À l’époque du Miocène, l’Europe centrale était recouverte d’un immense lac, plus grand que la Méditerranée actuelle. Ce mégalac a connu des phases spectaculaires de régression et de remplissage, ce qui a favorisé l’émergence de paysages et d’espèces uniques au monde, comme la plus petite baleine qui ait jamais vécu sur Terre.


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    Lorsque les plaques continentales africaines et eurasiennes se sont progressivement rapprochées il y a 12 millions d'années, elles n'ont pas seulement donné naissance à la chaîne de montagnes des Carpates en Europe orientale, mais aussi au plus grand lac qu'ait jamais connu la Planète, la mer Paratéthys. Cette immense étendue d'eau, formée à partir de la fermeture progressive de l’océan Téthys, couvrait alors une zone plus grande que la Méditerranée actuelle, avec une superficie de plus de 2,8 millions de km2 et contenant un volumevolume d'eau de plus de 1,77 million de km3, soit un tiers du volume de la Méditerranée moderne et plus de 10 fois le volume d'eau de tous les lacs salés et d’eau douce actuels combinés.

    Reconstruction des fluctuations de la mer Paratéthys au Miocène supérieur. Pendant les phases régressives, le mégalac a perdu jusqu’à 66 % de sa surface, l’eau restante étant divisée entre un lac salé central (équivalent au bassin de la mer Noire marqué en rouge) et des bassins périphériques qui se sont périodiquement remplis. © Dan Valentin Palcu et al, <em>Scientific Reports,</em> 2021
    Reconstruction des fluctuations de la mer Paratéthys au Miocène supérieur. Pendant les phases régressives, le mégalac a perdu jusqu’à 66 % de sa surface, l’eau restante étant divisée entre un lac salé central (équivalent au bassin de la mer Noire marqué en rouge) et des bassins périphériques qui se sont périodiquement remplis. © Dan Valentin Palcu et al, Scientific Reports, 2021

    Jusqu’à 70 % de surface et un tiers de volume d’eau en moins

    Mais au fil des années, la mer Paratéthys a subi des crises extrêmes, avec des épisodes de dessèchement partiel et de re-remplissage qui ont complètement bouleversé les paysages, expliquent Dan Valentin Palcu et ses collègues dans une étude parue dans la revue Scientific Reports. Au cours de sa duréedurée de vie (environ cinq millions d'années), le lac a connu des rétrécissements spectaculaires, avec au moins quatre phases de régression majeure. Au cours de son plus gros épisode de contraction entre 9,75 et 7,9 millions d'années, le niveau d'eau du lac a chuté de plus de 250 mètres et perdu les deux tiers de sa surface, laissant place à de petits lacs d'eau douce ou saumâtresaumâtre indépendants. Cela a fait exploser la salinité de l'eau dans le bassin central du lac (correspondant environ aux contours de la mer Noire d'aujourd'hui), qui est devenu un tiers aussi salé que les océans d'aujourd'hui (entre 12 et 14 ‰).

    Le lac a subi quatre régressions majeures entre 9,75 et 7,9 millions d’années, favorisant la création de « corridors » pour la dispersion des animaux (en rouge). © Dan Valentin Palcu et al, <em>Scientific Reports,</em> 2021
    Le lac a subi quatre régressions majeures entre 9,75 et 7,9 millions d’années, favorisant la création de « corridors » pour la dispersion des animaux (en rouge). © Dan Valentin Palcu et al, Scientific Reports, 2021

    Des mammifères marins miniatures adaptés aux régressions successives du lac

    « Ce changement a eu un effet dévastateur sur la faune aquatique car la diversité de l'écosystème endémiqueendémique a été considérablement réduite et de nombreux groupes, tels que les foraminifères et le nanoplancton, ont presque entièrement disparu », atteste Valentin Palcu. Les créatures qui pouvaient survivre à l'eau salée ont pu repeupler le lac lors des périodes d'expansion.

    Cet environnement mouvant a paradoxalement favorisé l'émergenceémergence d'espècesespèces uniques au monde. « Le Paratéthys est rapidement devenu le foyer d'une grande variété de mollusquesmollusques, de crustacéscrustacés et de mammifèresmammifères marins que l'on ne trouve nulle part ailleurs sur TerreTerre, poursuit Pavel Gol'din, de l'Académie nationale des sciences d'Ukraine (qui n'a pas participé à l'étude). Beaucoup de baleines, de dauphins et de phoques qui y vivaient étaient des versions miniatures de ceux que l'on trouve en haute mer. Le Cetotherium riabinini, long de trois mètres, est la plus petite baleine jamais trouvée dans les archives fossilesfossiles. » Ce nanismenanisme aurait pu aider ces animaux à s'adapter aux rétrécissements successifs, explique le scientifique.

    <i>Cetotherium riabinini</i> est la plus petite baleine qui ait jamais peuplé la planète. © Pavel Gol'din et al, <em>Acta Palaeontologica Polonica,</em> 2013
    Cetotherium riabinini est la plus petite baleine qui ait jamais peuplé la planète. © Pavel Gol'din et al, Acta Palaeontologica Polonica, 2013

    Une immense cascade de 1,5 kilomètre de hauteur

    Les changements hydrologiques ont également fait apparaître de nouveaux paysages. Une immense zone de 1,75 million de km2 de terres émergées s'est formée au nord, périodiquement inondée. Cela a donné naissance à une immense ceinture forestière de type steppesteppe qui s'étendait alors sur plus de 3.000 kilomètres entre l'Europe et l'Asie centrale. « Des forêts similaires se sont formées dans toute l'Eurasie interne au Kazakhstan, en Ukraine, en Moldavie et en Bulgarie », relate Valentin Palcu. Des paysages qui ont probablement favorisé la dispersion des mammifères autour de la Paratéthys en ouvrant de nouveaux passages.

    Entre 6,7 et 6,9 millions d'années, la mer Paratéthys a définitivement disparu, lorsque l'érosion a créé un écoulement au sud-ouest du lac, où s'est déversée l'eau pour donner naissance à la Méditerranée. Cette dernière s'est remplie en moins de deux ans par une immense cascade de plus de 1,5 kilomètre de hauteur, soit 26 fois celle des chutes du Niagara ! Une inondationinondation digne d'un film catastrophe, sorte de chantchant du cygne du lac en train de mourir.