Selon une récente étude menée en mer de Weddell, les icebergs embarquent une belle variété d’espèces, du plancton aux oiseaux, embarquées malgré elles ou attirées par la matière organique charriée par la glace. Quand ils fondent, c’est autant de carbone qui disparaît de l’atmosphère.
Désertique en apparence, W-86, l’un des deux icebergs étudiés par Ken Smith et ses collègues, fertilise et envoie par le fond des tonnes de carbone. Crédit : Kim Reisenbichler

Désertique en apparence, W-86, l’un des deux icebergs étudiés par Ken Smith et ses collègues, fertilise et envoie par le fond des tonnes de carbone. Crédit : Kim Reisenbichler

Plutôt radeaux que déserts, les icebergs sont gorgés de vie. Des océanographes américains viennent d'en apporter la preuve en étudiant les espèces aériennes et aquatiques embarquées vers le large par deux de ces géants des mers, dérivant actuellement en mer de Weddell, dans l'océan Antarctique.

Menée par Ken Smith, l'équipe du Monterey Bay Aquarium Research Institute (MBARI) a étudié autour et sous ces icebergs des paramètres chimiques, physiques et biologiques. L'opération n'a pas été simple. Il a fallu sélectionner les icebergs sur des images prises par un satellite de la Nasa puis les rejoindre en bateau, en l'occurrence sur le Laurence M. Gould, un navire océanographique spécialisé dans la navigation en Antarctique. Les chercheurs ont pu s'approcher très près des icebergs (dont le plus grand mesurait 21 kilomètres sur cinq). Un robot sous-marin a permis d'explorer tout l'environnement aquatique.

Distributeurs d’aliments

Résultat : une biodiversité bien plus grande que prévue. Les océanographes ont observé, outre des populations d'oiseaux, toute une flore et une faune aquatique autour de ces icebergs. La quantité de phytoplancton, de krill (crevettes) et d'oiseaux augmente significativement dans un rayon de trois kilomètres. « L'océan austral manque de fleuves pour apporter en mer du matériel organique d'origine terrestre, explique Timothy Shaw, de l'université de Caroline du Sud. Les icebergs constituent une sorte d'estuaire mouvant distribuant des nutriments qui, dans d'autres océans du globe, sont apportés par les cours d'eau ». Au total, selon les chercheurs, cet apport par la glace flottante augmenterait d'environ 40 % la productivité biologique de la mer de Weddell.

Des pétrels du Cap viennent pêcher autour de l’iceberg A-52. Derrière eux, une cataracte d’eau entraîne vers la mer la matière organique qui était emprisonnée dans la glace. Crédit : Rob Sherlock

Des pétrels du Cap viennent pêcher autour de l’iceberg A-52. Derrière eux, une cataracte d’eau entraîne vers la mer la matière organique qui était emprisonnée dans la glace. Crédit : Rob Sherlock

Quand le carbone plonge

Voilà donc ces glaçons mués en fertilisants maritimes... Mais ce n'est pas tout. Une grande partie de cette matière organique, y compris des organismes vivants, plongera vers le fond de la mer quand l'iceberg aura disparu. C'est autant de carbone qui se trouvera piégé sur le plancher océanique. « Une conséquence importante de cette productivité biologique élevée, souligne en effet Ken Smith, est que les icebergs peuvent constituer une voie d'évacuation du dioxyde de carbone et de séquestration de particules de carbone qui plonge à grande profondeur. »

A l'échelle de l'océan Antarctique, la fonte des icebergs pourrait donc constituer un gigantesque piège à carbone. Comme le réchauffement climatique accélère la fonte et augmente donc la quantité de glace flottante détachée du continent, il y a là une sorte de régulation naturelle.

Mais les conclusions chiffrées ne sont pas encore arrivées. La masse de données accumulée par l'expédition est en effet énorme et il faudra tout simplement du temps pour en tirer tout le suc.