeoscience.)
Les cheminées hydrothermales du massif dit l’Aiguille de Prony forment une structure haute de 35 m, dont la base est située à 20 m de profondeur. Le site est protégé par arrêté de la province sud pour sa valeur patrimoniale. Ces cheminées sont formées de carbonates et d’hydroxydes de magnésium qui émettent un fluide alcalin (pH supérieur à 11) anoxique et riche en hydrogène et en méthane. © R. Price
Des fluides alcalins, du CO2 et de l'hydrogène : une recette pour l'origine de la vie ?
Ces fluides précipitent au contact de l'eau de mer et forment des cheminéescheminées carbonatées pouvant atteindre plusieurs mètres de haut. L'exemple emblématique, une merveille naturelle, est l'Aiguille de Prony, un site privilégié des plongeurs sous-marinssous-marins. Ce type d'hydrothermalismehydrothermalisme original n'avait été observé et étudié qu'à Lost CityLost City, découvert en 2000 à 800 m de profondeur à proximité de la dorsale medio-atlantique par des équipes américaines. À Prony, comme à Lost City, les fluides alcalins sont anoxiquesanoxiques (pauvres en oxygène) et contiennent des quantités élevées d'hydrogènehydrogène produit lors de l'hydratationhydratation des roches du manteau terrestremanteau terrestre : un processus abiotiqueabiotique dénommé « serpentinisation ». L'hydrogène produit réagit ensuite avec le dioxyde de carbonedioxyde de carbone (gazgaz carbonique) environnant pour générer du méthane et d'autres moléculesmolécules organiques comme les alcanes.
Depuis une dizaine d'années, les sources hydrothermales alcalinesalcalines suscitent un intérêt croissant de la part de la communauté scientifique car leur contexte géochimique particulier aurait pu être favorable à l'émergence de la vie sur la TerreTerre primitive il y a quelque 4 milliards d'années et potentiellement sur d'autres planètes telles que Mars. Le site de Prony, idéalement situé à faible profondeur, à la transition entre les milieux terrestres et marins, constitue donc un observatoire naturel facilement accessible pour mieux comprendre les processus abiotiques qui auraient pu conduire à la première cellule vivante.
Des micro-organismesmicro-organismes procaryotesprocaryotes vivent en abondance au cœur des cheminées hydrothermales en contact direct avec les fluides alcalins et les carbonates, allant jusqu'à former d'importants biofilms. Plus d'une centaine d'espècesespèces de bactériesbactéries et d'archéesarchées ont déjà été répertoriées à l'aide d'approches moléculaires basées sur le séquençageséquençage de gènesgènes marqueurs. Notre récente étude (publiée dans Environmental Microbiology Reports) révèle également que leur abondance et leur diversité varient en fonction de la profondeur, de la localisation et de la structure des cheminées.
Petites cheminées carbonatées sur le platier rocheux du Bain des Japonais émettant des bulles de gaz (H2, CH4, N2) et du fluide à pH 11 et 42 °C. Barre d’échelle, 10 cm. © R. Hocdé
Des bactéries et des archées alcalophiles consommatrices de méthane enfin étudiées de près
Actuellement, il s'agit de rechercher les principaux groupes trophiques microbiens, qui sont en liaison directe avec la géochimie de ces écosystèmes (production d'hydrogène et méthane notamment), pour mieux appréhender les mécanismes d'adaptation en condition extrême (pH alcalin) et leur rôle dans l'édification des cheminées. Des capteurscapteurs sont actuellement en place sur trois sources de la baie de Prony pour mesurer à long terme la température des fluides émis par les cheminées et il est également prévu d'y placer des incubateurs in situ pour identifier les processus de colonisation microbienne de ces cheminées au cours du temps.
Au cœur des cheminées, les micro-organismes n'ont accès qu'à des niveaux très faibles d'oxygène et de lumièrelumière et l'on peut supposer qu'ils manifestent essentiellement un métabolismemétabolisme anaérobie (c'est-à-dire en l'absence d'oxygène) basé sur l'utilisation et la production de l'hydrogène et du méthane. Nous tentons de reproduire en laboratoire les conditions favorables au développement des micro-organismes indigènesindigènes. Plusieurs bactéries alcalophiles (donc ayant, par définition, un pH optimum de croissance entre 8 et 11,5) ont déjà été isolées de ces sources par les chercheurs de notre équipe. Parmi elles, on notera l'isolement de la première bactérie alcalophile associée aux fluides alcalins de Prony, Alkaliphilus hydrothermalis.
Comme pour la plupart des écosystèmes étudiés sur terre, la majorité des micro-organismes détectés sur ce site reste encore incultivée, ce qui augure des découvertes originales à faire par les microbiologistes de l'IRD et d'autres institutions françaises travaillant sur cet écosystème extrême. L'isolement de micro-organismes utilisant le méthane en absence d'oxygène constitue un défi majeur pour l'équipe, mais également pour la communauté scientifique internationale, dans la mesure où ces organismes pourraient être les premiers colonisateurs de la Terre primitive.
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Cet article a été rédigé par Marianne Quéméneur, Anne Postec et Gaël Erauso (MIO UMR 7294 Aix-Marseille Université, CNRS, IRD, Université de Toulon au sein de l'OSU Pythéas).