Le 22 mars, deux hommes vont partir vers le pôle Nord géographique pour une expédition exceptionnelle au milieu de l’océan glacial Arctique. Julien Cabon et Alan Le Tressoler porteront sur leurs traîneaux de quoi réaliser des mesures scientifiques impossibles à obtenir autrement. Et ils devront marcher tous les jours… pour rester au même endroit sur ce tapis roulant qu’est la banquise. Futura-Sciences suivra au jour le jour cette étonnante aventure, qui les a déjà conduits au Groenland… et dans un congélateur où ils ont rencontré Miss France. Étonnant, vraiment étonnant.

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    Des hommes vont partir vers le pôle Nord : l'annonce est devenue banale. « Aujourd'hui, on dépose des touristes en avion au pôle » plaisante Julien Cabon, membre de l'expédition Pôle Nord 2012, avec Alan Le Tressoler. Mais ces deux hommes partent, eux, pour travailler et ils tracteront des traineaux pesant - chacun - entre 100 et 150 kgkg. L'expédition est scientifique : il s'agit de s'installer au pôle Nord géographiquepôle Nord géographique durant trois semaines pour mesurer quotidiennement une multitude de paramètres et prélever des échantillons.

    Pourquoi faut-il, en 2012, à l'heure des satellites, aller gratter la banquise pour en mesurer l'épaisseur ou la température ? Pourquoi ne pas déposer une station automatique ? Pourquoi trois semaines seulement ?

    Ces questions, Futura-Sciences est allé les poser à Julien Cabon et Alan Le Tressoler, deux Brestois spécialistes des milieux polaires. Le second est un ingénieur en logistique, engagé par l'Ipev (Institut polaire français Paul-Émile VictorPaul-Émile Victor) pour, durant deux ans, diriger la base de Ny-Ålesund, au Spitzberg. Julien Cabon, lui, est un militaire de la Marine nationale, lieutenant de vaisseau, collaborateur de la revue Cols bleus et attiré par l'extrême. En 2009 par exemple, il s'est retrouvé, un peu par hasard, seul à bord du célèbre voilier polaire Vagabond pendant cinq semaines.

    Pour tester leur matériel et leurs méthodes, les deux hommes sont allés passer quelques semaines au Groenland, sur la banquise, entre avril et mai 2011. Mais l'expédition Pôle Nord avait commencé plus tôt, le 17 décembre 2010 quand Julien Cabon et Alan Le Tressoler sont entrés dans le congélateur de la société Argel, à Plouédern pour y passer le réveillon de Noël. L'idée était de tester les équipements et le matériel à -25° C. C'était aussi l'occasion d'attirer les médias et l'équipage congelé a reçu la visite de Laury Thilleman, une Brestoise fraîchement élue Miss France 2011.

    Mais laissons-les parler...

    Julien Cabon et Alan Le Tressoler progressent sur la banquise, en 2011, le long de la côte est du Groenland. Devant eux, un iceberg de plus d'une trentaine de mètres de hauteur. © Raphaël Demaret

    Julien Cabon et Alan Le Tressoler progressent sur la banquise, en 2011, le long de la côte est du Groenland. Devant eux, un iceberg de plus d'une trentaine de mètres de hauteur. © Raphaël Demaret

    Futura-Sciences : Qu’allez-vous mesurer ?

    Alan Le Tressoler : De nombreux paramètres physiquesphysiques de l'eau sous la banquise : température, salinitésalinité, etc. Il faudra donc creuser la glace et descendre une sonde CTD (ConductivitéConductivité-Température-Salinité). Nous prélèverons de la glace, qui servira à des études de microbiologie. Avec un filet à plancton, nous prélèverons des échantillons sous la glace ; cela servira ensuite, notamment, à préciser les bloomsblooms planctoniques. Nous mesurerons aussi la dérive de la banquise sur laquelle nous nous trouverons.

    Ne peut-on pas obtenir de telles mesures depuis des satellites ?

    Alan Le Tressoler : Eh bien non. Les satellites à orbiteorbite dite polaire ne passent pas exactement au-dessus des pôles et, pour la mesure de la dérive de la banquise, il y a une zone d'environ 200 km autour du pôle pour laquelle il n'existe aucune donnée. Concernant les autres mesures, en particulier les prélèvements, cela ne peut se faire que sur place.

    Mais alors pourquoi pas une station de mesure ?

    Alan Le Tressoler : Parce qu'elle dériverait avec la banquise, qui se déplace d'une vingtaine de kilomètres par jour. Actuellement, toutes les mesures réalisées ainsi l'ont été par des stations dérivantes. Personne n'est jamais resté au pôle Nord. Le suivi que nous ferons n'a jamais été réalisé ! Et ce n'est pas facile : pour rester au pôle nous devrons chaque jour noter notre position GPS et marcher en sens inverse de la dérive pour rejoindre le pôle.

    Ce sera votre travail chaque matin ?

    Julien Cabon : Pas exactement chaque matin car il n'y a pas de nuit à cette époque de l'année...

    Julien Cabon (en jaune) et Alan Le Tressoler (en rouge) testent leur équipement dans une chambre froide, en décembre 2011. Ils y passeront 9 jours par -28 °C, dans 70 m<sup>2</sup>. © Georges Gourmelon

    Julien Cabon (en jaune) et Alan Le Tressoler (en rouge) testent leur équipement dans une chambre froide, en décembre 2011. Ils y passeront 9 jours par -28 °C, dans 70 m2. © Georges Gourmelon

    Après un court séjour au Spitzberg, vous resterez trois semaines sur la banquise. Pourquoi trois semaines ?

    Julien Cabon : On ne peut pas faire mieux ! Il n'y a que trois semaines entre la fin de la nuit polaire et le réchauffement qui amincit trop la banquise pour que l'avion puisse se poser. Il y a vingt ans, nous aurions pu rester six semaines...

    Comment se présente la banquise quand on tire un traîneau ?

    Alan Le Tressoler : Ce n'est pas la patinoire que beaucoup imaginent ! Il faut se représenter la banquise comme un puzzle dont les pièces bougent les unes par rapport aux autres. Si une zone s'étend, il se crée des chenaux laissant passer l'eau. Il nous faudra les traverser grâce à nos traîneaux, capables de flotter. Si la zone se rétrécit, les plaques se chevauchent et il se forme des crêtes de compression qui peuvent atteindre dix mètres de hauteur. Non, cela ne va pas être simple...

    Comment est venue l’idée d’une telle expédition ?

    Julien Cabon : Alors que je travaillais pour le magazine Cols Bleus, je suis allé voir Alan avec l'idée d'écrire un livre sur le milieu polaire. Je connaissais plutôt les déserts chauds et j'ai été fasciné. Je me suis retrouvé par hasard sur le Vagabond, à devoir relever l'équipage et j'y suis resté seul pendant un mois. J'ai vraiment touché la banquise de près. Avec Alan, nous avons réalisé qu'il manquait vraiment des données sur le pôle Nord, et notre projet intéressait le LOS [Laboratoire d'océanographie spatiale de l'Ifremer, NDLRNDLR]. La Marine nationale nous a ouvert beaucoup de portesportes et Alan connaissait bien le milieu scientifique. Ensuite, il a fallu beaucoup de réunions et d'énergieénergie...